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La mémoire volontairement amputée-Il y a quelques jours je me suis arrêté devant l’ancienne résidence de Félix Houphouët-Boigny, qui fut aussi celle d’Henri Konan Bédié et d’Affi Nguessan, respectivement premier et second présidents de notre pays, et premier Premier ministre de Laurent Gbagbo, qui fut présenté comme l’opposant historique d’Houphouët-Boigny. Je me suis arrêté devant le portail, ai jeté un regard à l’intérieur de la cour et ai eu mal au cœur, mal à mon histoire, mal à mon pays. Cette résidence, abandonnée depuis des années, est occupée par des squatters qui l’ont transformée en poubelle géante et en champ de manioc. L’année dernière j’avais publié des photos de ce qu’elle est devenue, dans l’espoir qu’elles feraient réagir une autorité ou un quelconque citoyen de ce pays. Je crois que j’avais surestimé mon peuple. Rien n’y a changé. J’ai eu d’autant plus mal au cœur qu’il y a deux semaines je me trouvais en Afrique du sud, et j’avais pris plaisir à aller visiter les premières maisons de Nelson Mandela et de Paul Kruger, qui fut président de l’Afrique du sud au début du 20ème siècle. Ces maisons sont aujourd’hui des musées que l’on vient visiter du monde entier, pour connaître ces deux hommes qui ont marqué l’histoire de leur pays, pour connaître l’histoire de l’Afrique du sud.

Vue de loin, du boulevard lagunaire ou de la Corniche par exemple, cette résidence qui surplombe la lagune apparait, entre l’hôtel Sofitel Ivoire et la clinique Pisam, comme la plus élégante dans le secteur, avec sa tour de quatre étages. Qui peut imaginer qu’une telle résidence, dans un tel quartier, avec une telle histoire, celle des deux premiers présidents de notre pays est devenue en réalité un dépôt d’ordures ? Quel peuple peut faire une telle chose, si ce n’est le nôtre ? Pourquoi parle-t-on alors d’houphouétistes, si personne n’est capable de garder la mémoire d’Houphouët-Boigny ? Pourquoi rend-on toujours hommage à Bédié si nous ne sommes pas capables de conserver sa mémoire ? L’ironie de l’histoire est que pendant que l’on laisse mourir le lieu qui a abrité au moins deux hommes que nous considérons aujourd’hui comme grands, deux hommes qui ont marqué notre histoire, nous nous apprêtons à inaugurer une place dédiée à Nelson Mandela au Plateau, quartier qui abrita d’ailleurs la première résidence d’Houphouët-Boigny avant qu’il ne devienne président de notre pays. Oui, nous sommes capables de rendre hommage chez nous à Mandela, que les Sud-africains ne finissent pas d’honorer chez eux, mais incapables de faire la même chose aux nôtres, chez nous. On ne compte plus en Afrique du sud les statues, les places, les musées, les lieux de souvenir de Mandela. Où peut-on rencontrer Houphouët-Boigny, ici, dans son pays ? Quel lieu, quel endroit, quelle maison nous rappelle sa mémoire ? Où peut-on découvrir son parcours, son œuvre, ses combats, sa vie, pour s’en inspirer ? Ses résidences à Abidjan ont été détruites. Celle de Yamoussoukro est devenue une résidence anonyme. Il n’y a même pas une pancarte ou un petit écriteau qui indiquerait au passant que ce fut là que vécut le premier président de notre pays, celui qui le fit accéder à l’indépendance, que nous appelons le « père de la nation », et dont tout le monde se réclame aujourd’hui. C’est la même chose à la fondation qui porte son nom et qui est dédiée à la recherche de la paix. Où pouvons-nous voir son image ? Au stade qui porte son nom. Et après ? En face de sa résidence à Yamoussoukro se trouve une ridicule statue qui est une vraie insulte au grand homme et à la Côte d’Ivoire. Sommes-nous vraiment incapables de dresser à Houphouët-Boigny au moins une statue à la dimension de l’œuvre qu’il a accomplie pour notre pays. Si nous ne savons pas comment le faire, nous pourrions aller chercher l’inspiration en Afrique du sud. Là-bas, ils ont montré qu’ils aiment leur Mandela. En attendant, je crois que ce que nous aurions de mieux à faire est de détruire ses deux dernières résidences d’Abidjan. Ce n’est vraiment pas à notre honneur que les étrangers, surtout ceux qui savent ce que rendre hommage à des grands hommes signifie, découvrent ce que nous avons fait des maisons d’Houphouët-Boigny.

Au temps de Laurent Gbagbo que l’on ne peut qualifier d’houphouétiste, même si vers la fin de son règne, il s’est réclamé du grand homme pour des raisons électoralistes, il y eut un projet de transformer sa résidence de Yamoussoukro en musée. C’était en 2006, si ma mémoire est fidèle. Une commission fut créée dont je fus membre. Elle travailla quelque temps, puis tout s’arrêta sans que je sache jusqu’à ce jour pourquoi. A cette époque déjà, plusieurs objets ayant appartenu Houphouët-Boigny ou ornant sa maison, tels que des tableaux ou des tapisseries avaient disparu. Peut-on encore sauver la mémoire d’Houphouët-Boigny ?

En vérité, en vérité je vous le dis. Tant que nous nous amputerons volontairement de nos mémoires, tant que nous oublierons ceux qui ont fait l’histoire de notre pays, nous avancerons comme des aveugles qui se cognent contre tous les obstacles qu’ils rencontrent, incapables de les franchir, et l’Ivoirien nouveau dont nous parlons sera un homme sans Histoire, sans repères, sans racines, sans socle, et l’émergence ne sera qu’une chimère.

Venance Konan

Source: http://www.africanewsquick.info/