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ylvain Guédé Débailly: Depuis le dernier conseil des ministres du gouvernement Ouattara, les événements se sont enchaînés qui ont abouti au transfèrement de Charles Blé Goudé. Est-ce qu’on pouvait s’y attendre ?

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Steve Beko: A titre personnel, je m’y attendais depuis un bon moment même si le régime Ouattara donnait dans le dilatoire en professant le contraire. Je pense que Charles Blé Goudé jouit d’un tel aura auprès de la jeunesse ivoirienne qu’il fallait pour eux s’en débarrasser. Mais bien au delà, on peut affirmer sans risque de se tromper qu’il a fait les frais d’une guerre de positionnement au sein de l’appareil du parti au pouvoir. Je pense que Hamed Bakayoko a tout mis en œuvre pour faciliter le transfert de Blé afin de mettre une pression supplémentaire sur les épaules de Soro qui est aussi visé par les mandats encore sous scellés

Sylvain Guédé Débailly : Mais le gouvernement ivoirien avait envoyé une demande de sursis pour juger Blé et Simonne Gbagbo au pays non ?

steve-beko1Steve Beko: Oui c’est sûr que certains au sein de l’appareil de l’Etat avaient intérêt à ce que plus aucun ivoirien ne soit transféré mais ils ont certainement perdu cette bataille. J’estime que le jeu des photographies de Charles Blé Goudé aussi bien à la DST que dans une résidence était justement une manœuvre de Hamed Bakayoko afin que non seulement la CPI mais aussi les chancelleries occidentales accentuent la pression auprès du régime sous prétexte que le prisonnier serait maltraité. Quand on connaît les méthodes mafieuses du ministre de l’intérieur de Ouattara, on comprend très aisément que personne en dehors de lui ou de son obligé ne pouvait s’introduire à la DST afin de faire des prises de vue à un prisonnier. Soro a tout mis en œuvre afin que Blé soit jugé ici mais il a perdu la bataille qu’il a mené jusqu’au bout puisque ses proches dont Gnenema Coulibaly et Alain Lobognon se sont opposés à l’opération en conseil des ministres. En ce qui concerne Simone Gbagbo je pense que le régime craint encore d’être le premier pouvoir africain à transférer une femme à la Cpi et d’ailleurs Gnenema Coulibaly ne dit pas le contraire lorsqu’il parle d’une question « d’image » pour justifier le refus du transfert de l’épouse du président Gbagbo

Sylvain Guédé Débailly: Donc selon vous c’est un autre épisode de la guerre des clans notamment Soro et Hamed Bakayoko qui a emporté Blé ?

Steve Beko : J’en suis intimement convaincu. Certains faits que j’ai déjà énumérés et d’autres dont je ne peux pas parler pour le moment convergent dans ce sens. Il n’y a qu’a voir sur qui la pression est maintenant depuis le transfèrement du ministre Charles Blé Goudé. On sait que les trois prochains mandats viseront des membres de l’ex rébellion.

Sylvain Guédé Débailly Mais ce ne sera certainement pas avant 2015.ils se seront préparés  

Steve Beko:  Peu importe le moment mais c’est sur que certaines chefs rebelles seront réclamés par Fatou Bensouda avant Soro. Cependant, je ne crois pas que Soro ira à la CPI. Ouattara, la France et tous ceux qui l’ont aidé dans sa forfaiture n’y ont pas intérêt. Je pense que lorsque l’étau tendra à se refermer sur lui, il empruntera à nouveau la voie des armes et sera tué à moins que se soit lui qui tue ses adversaires pour prendre le pouvoir.

Sylvain Guédé Débailly :Et la position du Fpi face à tout cela, la comprenez-vous ? Le parti de Laurent Gbagbo estime que le gouvernement a ainsi rompu. Ca suffit comme réaction selon vous ?  

Steve Beko: Je ne sais pas quand est ce que le dialogue a commencé et les actes qui l’ont accompagné pour que l’on parle de rupture. C’est une faveur que le Fpi fait au régime en utilisant le verbe « rompre ». Il faut constater que le gouvernement n’a jamais été disposé à aller vers une conciliation et tirer les conséquences qui s’imposent. Pour le reste, je pense que la direction du FPI est assez mature pour nous conduire vers la meilleure attitude à adopter face à cette situation. Elle bénéficie de toutes ma confiance et de celle de tous les ivoiriens épris d’une Côte d’Ivoire nouvelle débarrassée du règne des comzones en cravate

Sylvain Guédé Débailly Mais avec aujourd’hui la déportation de Blé qui ne dit pas son nom, la thèse du deal qui avait été véhiculée au lendemain de son extradition à Abidjan tient encore la route ?  

Steve Beko Je pense que la thèse du deal est une mauvaise appréciation des évènements que nous avons vécu. Quand un camarade de lutte est aux prises avec l’ennemi, il y a des idées qu’il ne faut pas véhiculer au risque d’affaiblir son propre camp. Tous les ivoiriens savent qui est Blé Goudé et ce qu’il a fait pour ce pays. On peut ne pas être d’accord avec lui sur certains aspects de notre lutte mais il faut lui reconnaître sa bravoure et sa témérité. J’estime qu’il n’est plus nécessaire d’évoquer cette thèse qui tout compte a toujours été marginale au sein des ivoiriens.

Sylvain Guédé Débailly :Face à la situation qui rendait le climat lourd, certains dans l’opposition ont suggéré l’occupation de la rue. dans une publication vous avez répondu que le fruit n’est pas mûr. A quel moment selon vous peut-on considérer que le fruit est mûr ?  

Steve Beko: Si ceux qui ont la lourde charge de conduire notre camp sur le terrain au pays n’engagent pas le peuple à descendre dans les rues, c’est juste que le moment n’est pas encore opportun. Il faut s’en tenir à cela et continuer à sensibiliser les ivoiriens de tous bords sur les risques que fait courir le régime Ouattara à notre pays. Si en dépit de tous les appels au bon sens qui sont lancés par les ivoiriens, le pouvoir Ouattara s’entête à construire et renforcer le totalitarisme, les ivoiriens prendront leur responsabilité sans qu’aucun leader n’ait besoin de les inviter dans la rue. Tous les acquis démocratiques que nous avons obtenus depuis le parti l’ont été par la force la rue, les mains nues donc les ivoiriens savent le faire. Il appartient à Ouattara de nous éviter le chaos.

Sylvain Guédé Débailly: Jusque là, le Pdci Rda, allié de Ouattara n’a pas encore donné sa position officielle sur le transfèrement de Blé. Pensez-vous que celle-ci peut être différente de celle du rdr ?

Steve Beko : La position du PDCI est connu puisqu’il siège au gouvernement de Ouattara où la décision du transfèrement de Charles Blé Goudé a été prise. La classe dirigeante de ce parti partage donc l’entière responsabilité de cet acte. Je ne crois cependant pas que les militants du PDCI approuvent qu’un autre ivoirien soit déporté loin des siens quelles que soient les divergence d’opinion que l’on peut avoir.

Sylvain Guédé Débailly: D’une manière générale, dans un environnement où on exulte d’un côté pendant que c’est le désarroi et la tristesse dans le camp Gbagbo, comment voyez-vous l’avenir de la Côte d’Ivoire à court et moyen termes ?

Steve Beko : Dans un pays ou l’on fait la promotion de la justice à double vitesse et du rattrapage ethnique, il ne peut régner de cohésion. A ce jour, 800 partisans présumés du président Gbagbo croupissent dans les geôles du régime Ouattara sans jugement pour la grande partie. Quelle Côte d’Ivoire peut-on bâtir dans ces conditions. Les ivoiriens sont aujourd’hui plus divisés qu’il l’étaient lorsqu’il avait une partition du pays. Le camp des vainqueurs estime qu’il doit écraser les vaincus tandis que ces derniers ruminent leur colère et leur amertume. Si l’on ne change pas de cap dès à présent, je crains de graves troubles à l’horizon. C’est d’ailleurs pourquoi je suis outré par le silence assourdissant des chefs religieux et de la société civile qui étaient si prompt a crier à hu et à dia sous le président Gbagbo mais qui se refugient dans un mutisme coupable sous Ouattara. On regarde le tissu social se déchirer chaque jour un peu plus. Cela n’annonce rien de bon pour notre pays malheureusement.

Sylvain Guédé Débailly: Le gouvernement Ouattara a lancé une opération de recensement en dépit des réserves de l’opposition. le ministre d’Etat Mabri a dit que ce n’est pas pour 74 000 exilés qu’on va va remettre le recensement à plus tard.

Steve Beko: Cette phrase à elle seule traduit tout le mépris que la coalition au pouvoir à pour les ivoiriens qui ne sont pas de leur bord. Il faut juste rappeler à Mabri que hier, pour deux ivoiriens qui étaient en exil, Alassane Ouattara et Henri Konan Bédié, le président Gbagbo a organisé le forum de la réconciliation nationale.

In le journal Révélation du 27 mars 2014