Notre Afrik: Quel bilan allez-vous mettre en avant pour le président Alassane Ouattara durant la campagne électorale?
Guillaume Soro : Ce qui est frappant et très visible, c’est son bilan économique. Arriver au pouvoir dans le contexte que vous connaissez, avec une dé- croissance économique de près de 7% et remonter la pente pour maintenir le taux de croissance à environ 10% trois années durant, ce n’est pas rien ! La relance de l’économie nationale est évidemment un grand succès. Dans certains pays où je suis allé, on m’a demandé quel était le secret de la Côte d’Ivoire pour avoir un taux de croissance aussi élevé…Au plan diplomatique, la Côte d’Ivoire a réussi à revenir dans le concert des nations. Notre pays est redevenu crédible sur le plan international grâce à l’action du président de la République. De même, sur le plan sécuritaire, la Côte d’Ivoire est redevenue une destination sûre. Pour preuve, notre aéroport vient d’être certifié par l’agence nationale américaine de sécurité. Je pense que le bilan du président Ouattara est tel qu’il est en mesure de remporter la présidentielle dès le premier tour.
Cette embellie économique ne se ressent pourtant pas encore dans les paniers de toutes les ménagères ivoiriennes.
Soyez patients. Trois ans de croissance ne vont pas rendre tous les Ivoiriens riches tout de suite. Vous n’ignorez pas dans quel état le président Ouattara a trouvé le pays. Aujourd’hui, grâce aux politiques sociales mises en place, notamment la couverture maladie universelle, les Ivoiriens commencent à ressentir les bienfaits de la politique volontariste du président. Sans compter les nombreux chantiers lancés dans l’ensemble du pays. La Côte d’Ivoire a ainsi renoué avec les grands projets d’infrastructures, vecteurs de développement et créateurs d’emplois. Le pont Henri Konan Bédié, troisième pont de la capitale économique, et qui relie le Nord et le Sud d’Abidjan, inauguré en décembre 2014, en est une parfaite illustration.
Sur le plan sécuritaire, tout n’est pas encore rose…
Évidemment, il reste encore beaucoup d’efforts à faire notamment en raison d’un contexte sous régional précarisé, qui joue effectivement sur la Côte d’Ivoire, compte tenu de la libre circulation des personnes. Reste aussi à régler la question du désarmement et de la réinsertion des ex-combattants. Si vous prenez par exemple le cas du Rwanda, 17 ans après les événements de 1994, le pays n’a pas encore fini de régler ce chantier de réinsertion des ex-combattants. C’est un processus long.
L’un des griefs fait au président Ouattara par l’opposition est l’absence de volonté pour aller rapidement à la réconciliation nationale…
Je comprends l’impatience des uns et des autres, mais des questions comme celle de la réconciliation ne peuvent pas se résoudre par enchantement ou par un coup de baguette magique. Voyez-vous, dans l’Afrique du Sud post-apartheid, on continue de parler de réconciliation, et pourtant, c’est un processus entamé depuis le début des années 1990. J’ai le sentiment qu’on est trop impatient avec la Côte d’Ivoire, peut- être aussi parce que la Côte d’Ivoire suscite beaucoup d’espoir. Il faut laisser du temps pour que les douleurs s’apaisent, pour que les plaies se cicatrisent. Et c’est dans ce prolongement qu’on pourrait renforcer la ré- conciliation.
Au Front populaire ivoirien, les partisans de l’ancien président, Laurent Gbagbo, s’estiment encore persécutés aujourd’hui.
S’ils ne le disaient pas, ce serait surprenant parce qu’ils n’ont pas d’autres discours pour attendrir la communauté internationale.
Le président Ouattara doit-il gracier l’ex-Première dame Simone Gbagbo?
Le président de la République ne peut pas la gracier tant que la procédure judiciaire n’arrive pas à son terme.
Et si cela peut contribuer à l’apaisement?
Il revient au président de la Ré- publique d’apprécier.
On reproche aussi au président de pratiquer le rattrapage ethnique, notamment en ce qui concerne les nominations dans l’administration…
C’est un slogan politique. Pour la simple raison que lorsqu’un président de la République est élu, il vient évidemment avec une équipe. S’il ne reste qu’un pré- carré qui l’accompagne, surtout quand on a longtemps duré dans l’opposition et qu’on est passé par mille épreuves. C’est donc avec ses hommes de confiance qu’il s’installe. Aussi, ne peut-on parler de rattrapage, du moment où on a connu le pré carré du président Ouattara. On ne peut pas lui demander de chasser ses fidèles quand il arrive au pouvoir. Ces derniers doivent-ils être brimés parce qu’ils sont de la même région que lui ? J’ai été Premier ministre du président Ouattara et nous avons toujours privilégié la compétence. Tous les Directeurs généraux que j’ai nommés à la Primature, l’ont toujours été sur appel à candidatures. Il faut éviter une autre ivoirité à rebours. Qu’on nous présente des Ivoiriens qui ont été nommés par le président Ouattara sans avoir la compétence requise. A ce moment, on pourra en discuter.
L’appel de Daoukro est-il viable?
Je suis convaincu que le fait de mettre le Pdci (Parti démocratique de Côte d’Ivoire, Ndlr) et le Rdr (Rassemblement des républicains, Ndlr) ensemble, et que les héritiers du président Félix Houphouët-Boigny se retrouvent pour recréer le grand parti qu’il avait laissé, le Pdci-Rda (Parti démocratique de Côte d’Ivoire – Rassemblement démocratique africain, Ndlr) est une bonne chose. Cet appel de Daoukro est comparable à celui de 1951, lorsque, face à la multitude de partis politiques et à la politique du « diviser pour régner du colon », Houphouët-Boigny avait demandé à tous les partis de venir fusionner pour créer le Pdci-Rda.
Êtes-vous partisan d’une réunification Pdci-Rdr?
La Côte d’Ivoire a trop souffert de ces divisions. L’union fait la force. Dans la mesure où ces deux partis n’ont pas d’opposition idéologique et ont le même Adn, pourquoi devrait-il avoir morcellement des forces politiques ? Certains caciques du Pdci contestent la démarche d’Henri Konan Bédié, le président du parti… Cela est légitime mais pas démocratique. Qu’ils aillent le faire au sein des instances du parti, en l’occurrence le congrès du Pdci-Rda.
Le fait que Charles Konan Banny prenne la tête des frondeurs ne va-t-il pas compliquer les choses?
Non, pas du tout ! Je ne vois aucun inconvénient à la candidature de Charles Konan Banny.
Avez-vous fait la paix avec Charles Konan Banny après votre passe d’armes sur les réseaux sociaux en mars dernier?
Passe d’armes, c’est trop fort.
Que s’est-il passé ?
J’avais fait un discours dans lequel j’ai dit qu’« on ne devient pas président grâce aux applaudissements ». Peut-être que certains proches de M. Banny ont pensé que je m’adressais à lui. Jamais je n’ai pensé à lui. Je voulais simplement dire que pour être président, il faut avoir beaucoup plus d’atouts que les applaudissements. Il faut avoir du charisme et de la compétence.
Et que pensez-vous de cette nouvelle coalition pour le changement qui vient de voir le jour?
C’est légitime que l’opposition s’organise pour aller aux élections. C’est cela la démocratie. On aura des élections intéressantes.
On vous annonçait à un moment à la présidence du Rdr. Ce job vous intéresset-il?
On ne peut pas empêcher les rumeurs d’aller bon train. Sachez que le Rdr va organiser un congrès ordinaire au cours duquel le nouveau président sera élu. Si à ce congrès-là, certains militants pensent que je peux assumer le job, je ne me défausserai pas.
En Côte d’Ivoire, vous êtes l’homme politique qui communique le plus via les réseaux sociaux [Plus de 160 000 followers sur Tweeter]. Assumez-vous cette transparence?
Je l’assume, car la gouvernance a été notablement modifiée avec l’apparition des réseaux sociaux. J’ai considéré qu’au lieu de rester en marge de ces nouveaux outils de communication, il fallait les comprendre, les apprivoiser et les utiliser. C’est la raison pour laquelle j’ai suivi une formation pour maîtriser l’utilisation des réseaux sociaux. Vous conviendrez avec moi que cette transparence est nécessaire à l’édification de la démocratie. Nous sommes dans une transition démographique en Afrique avec une population de plus en plus jeune. Nous devons être en phase avec ces jeunes-là.
Êtes-vous conscient que ces réseaux sociaux peuvent nuire et être dangereux?
Absolument, j’en suis conscient, les réseaux sociaux ont leur part de dangerosité. Combien de fois ne me suis-je pas fait brocarder sur Facebook et Twitter pour un mot qui aurait pu être malheureux pour certains.
A 43 ans, vous êtes, vous aussi, jeune, et certains, comme je l’ai lu ci et là, estiment que vous êtes un homme pressé…
Je laisse dire ces officines politiques qui veulent me faire passer pour quelqu’un de pressé. Pour ce qui me concerne, j’ai toujours pensé que chaque chose avait un temps et je me considère plutôt comme un homme de mission. On m’a choisi pour réhabiliter la Fesci (Fédération estudiantine et scolaire de Côte d’Ivoire, Ndlr) qui était dissoute, je l’ai fait en homme de mission. Et la Fesci a été reconnue par le président Henri Konan Bédié. On m’a confié la mission d’organiser des élections démocratiques et transparentes en Côte d’Ivoire: quel que soit ce que cela a pu nous coûter en termes de risques pour nos vies, cette élection a été organisée en 2010. Le président Ouattara m’a nommé Premier ministre, j’ai rempli ma mission avec succès. On m’a désigné président de l’Assemblée nationale, et je m’attelle à redonner vie à l’institution parlementaire. En quoi prétend-on que je suis pressé ?
Estimez-vous avoir été précoce en politique?
J’ai été leader du mouvement étudiant à 22 ans, dirigé une rébellion comme celle de la Côte d’Ivoire à 29 ans, Premier ministre à 34 ans et président de l’Assemblée nationale à 39 ans. Si mon parcours peut donner le sentiment aux gens que je suis pressé, je rappelle qu’en France, Laurent Fabius a été nommé Premier ministre par François Mitterrand à 37 ans, faisant de lui le plus jeune chef de gouvernement de l’histoire de la République française. En Belgique, l’actuel Premier ministre, Charles Michel a pris fonction à 38 ans. Il avait déjà été ministre des Affaires intérieures à 25 ans. Vous voyez donc que je ne suis ni précoce ni pressé. Premier ministre à 34 ans, élu président de l’Assemblée nationale à 39 ans.
C’est tout de même inhabituel en Afrique. Y voyez-vous un signe du destin?
Je suis chrétien et je crois en Dieu. Et je pense que n’arrive aux hommes que ce que Dieu permet. Quand vous avez côtoyé la mort à plusieurs reprises comme ce fut mon cas, vous êtes un autre homme. Je crois en vérité que personne n’échappe à son destin.
Comme un destin présidentiel en 2020?
Il est légitime pour tout citoyen de vouloir prétendre à être président de la République. Cependant, je ne suis pas homme à privilégier l’ambition individuelle. Je suis bien placé pour savoir que les positions et les postures en politique sont souvent volatiles.
Est-il aisé d’être le dauphin constitutionnel?
Être président de l’Assemblée nationale sous nos tropiques, combiné au dauphinat constitutionnel, est une posture difficile, presqu’intenable.
Recevez-vous beaucoup de coups?
J’en reçois tous les jours. Quand vous êtes dauphin constitutionnel, c’est à peine si on ne vous accuse pas de souhaiter secrètement la mort du président de la République pour assurer l’intérim. Et vous savez qu’ici en Afrique, les croyances mystiques sont très fortes. Quand de surcroît vous êtes, comme moi, un jeune président d’Assemblée nationale… Dans d’autres pays africains, on choisit une personnalité d’un âge tel que la prétention un jour d’être candidat à la présidentielle ne peut lui traverser l’esprit.
Dans ce contexte, vous est-il déjà arrivé d’évoquer la question de confiance avec le président Ouattara?
C’est une question que nous avons évoquée. Si vous vous souvenez, avant même qu’il ne soit président de la République, quand j’avais signé l’Accord politique de Ouagadougou, certains de l’opposition avaient crié à la trahison de Guillaume Soro. Et le président Ouattara m’a toujours dit : «Guillaume, n’écoute pas ces oiseaux de mauvais augure, toi et moi sommes en confiance et c’est ce qui compte.»
Cette relation reste-t-elle intacte?
Je pense qu’il continue de me faire confiance. Je dois vous dire que sur certaines questions de portée nationale, le président de la République m’a toujours fait le privilège de m’en parler.
Certains journaux ivoiriens ont pourtant vu dans le récent limogeage du ministre des Sports, Alain Lobognon, un de vos proches, comme une manière de vous isoler…
Chaque année, j’entends la même rengaine. Elle est maintenant éculée. Pourquoi le président voudrait-il m’isoler ? S’il y a bien une chose qu’on doit reconnaître au président Ouattara, c’est son sens élevé de l’État. C’est un républicain. Il m’a fait l’honneur de me tenir informé de l’évolution du dossier des primes impayées et de sa décision de remanier le gouvernement.
Regrettez-vous le départ de M. Lobognon du gouvernement?
Je regrette simplement tout le charivari autour de cette affaire. Cependant, l’opinion doit apprendre à dédramatiser les entrées et les sorties des ministres du gouvernement. Ma conviction est faite qu’on n’entre pas dans un gouvernement pour s’y fossiliser. Le ministre Lobognon sait qu’il y a une vie après le gouvernement. La situation était devenue intenable pour tous.
Serez-vous le Directeur de campagne du président Ouattara pour la présidentielle d’octobre?
Je vais vous faire une confidence. Par acquit de conscience, en début d’année, j’ai proposé au Président de la République de reconduire la direction de campagne de 2010 [L’actuel secrétaire général de la présidence, Amadou Gon Coulibaly, en était le directeur, Ndlr], en partant sur la foi du principe qu’on ne change pas une équipe qui gagne. Cette équipe a de l’expérience et l’a fait élire dans des conditions difficiles. A mon avis, cette équipe de campagne mérite d’être reconduite. En ce qui me concerne, j’essaierai d’apporter une plus-value au candidat.
Les observateurs prédisent un bras de fer entre l’actuel ministre de l’Intérieur, Hamed Bakayoko, et vous, pour la présidentielle de 2020…
C’est un scénario controuvé. Hamed Bakayoko est avant tout un ami.
Croyez-vous qu’il n’ait pas d’ambition?
Je n’en sais rien. Je ne peux ré- pondre à sa place.
J’ai lu dans la presse que le président Ouattara était agacé par votre rivalité…
Le président Alassane Ouattara est un homme d’État qui est au-dessus de ces considérations.
Quel est le principal trait de caractère du président Ouattara?
Homme de parole et de principe.
La principale qualité que vous appréciez chez lui?
La rigueur.
On vous dit orphelin de la chute de l’ex président du Burkina, Blaise Compaoré.
La chute du président Compaoré a été très difficile et pénible pour moi. Nous avons une relation très forte, et je ne vous cache pas que j’en ai souffert.
Vous le voyez très souvent. Comment va-t-il?
Il se porte bien et a gardé son humour habituel. Passer des moments avec lui est toujours très agréable.
La transition va-t-elle dans le bon sens au Burkina?
Depuis le départ du pouvoir du président Compaoré, par convenance et par respect pour le président Alassane Ouattara, et la fonction que j’occupe, je me suis désormais interdit tout commentaire sur la politique intérieure du Burkina.
Source : Notre Afrik de juin 2015