Que ma langue se colle à mon palais
M. le Président, je prends la parole en tant que citoyen ivoirien, prêtre, donc celui qui est appelé à annoncer, à dénoncer et à proposer au nom de l’amour de Dieu pour un vivre ensemble dont vous avez fait votre devise de gouvernance. Donc je ne peux pas me taire quand le cultivateur se pose des questions sur l’avenir de ses enfants, quand la vendeuse de manioc a peur, quand les enfants s’interrogent sur leur sort, quand les plus fragiles risquent d’avoir un AVC.
Se taire est souvent bénéfique quand le langage du silence est parlant, interpelant et bousculant. Mais si se taire devient un mutisme coupable, une méditation de collabo, une façon de trahir ceux qui ne peuvent pas parler, ceux qui murmurent, en ce moment ceux qui ont un nom doivent publiquement parler selon Mgr Helder Camara Ed Camara. Voilà pourquoi je parle au nom de ceux qui murmurent où qui peuvent perdre un poste ou un membre parce qu’ils ont osé parler alors que parler est le premier geste du bébé quand il rencontre le monde des vivants. Je précise que je parle en tant que Père Marius Hervé Djadji et non au nom de l’Eglise catholique de Côte d’Ivoire qui a pour chef le président de la Conférence Episcopale.
Notre rencontre à Taabo
Dans les années 1995, j’ai été de ceux qui, agacé par la mauvaise interprétation du mot ivoirité, avaient un penchant pour vous parce que vous étiez pour moi victime d’une machination politique. J’assume cela parce que le chrétien ne peut pas accepter les questions d’identité exclusionnistes. En 2002, lors d’une tournée à Taabo, en tant que stagiaire, j’ai été celui qui vous a reçu au nom de la paroisse avant que le curé et le vicaire ne rejoignent la délégation dans la salle des réunions de la paroisse. On était dans le bureau du curé avec l’actuel ambassadeur de Côte d’Ivoire en France. J’ai rencontré un homme calme qui exprimait son amour pour la Côte d’Ivoire. Depuis ce jour l’on me traitait d’Alassaniste puisque c’est comme cela la Côte d’Ivoire.
L’accession au pouvoir
Le 19 septembre 2002, la Côte d’Ivoire va connaître une déchirure profonde avec l’avènement des rebelles. Selon ces derniers ils revendiquaient pour que vous soyez président de la République. J’ai été l’un de ceux qui ont dit non à cette rébellion, dans la prière et à travers des réflexions parce que nous autres, avions pour seuls outils de combat, la prière et l’écrit.
Notre éducation familiale et religieuse ainsi que notre culture ne nous conseillent pas de prendre des armes pour revendiquer. C’est ainsi que nous avons tous assisté à la pièce théâtrale de votre accession au pouvoir. Je n’ai jamais accepté et je n’accepterai jamais le bombardement d’Abidjan par la France, le traumatisme que cela a causé à des enfants pendant que des petits français eux dormaient tranquillement à Paris. J’ai toujours dit même à certains de vos proches de vous demander de patienter. Si vous prenez ce pouvoir dans la patience, sans attaquer Abidjan, si vous savez attendre votre tour, vous serez un bon président car je vois en vous de la personnalité et de la prestance. Mais si vous prenez ce pouvoir par les armes, vos bons actes seront impactés éternellement par la manière dont vous êtes venus à la tête du pays.
La déportation du président Gbagbo et du ministre Charles Blé Goudé
J’ai été celui qui a toujours dit dès le premier jour, que vous venez de faire une erreur politique grave parce que le président Gbagbo et le ministre Charles Blé Goudé sortiront victorieux parce que c’est de l’injustice. Oui en Côte d’Ivoire des chefs rebelles sont devenus ministres, premiers ministres, ambassadeurs par contre des innocents ont été violés, chassés, exilés. Dieu ne se taira pas, il agira. Aujourd’hui nous avons tous la vérité.
Votre cohérence
Il y a une chose sur laquelle tous les Ivoiriens sont unanimes à votre sujet, c’est votre logique et votre cohérence. Pour vos partisans : « ce qu’ADO dit, il le fait ». Selon vos détracteurs : « ADO est cohérent même dans le mal ». Ce que je retiens sans vous juger, c’est qu’il y a un dénominateur commun qui revient dans les deux cas : votre logique, votre cohérence. Contrairement à ceux qui disent oui à 15h et non à 16h.
Votre 3ème mandat ou 1er mandat
M. le Président, la question de la nouvelle Constitution est venue de vous. En 2016 vous avez décidé d’une nouvelle Constitution. Mais je pense que vous n’avez pas été suffisamment courageux pour être claire. Vous avez donc créé du flou dans la Constitution. Pour le citoyen lambda qui n’est pas spécialiste en droit, une nouvelle République signifie que le compteur constitutionnel est remis à zéro. Ce sont vos experts qui sont de votre parti politique qui ont été les premiers à interpréter l’article 183 pour faire comprendre aux citoyens ce qu’il stipule.
Le ministre Cissé Bakongo, maire de Koumassi, votre juriste, expert dans les réflexions concernant la Nouvelle Constitution a dit clairement dans un parallélisme qu’il faisait entre l’article 183 et l’article 35 de l’ancienne Constitution, que la Nouvelle Constitution ne supprime pas les effets de l’ancienne.
Il a même insisté devant le journaliste d’Africa 24 qu’il ne savait pas quelle alchimie permettrait au président de briguer un 3ème mandat. Il a répété plusieurs fois « 3ème mandat » contrairement au ministre Patrick Achi qui parle aujourd’hui de votre 1er mandat, pour finir on ne sait pas qui dit vrai entre vous et vos proches. Selon M. Bacongo devant un autre journaliste: « La Constitution actuelle lui interdit de se présenter une 3ème fois. Il ne faut pas croire que la nouvelle Constitution balaye les effets de l’ancienne Constitution ».
Il faut aussi dire le ministre de la justice a même eu droit à des applaudissements des Députés en soutenant Mordicus que vous ne pouvez pas briguer un troisième mandat. Vous-mêmes à plusieurs reprises vous avez annoncé que vous n’allez pas briguer un autre mandat en 2020. Voilà pourquoi, lorsque vous avez choisi le premier ministre Gon, les partisans de votre cohérence ont eu raison de ceux qui croyaient que vous étiez aussi un boulanger. Aujourd’hui M. le président, acceptez que les Ivoiriens se plaignent, que vos policiers arrêtent de violenter les marcheurs parce que la trahison est de votre camp, puisque vos experts n’ont pas dit la vérité au peuple.
A qui la faute ?
M. le Président si les Ivoiriens se plaignent c’est parce que vos proches, vos intellectuels leur ont expliqué le sens de l’article 183. Donc ils se sentent trahis. La faute incombe à vos juristes et intellectuels qui, aujourd’hui, pour conserver des postes oublient ce qu’ils ont dit hier. M. le Président sanctionnez-les. On ne se dédit pas sur des questions cruciales capables d’embraser un pays lorsqu’on est intellectuel.
Mais c’est la Côte d’Ivoire, pays dans lequel des éminents juristes ne pratiquent pas ce qu’ils enseignent. Hier il y a un qui a même dit qu’il a été possédé par Satan. En dehors de vos intellectuels, pour ce coup-là, vous avez perdu de votre cohérence, vous n’avez pas écouté votre cœur. Vous vous êtes laissés emporter par les pleurs, des griots appelés rois et chefs traditionnels, des militants, des ministres qui ne cherchent que remplir leur poche et protéger l’avenir de leurs enfants aux études à Paris, à New York. Vous avez écouté certains ministres et militants qui sont devenus des Komians à qui le défunt premier ministre Gon parle chaque seconde peut-être que de son vivant ils ne se parlaient même pas.
Que faire Mon Président ?
Dans votre discours à la nation, il y a un verbe qui m’a interpellé : « Reconsidérer ». M. le Président pour être cohérent et logique, je vous propose de reconsidérer votre décision du 6 août. Celui qui a reconsidéré une fois, peut reconsidérer deux fois et même trois fois. Il y a eu un évènement qui vous a poussé à reconsidérer votre décision. Maintenant, M. le président, en toute vérité je vous révèle que des millions d’Ivoiriens ne sont pas contents de votre décision. Même dans votre camp, il y a des milliers de partisans qui ne sont pas contents mais qui ne peuvent rien dire parce qu’il y a des gourous qui veulent éternellement manger.
Retirez-vous à Assinie, seul dans la méditation, dans le silence en interrogeant votre cœur, votre éducation ainsi que le bon sens et vous trouverez certainement un cadre de ce pays digne de votre succession et capable de continuer la marche. Allah, le Miséricordieux, notre Dieu à tous se souviendra de votre geste.
M. le Président je vous propose cinq choses au nom de la réconciliation et de la paix: Remettre un passeport diplomatique au président Gbagbo et au ministre Charles Blé Goudé, faire revenir tous les exilés, faire libérer tous les prisonniers politiques et militaires et vous retirez de la course. Si vous posez cet acte, vous sortirez la tête haute et peut être qu’au nom de ces gestes votre candidat gagnera les élections parce que beaucoup d’Ivoiriens vous seront reconnaissants. Chers Ivoiriens proches du président Ouattara, voici des conseils que vous pouvez donner à notre chef pour son bien et pour le bien de toute la Côte d’Ivoire.
Vous les chrétiens catholiques, ministres catholiques, voici ce que vous pouvez dire au président, au nom de votre foi en Christ.
Ne cherchez pas votre gloire et votre honneur chers ministres catholiques, cherchez le bonheur du peuple. Se dire ministre catholiques, c’est dire la vérité pour le bien du peuple et non seulement demandez une messe quand le premier ministre meurt ou partager du riz dans les séminaires, donner des enveloppes sur les paroisses. Dieu ne voit pas tout cela. Dieu regarde ce que vous posez comme acte fort dans la vérité évangélique pour sauver le peuple.
M. le Président, je ne suis pas Dieu, je ne suis pas un prophète, je ne suis qu’un citoyen qui vous dit ce qui est bien parce que moi ce que je gagne en vous disant cela c’est le salut du peuple et sauver votre honneur, alors que les délégations qui font des processions à votre résidence avec tambours et trompettes affirmant que vous êtes le messie, ne recherchent que des billets de banque et des rangs.
Demain, les mêmes diront qu’ils ont été trahis par Satan. M. le Président que dira le tribunal de l’histoire aux générations à venir ?
Père Marius Hervé Djadji
Docteur en Théologie
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