Le président syrien met en garde Paris et Washington contre les répercussions d’une intervention. 

assadLE CHEF DE L’ÉTAT syrien a accordé lundi matin un entretien exclusif à notre envoyé spécial.

LE FIGARO. – Pouvez-vous nous démontrer que votre armée n’a pas recouru aux armes chimiques le 21 août dans la banlieue de Damas ?

Bachar EL-ASSAD. – Quiconque accuse doit donner des preuves. Nous avons défié les États-Unis et la France d’avancer une seule preuve. MM. Obama et Hollande en ont été incapables, y compris devant leurs peuples. Deuxièmement, parlons de la logique de cette accusation. Quel intérêt à attaquer à l’arme chimique, alors que notre situation sur le terrain est aujourd’hui bien meilleure qu’elle ne l’était l’année dernière ? Comment une armée, dans n’importe quel État, peut-elle utiliser des armes de destruction massive, au moment où elle progresse au moyen d’armes conventionnelles ? Je ne dis nullement que l’armée syrienne possède ou non de telles armes. Supposons que notre armée souhaite utiliser des armes de destruction massive : est-il possible qu’elle le fasse dans une zone où elle se trouve elle-même et où des soldats ont été blessés par ces armes comme l’ont constaté les inspecteurs des Nations unies en leur rendant visite à l’hôpital ? Où est la logique ? Qui plus est, est-il possible d’utiliser des armes de destruction massive dans la banlieue de Damas sans tuer des dizaines de milliers de personnes, car ces matières sont portées par le vent ? Toutes les accusations se fondent sur les allégations des terroristes et sur des images vidéo arbitraires diffusées sur Internet.

Les États-Unis affirment avoir intercepté un entretien téléphonique d’un haut responsable syrien reconnaissant l’utilisation d’armes chimiques ?

Si les Américains, les Français ou les Britanniques disposaient d’une seule preuve, ils l’auraient montrée, dès le premier jour.

Est-il possible que certains responsables de votre armée aient pris cette décision sans votre aval ?

Nous n’avons jamais dit posséder des armes chimiques. Votre question insinue des choses que je n’ai pas dites, et que nous n’avons ni confirmées ni niées en tant qu’État. Mais normalement, dans les pays qui possèdent une telle arme, la décision est centrale.

Barack Obama a reporté les frappes militaires contre la Syrie. Comment interprétez-vous cette décision ?

Certains ont vu en lui le chef fort d’une grande puissance, parce qu’il a menacé de déclencher la guerre contre la Syrie. Nous estimons que l’homme fort est celui qui empêche la guerre, et non celui qui l’enflamme. Si Obama était fort, il aurait dit publiquement : « Nous ne disposons pas de preuves sur l’usage de l’arme chimique par l’État syrien. » Il aurait dit publiquement : « La seule voie est celle des enquêtes onusiennes. Par conséquent, revenons tous au Conseil de sécurité. » Mais Obama est faible, parce qu’il a subi des pressions à l’intérieur des États-Unis.

Que diriez-vous aux membres du Congrès américain, qui doivent voter pour ou contre ces frappes ?

Quiconque souhaite prendre cette décision doit au préalable se poser la question de savoir ce que les guerres récentes ont apporté aux États-Unis ou même à l’Europe. Qu’a gagné le monde en Libye ? Qu’a-t-il gagné de la guerre en Irak et ailleurs ? Que gagnera-t-il du renforcement du terrorisme en Syrie ? La tâche de tout membre du Congrès consiste à servir l’intérêt de son pays. Quel serait l’intérêt des États-Unis dans la croissance de l’instabilité et de l’extrémisme au Moyen-Orient ? Quel serait l’intérêt des parlementaires américains à poursuivre ce que George Bush avait commencé, à savoir répandre les guerres dans le monde.

Quelle sera votre riposte ?

Le Moyen-Orient est un baril de poudre, et le feu s’en approche aujourd’hui. Il ne faut pas seulement parler de la riposte syrienne, mais bien de ce qui pourrait se produire après la première frappe. Or personne ne peut savoir ce qui se passera. Tout le monde perdra le contrôle de la situation lorsque le baril de poudre explosera. Le chaos et l’extrémisme se répandront. Un risque de guerre régionale existe.

Israël serait-il visé par une riposte syrienne ?

Vous ne vous attendez quand même pas à ce que je révèle quelle sera notre riposte.

Que diriez-vous à la Jordanie où des rebelles s’entraînent ?

La Jordanie a déjà annoncé qu’elle ne servira de base à aucune opération militaire contre la Syrie. Mais si nous ne parvenons pas à éradiquer le terrorisme chez nous, il passera tout naturellement dans d’autres pays.

Vous mettez donc en garde la Jordanie et la Turquie ?

Nous l’avons dit à plusieurs reprises, et nous leur avons envoyé des messages directs et indirects. La Jordanie en est consciente, malgré les pressions qu’elle subit pour devenir un lieu de passage des terroristes. Quant à Erdogan, je ne pense pas du tout qu’il est conscient de ce qu’il fait.

Quelle sera la réaction de vos alliés, le Hezbollah et l’Iran ?

Je ne veux pas parler à leur place. Cependant, leurs déclarations sont claires, et personne ne saurait dissocier les intérêts de la Syrie de ceux de l’Iran et du Hezbollah. Aujourd’hui, la stabilité de la région dépend de la situation en Syrie.

Que proposez-vous pour arrêter le bain de sang en Syrie ?

Au début, la solution devait être trouvée par un dialogue d’où naîtraient des mesures politiques. Aujourd’hui, la situation est différente. Nous combattons des terroristes. 80 à 90 % de ceux que nous combattons appartiennent à al-Qaida. Ceux-là ne s’intéressent ni aux réformes ni à la politique. Le seul moyen de leur faire face est de les liquider. Alors seulement, nous pourrons parler de mesures politiques. La solution aujourd’hui consiste à arrêter de faire venir des terroristes en Syrie, de leur fournir des armes, et de leur apporter un soutien financier et autre, comme le font l’Arabie saoudite en premier lieu, la Turquie, la Jordanie, la France, le Royaume-Uni et les États-Unis.

Seriez-vous prêt à inviter les responsables de l’opposition à venir en Syrie, à leur présenter des garanties sécuritaires ? À leur dire « asseyons-nous ensemble pour trouver une solution » ?

En janvier dernier, nous avons lancé une initiative qui comprenait tout ce que vous venez de dire, et même plus. Cependant, l’opposition dont vous parlez a été fabriquée à l’étranger, elle ne dispose d’aucune base populaire en Syrie. Elle est made in France, made in Qatar, mais certainement pas made in Syria. Elle suit les ordres de ceux qui l’ont fabriquée. Il n’a donc pas été permis aux membres de cette opposition de répondre favorablement à notre appel, ni aux solutions politiques pour sortir de la crise.

La France, après avoir été votre alliée à la fin des années 2000, est aujourd’hui alliée des États-Unis pour engager la force contre votre régime. Comment interprétez-vous ce changement ?

La relation que j’avais avec la France dans le passé n’était pas une relation d’amitié. C’était une tentative française de changer l’orientation de la politique syrienne, et ce à la demande des États-Unis. C’était clair pour nous, et cela s’est fait à partir de 2008 sous l’influence du Qatar. Pour être clair, la politique de la France vis-à-vis de la Syrie dépendait alors totalement du Qatar et des États-Unis.

Les parlementaires français se réuniront mercredi pour parler d’un engagement français contre la Syrie. Quel message leur adressez-vous ?

Après l’invasion de l’Irak en 2003, la France a décidé de renoncer à son indépendance et est devenue un acteur subalterne de la politique américaine. C’était vrai pour Chirac, mais aussi pour Sarkozy, et aujourd’hui pour Hollande. La question est de savoir si la réunion du Parlement français signifiera que les Français retrouveront l’indépendance dans leur prise de décision. Nous souhaitons que ce soit le cas. Que les parlementaires français décident en fonction de l’intérêt de la France. Je leur demande : pouvez-vous soutenir l’extrémisme et le terrorisme ? Peuvent-ils se mettre du côté de ceux qui, comme Mohamed Merah, ont tué des innocents en France ? Comment la France peut-elle combattre le terrorisme au Mali et le renforcer en Syrie ? La France deviendra-t-elle un exemple de la politique du « deux poids deux mesures » promue par les États-Unis ? Comment les parlementaires français pourront-ils convaincre leurs concitoyens que la France est un État laïc, et en même temps appuyer ailleurs le confessionnalisme ; un État qui appelle à la démocratie mais dont les principaux alliés sont des États qui appartiennent au Moyen Âge comme l’Arabie saoudite.

La France est-elle devenue un pays ennemi de la Syrie ?

Quiconque contribue au renforcement financier et militaire des terroristes est l’ennemi du peuple syrien. Quiconque œuvre contre les intérêts de la Syrie et de ses citoyens est un ennemi. Le peuple français n’est pas notre ennemi, mais la politique de son État est hostile au peuple syrien. Dans la mesure où la politique de l’État français est hostile au peuple syrien, cet État sera son ennemi. Cette hostilité prendra fin lorsque l’État français changera de politique. Il y aura des répercussions, négatives bien entendu, sur les intérêts de la France.

Jusqu’où êtes-vous prêt à vous battre ?

Nous avons deux choix : nous battre et défendre notre pays contre le terrorisme ou capituler. Lorsqu’il s’agit d’une question patriotique, tout le monde se bat, et tout le monde se sacrifie pour sa patrie. Il n’y a aucune différence entre le président et un citoyen.

Vous ne contrôlez plus de larges parties du territoire. Comment pouvez-vous les récupérer ?

Notre problème n’est pas d’avoir la terre sous notre contrôle. Il n’y a pas un endroit où l’armée a voulu entrer sans pouvoir y pénétrer. Le vrai problème réside dans la poursuite du passage des terroristes à travers les frontières. Il réside aussi dans le changement que les terroristes ont pu introduire sur le plan social dans les zones où ils ont pénétré.

Plusieurs journalistes français sont retenus en Syrie. Avez-vous de leurs nouvelles ? Est-ce le pouvoir qui les détient ?

S’ils sont otages chez les terroristes, c’est aux terroristes qu’il faut demander de leurs nouvelles. Si en revanche l’État arrête quiconque pour être entré dans le pays de manière irrégulière, il sera traduit en justice.