Un prêtre parle au Président Ouattara : « Tout est encore possible »
Après ma lettre ouverte au Président de la République, j’aimerais humblement m’adresser à vous M. Henri Konan Bédié, président du Parti démocratique ivoirien et à M. le président du mouvement politique Générations et Peuples Solidaires. Cette lettre reste dans la dynamique de mes invitations à la paix, des dénonciations et interpellations en vue d’une Côte d’Ivoire meilleure depuis 2004.
Je prends la parole avec un cœur meurtri quand je vois encore des morts et blessés alors que Dieu nous a donné dix années pour nous convertir mais nous avons opté pour nos calculs égoïstes.
La rupture de communion entre Ivoiriens
La Côte d’Ivoire est un pays qui a été pendant des années, modèle d’unité, de communion et de joie. En Côte d’Ivoire, après les examens d’entrée en sixième ou en seconde, le sudiste se retrouvait au nord, le nordiste de 12 ans se retrouvait à l’Est, le sudiste était affecté au centre, celui de l’Est se retrouvait à l’Ouest. On vivait soit à l’internat ou chez un tuteur qu’on ne connaissait même pas. C’est l’homme qui était important et non l’identité. C’est cette politique d’unité qui a fait que j’ai eu pour tuteur un Ahoussa du Niger quand j’ai été affecté en 6ème au collège saint Raphaël de Bouaflé, puis j’ai fait les séminaires de Bouaké et de Katiola. Étant sudiste j’ai donc passé plus de temps au centre et au nord. C’est cela la fierté des Ivoiriens.
Chacun était à l’aise partout. Puis un matin de 1990, le premier ministre du président Houphouët-Boigny, M. Alassane Ouattara inventa la carte de séjour pour renflouer les caisses de l’État. Ce fut le début de la différence entre Ivoiriens, Ivoiriens de souche, Ivoiriens naturalisés, étrangers. Puis viendra à partir de 1994, le concept de l’ivoirité créé par le président Bédié et ses intellectuels. On assista dès lors dans notre pays à des pratiques de division venant d’individus mal intentionnés.
Mais il faut préciser que malgré tout cela, les djoulabougous (quartiers de ressortissants d’Afrique de l’ouest et de certains commerçants du nord) existaient toujours dans tous les villages du sud, il n’y avait vraiment pas une politique d’extermination d’un peuple. Et le 19 septembre 2002, nous constaterons tous l’avènement de la rébellion.
M. Guillaume Soro, chef de la rébellion
Je vous cite nommément M. le président Soro parce que vous avez revendiqué publiquement la rébellion. Comme aime le dire un de vos partisans M. Franklin Nyamsi : « vous êtes l’un des plus courageux des politiciens ivoiriens parce que vous avez eu le courage de revendiquer la rébellion armée pendant que d’autres se cachaient ». Sur ce point je suis d’accord avec Nyamsi, mais seulement, j’aimerais relever qu’il y a des courages qu’on ne loue pas surtout lorsque ce courage porte le glaive à la mère patrie. Il y a le courage vicieux et le courage vertueux. M. Guillaume Soro, vous avez donc mené une rébellion pour lutter contre l’exclusion selon vous. Aujourd’hui quand on fait un bilan, que peut-on dire de votre rébellion ?
Avant votre rébellion, la Côte d’Ivoire n’était pas si blessée et si divisée comme vous l’avez fait croire au niveau international. Il y avait des actes à condamner mais vous n’allez pas me dire qu’il y avait des peuples qui pourchassaient chaque seconde un autre sinon tous les djoulabougous allaient être incendiés. Même pendant la rébellion, au moment où des Ivoiriens marchaient de Bouaké, du nord au sud et à l’Ouest, dans leurs villages on trouvait toujours des ressortissants du Burkina, du nord, et du Mali. Aujourd’hui, regardez ce que vous avez fait de la Côte d’Ivoire. Vous-même, le chef de la rébellion, vous vous retrouvez en dehors de votre pays, vos proches sont emprisonnés et poursuivis par celui pour qui vos rebelles ont tué, massacré et violé. En tant que chrétien, ancien séminariste, dans vos méditations, êtes-vous tranquille ? Vos armes ont engendré des armes, vos armes ont engendré des enfants voyous qui tuent aujourd’hui vos propres partisans. Êtes-vous fier de ce pan de l’histoire de notre pays ? Voici la conséquence de votre bravoure.
De l’appel de Daoukro au deuil de Daoukro
Depuis l’annonce de la candidature du président Alassane Ouattara, des millions d’Ivoiriens réagissent négativement face à la violation de la Constitution et de la parole donnée. La ville de Daoukro est devenue une poudrière. On note des blessés, des morts, des réfugiés dans les forêts. Les présidents Bédié et Soro, rappelez-vous qu’il y a quelques années Daoukro était le centre du partage des postes entre vous et le président actuel. Daoukro a été la ville du rassemblement, là où on partageait les gâteaux au détriment du peuple.
C’est à Daoukro qu’on décidait qui serait président dans cinq ans, à qui reviendrait le diamant, qui arborerait l’or et qui prendrait le bronze. Tout était beau à Daoukro. Aujourd’hui, Messieurs les présidents, les pauvres meurent par votre manque de discernement politique. Vous avez pensé à vos postes et au pouvoir, sans penser au peuple. Aujourd’hui, c’est le peuple qui meurt. Il est bien de faire des alliances en politique et de les défaire. Mais avant de faire une alliance, il faut être visionnaire, il faut regarder à long terme et non à court terme, sinon en lieu et place de l’or, tu auras de la pacotille, malheureusement, c’est le pauvre planteur qui meurt en voulant lutter pour son bien-être.
La question de la Constitution
Aujourd’hui, il est bien d’accuser le président Ouattara d’être à l’origine de tout ce qui se passe par la violation de la Constitution. Mais non, il n’est pas le seul coupable. Vous étiez tous dans une même alliance politique. Vous n’avez pas osé dire non à cette Constitution parce qu’il y avait des postes prévus pour chaque parti politique. C’est le pauvre peuple qui a dit non mais qui a été maté. Je me rappelle de l’image des professeurs Aboudrahmane Sangaré, Mamadou Koulibaly et d’autres Ivoiriens bastonnés. La députée Yasmina Ouégnin a dit non à cette Constitution. Des pauvres Ivoiriens ont été visionnaires en disant non. Mais vous autres, avez préservé vos intérêts en soutenant cette Constitution. Vous n’avez pas eu le courage d’être du côté du bon sens hier.
Aujourd’hui, il est vrai qu’il y a eu divorce, mais permettez qu’on décrie publiquement les actes posés contre la Nation pendant que vous étiez en couple avec les autres. Vous êtes coupables de ce qui se passe parce que votre non à la Constitution aurait peut-être freiné le président et l’histoire aurait retenu que vous aviez au moins dit non. Vous nous avez trahis.
Que retenir et que faire ?
Les présidents Soro et Bédié, il est vrai qu’aujourd’hui vous avez rompu l’alliance avec le président Ouattara. Mais notez que vous avez aussi participé à la souffrance des Ivoiriens. Face au rattrapage ethnique, M. Soro, vous n’avez rien dit publiquement, vous qui avez pris des armes contre l’exclusion. M. Soro et M. Bédié, vous avez soutenu la déportation de deux Ivoiriens à la Haye. Vous n’avez pas condamné publiquement la souffrance de milliers d’Ivoiriens en exil. Quand hier vous étiez tous dans l’espérance de succéder au président, tout était bien, vous appréciiez tout. Mais aujourd’hui vous êtes tous derrière le peuple parce qu’on a peut-être décidé de ne plus vous compter parmi les héritiers.
Aujourd’hui le peuple se pose des questions sur la vérité de votre combat. Êtes-vous vraiment du côté du peuple ou êtes-vous dans le règlement de compte d’un butin mal partagé ?
Je vous écris pour que la politique en Afrique ne soit plus des calculs mesquins, je vous écris pour qu’en Côte d’Ivoire le peuple ne soit plus simplement un marchepied d’accession au pouvoir, un parapluie qu’on jette après la saison des pluies. En Côte d’Ivoire, le peuple est fatigué des alliances passe-partout rien que pour être au pouvoir. En Côte d’Ivoire, nous avons déjà vu les alliances : Gbagbo-Soro, FPI-RDR ; PDCI-RDR-Soro, et maintenant : PDCI-FPI-Soro. Vous vous mariez toujours entre vous. Retenez que dans l’amour il y a des barrières telles que la consanguinité. Mais dans la politique ivoirienne, tous les mariages sont possibles, il n’y a pas de mariage contre-nature parce que ce qui est important c’est le pouvoir. C’est la fin qui justifie les moyens. On tue pour être au pouvoir et c’est bon parce que l’essentiel est d’accéder au pouvoir.
M. Soro Guillaume, je vous invite humblement à mandater des délégations pour faire le tour des villages et hameaux de la Côte d’Ivoire pour rencontrer les victimes de votre rébellion, pour demander pardon et les dédommager.
Vous aussi M. Bédié, faites le tour de la Côte d’Ivoire pour demander pardon aux Ivoiriens parce qu’il fut un temps où vous n’avez pas condamné le rattrapage ethnique et vous n’avez pas dit non à cette nouvelle Constitution.
Je vous invite humblement à poser ces actes forts parce qu’en Afrique, étant donné que les victimes sont des pauvres, on pense qu’elles ne méritent pas réparation. Vous faites du mal au peuple et vous les narguez. Il faut changer parce que le pauvre a aussi sa dignité. Il accepte tout parce qu’il n’a aucun espace pour s’exprimer mais son cœur pleure. Le pardon exige une démarche sincère de reconnaissance de la faute commise et de réparation.
Dieu est Dieu.
Père Marius Hervé Djadji
Docteur en Théologie
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