Le semestre dernier, dans le cadre de mon cours de littérature africaine, j’ai visionné une vidéo sur Seydou Badian Kouyaté, auteur du roman “Sous l’orage” que je devais faire découvrir à mes étudiants. Réalisée en janvier 2017, l’interview portait sur les relations franco-maliennes. Sans ambiguïté ni faux-fuyant, l’ancien compagnon et ministre de Modibo Keïta, président du Mali de 1960 à 1968, déclarait ceci : “Ils [les dirigeants français] racontent du bla-bla-bla. Ce qu’ils font est tout le contraire de ce qu’ils disent. Le pays le plus riche en pensée et en penseurs progressistes devient accroché aux colonies. Au lieu de voir l’amitié des peuples, c’est des intérêts auxquels ils tiennent. Qu’est-ce que Hollande a à nous envoyer quelqu’un [Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des Affaires étrangères] qui ne connaît pas l’Afrique, qui ne cherche pas à la connaître et qui, au fond, n’a aucune considération pour l’Afrique ?”
Double langage, parasitisme, affairisme et mépris : le romancier malien, décédé le 28 décembre 2018 à l’âge de 90 ans, ne trouve pas de mots assez forts pour exprimer le dégoût que lui inspire le comportement de la classe politique française qu’il ne confond pas avec le peuple français.
Le 8 avril 2020, c’est-à-dire trois ans et trois mois après cet entretien-choc, le même Le Drian annonce que son pays déboursera 1, 2 milliard d’euros pour aider l’Afrique à lutter contre la propagation du Covid-19. Une annonce qui soulève de nombreuses questions comme celles-ci : si la France peut aider, si elle est si généreuse, si elle s’intéresse tant à ceux qui souffrent, pourquoi n’a-t-elle rien fait pour l’Italie voisine qui était meurtrie et qui avait besoin d’être secourue ? À quel moment les pays africains ont-ils sollicité son aide ? Que vaut 1 milliard d’euros pour tout un continent à côté des 2 milliards d’euros dont devrait bénéficier la seule France ? Cette dernière agirait-elle comme le bon Samaritain de l’Évangile pour nos beaux yeux et ad majorem Dei gloriam ou bien y aurait-il anguille sous roche ?
L’annonce de Jean-Yves Le Drian ne peut que laisser dubitatif tout Africain connaissant un peu l’histoire des relations entre la France et ses ex-colonies Pourquoi devons-nous nous méfier d’une aide (très insignifiante au demeurant) dont nous ne sommes nullement demandeurs ? Parce que les dirigeants français ne font jamais rien pour rien, parce que la gratuité ne fait pas partie de leur lexique, parce que, chaque fois qu’ils ont “donné” quelque chose à l’Afrique, c’était pour lui soutirer le centuple, parce que toutes les “aides” allouées aux Africains depuis 1960 les ont fait reculer au lieu de les faire avancer, parce que “la politique d’assistance et d’aide n’a abouti qu’à nous désorganiser, à nous asservir et à nous déresponsabiliser dans notre espace économique, politique et culturel”, pour reprendre la belle formule utilisée par le capitaine Isidore Thomas Sankara dans le discours historique qu’il prononça devant l’Assemblée générale de l’ONU, le 4 octobre 1984.
Quand on s’est toujours vanté d’être la cinquième puissance mondiale et qu’on est obligé d’attendre des masques de la Chine pour neutraliser un virus qu’on a soi-même contribué à créer, quand on a des hôpitaux en nombre insuffisant et mal équipés, le bon sens, la décence et l’humilité voudraient qu’on ne joue pas les bienfaiteurs désintéressés. Or la fameuse aide que nous n’avons pas sollicitée mais qu’on veut nous apporter est loin d’être désintéressée. Pire encore, c’est un cadeau empoisonné car, lorsque médecins et chercheurs auront fini d’éradiquer la pandémie, les Africains seront appelés à cracher au bassinet. L’argent qui leur sera pris d’une manière ou d’une autre servira à renflouer des caisses dont tout le monde admet aujourd’hui qu’elles sont vides. L’économie de certains pays européens, déjà mal en point, a été sérieusement mise à mal à cause de la crise du coronavirus. Cette économie sinistrée, il faudra prendre de l’argent quelque part pour la reconstruire. Et, comme nos sous-préfets de présidents ne sont pas en capacité de dire “non” à la France comme Sékou Touré le fit en 1958, il est évident que l’Afrique sera ponctionnée ou saignée à blanc comme au sortir de la Seconde Guerre mondiale. L’annonce faite par Le Drian n’est donc que de l’enfumage. Lui et les autres ne sont que des mystificateurs. Il y a toujours chez eux cette propension à s’immiscer dans les affaires des Africains, à leur proposer ceci ou cela, à s’inquiéter pour eux alors que leur propre continent, épicentre de la maladie, est dans la merde et ne sait pas où donner de la tête. Ils sont en train de se noyer et c’est eux qui veulent sauver ceux qui sont sur la rive. N’importe quoi ! S’ils ne sont pas mal intentionnés, s’ils sont aussi bons et aussi altruistes qu’ils veulent le faire croire, pourquoi ne commencent-ils pas par augmenter le salaire des Gilets jaunes, des infirmiers, enseignants et ouvriers français ? Ne voient-ils pas que l’Allemagne, qui possède l’économie la plus puissante d’Europe, n’a pas de colonies auxquelles s’accrocher, qu’elle gagne son pain à la sueur de son front et qu’elle se garde de s’ingérer dans les affaires internes des Africains ?
Ces crimino-esclavagistes, s’ils avaient un brin d’intelligence et de lucidité, auraient compris que les Africains ne sont plus dupes et que le 11 avril 2011 leur a permis de découvrir le vrai visage des gouvernants français, qui ils sont réellement et que, si ces derniers ont réussi hier avec la complicité de certains Africains complexés et médiocres, ils ne réussiront pas forcément demain à gruger et à piétiner l’Afrique car la jeunesse africaine, la jeune génération, informée et politisée, ne se laissera pas faire cette fois-ci et utilisera tous les moyens possibles pour défendre et faire respecter le continent.
En un mot, nous n’avons besoin ni d’aide, ni de vaccins assassins, ni de solutions, ni de leçons de la France. Ce qui nous ferait plaisir, en revanche, c’est que l’ancienne puissance colonisatrice ne se mêle plus de nos affaires, qu’elle parte le plus tôt possible de nos pays avec ses soldats, qu’elle s’aide ou se sauve elle-même.
Par Jean-Claude DJEREKE