«Le calendrier de juillet-août ne peut pas être tenu»
«Les indicateurs sont aujourd’hui au vert»
De la situation en République centrafricaine, le ministre des Affaires étrangères, de l’Intégration africaine et de la Francophonie du gouvernement de transition, Toussaint Kongo Doudou, dit qu’elle évolue dans la bonne direction. Le chef de la diplomatie centrafricaine achève une mission à Abidjan où il a été reçu par le président Alassane Ouattara. L’ancien fonctionnaire onusien a répondu aux questions de l’Inter avant son départ de la Côte d’Ivoire.
Quel sens donnez-vous à votre visite à Abidjan ?
Il s’agit d’une visite de paix, d’amitié et de fraternité. elle vise à réchauffer les relations entre la République centrafricaine et la Côte d’ivoire. Ces relations se sont refroidies suite aux impairs de certains de nos prédécesseurs. Mais, aujourd’hui, à la tête de l’État, la présidente de la transition, Catherine Samba-Panza, a estimé qu’il était essentiel de ré- tablir les liens avec la Côte d’ivoire, car, par le passé, les deux pays ont eu des relations très solides. elle m’a instruit de me rapprocher de son frère, le président Alassane Ouattara, pour essayer de redynamiser les liens. C’est dans ce cadre qu’elle m’a envoyé porter un message spé- cial à son homologue ivoirien. Donc, c’est une visite pour le renforcement des liens entre la République de Côte d’ivoire et la République centrafricaine.
Le président Alassane Ouattara vous a-t-il donné des assurances quant au soutien de la Côte d’ivoire au processus de sortie de crise en République centrafricaine ?
Le président Alassane Ouattara, qui est un grand homme d’État, a partagé avec nous, ses idées, sa vision sur la promotion de la paix en République centrafricaine. Il a accueilli, avec beaucoup de bonheur, cette initiative de la présidente de la transition, Catherine Samba-Panza. Ils s’étaient d’ailleurs rencontrés à New York, en marge de l’Assemblée générale des Nations-unies, en septembre. C’est dans le cadre du suivi des discussions qui ont eu lieu à New York qu’elle m’a envoyé le voir. Le président Alassane Ouattara nous a assuré de la solidarité et de l’appui du peuple ivoirien au gouvernement de transition et à tous les efforts qui puissent aboutir à la paix dans notre pays. Il a partagé avec nous l’expérience de la Côte d’ivoire qui, à un moment donné de son histoire, a connu certaines des difficultés que nous vivons en République centrafricaine. C’est fort de cela qu’il nous a partagé sa vision sur ce qu’il pense en terme de stratégie de sortie de crise, au regard des efforts qu’il a, lui-même, faits au niveau de la Côte d’ivoire, dans le domaine de la réconciliation nationale. Il nous a assuré que l’approche que nous avons adoptée en République centrafricaine, une approche inclusive, devait être poursuivie et renforcée. Le président Alassane Ouattara a été ravi que nous ayons pris le taureau par les cornes et que cela fasse partie de notre démarche sur le plan politique.
Venons-en à la situation sur le terrain. Il y a seulement deux ans, le pays était complètement déstructuré et ruiné par la violence. Comment se porte, aujourd’hui, la Rca?
Les moments que nous avons connus étaient des moments très difficiles. il y a un an, nous avions plus d’un million de dé- placés internes. Aujourd’hui, nous en avons moins de 400.000. Sur le plan politique, suite aux accords de Brazzaville relativement à la cessation des hostilités, nous avons organisé le forum de Bangui qui a commencé par une large consultation à la base. Nous avons sillonné tout le territoire pour que les populations nous proposent le schéma d’une République centrafricaine qu’elles souhaitaient avoir et dont elles rêvaient. Nous avons collecté toutes ces informations. Lors du forum de Bangui, nous sommes convenus des grandes lignes à suivre. La première ligne, et cela fait partie des grandes recommandations du forum, est la démobilisation des enfants armés. Un accord a été signé avec les différents groupes armés et ce, avec l’appui de l’Unicef. en tant que gouvernement de transition, nous allons nous assurer que toutes ces démarches aboutissent. La deuxième ligne, c’est qu’il y a eu un accord pour le processus de désarmement des différents groupes armés. Ils rentreront dans un processus de Désarmement, de démobilisation et de réinsertion, communément appelé Ddr. Un accord formel a été signé à l’occasion du forum. La troisième ligne, essentielle pour le reste de la transition, c’est que toutes les parties prenantes au forum de Bangui, ont signé un pacte républicain pour la paix et la réconciliation nationale. Voilà les indicateurs de progrès sur les plans humanitaire et politique. Le troisième indicateur touche au relèvement économique. Au plus fort de la crise, fin 2013, nous avions sur le plan économique, atteint un taux de croissance de -3,7 %. Je dis bien -3,7 %. Fin 2014, nous étions à un taux positif de 1,6 %. et les projections sont très optimistes pour 2015, avec un taux de 5 %. C”est vous dire que les efforts accomplis par le gouvernement de transition sont remarquables. Nous comptons poursuivre ces efforts. Le gouvernement de transition n’est pas dirigé par un parti politique. Ce sont les enfants du pays qui se sont mobilisés, certains venant de rébellions, d’autres de partis politiques, d’autres encore, des technocrates, afin de tirer le pays vers le haut. Les indicateurs sont aujourd’hui au vert.
Le forum de Bangui se voulait inclusif. Il reste que certains observateurs regrettent l’absence des partisans de l’ex-chef d’État Michel Djotodia et ceux de l’ancien président François Bozizé, à travers le mouvement Kwa Na Kwa. Qu’en dites-vous ?
Je puis vous assurer que tous les représentants des leaders de ces partis étaient présents à Bangui. Vous avez parlé du président Djotodia. Ses partisans sont dans le gouvernement. Nous avons des ministres Séléka. Djotodia n’y participe pas. Mais ses représentants sont présents. Nous travaillons main dans la main. Nous avons également des ministres qui représentent les branches anti-Balaka. Donc, lorsque vous parlez de Kwa na Kwa, ils ont des représentants dans le gouvernement.
Nous parlons précisément du forum
Ils ont eu des représentants au forum de Bangui où nous avons eu plus de 600 personnes. Ces personnes ne représentaient pas seulement les partis politiques, mais aussi les populations à la base. Nous avons fait venir les représentants de toutes les régions que nous avons sillonnées, du Nord au Sud, de l’est à l’Ouest. Donc, tous étaient représentés à Bangui. Ce n’était pas un forum de partis politiques. Mais un forum de Centrafricains, quelles que soient leurs opinions ou leurs obédience politiques. L’approche était inclusive. Malheureusement, certaines parmi les personnalités que vous citez, sont sous sanctions internationales. Nous sommes tenus, eu égard à nos engagements internationaux, de respecter ces sanctions.
Vous avez relevé la signature d’un accord sur le Ddr signé par plusieurs groupes armés. Certains critiques trouvent le processus un peu long. Cela est-il dû à un manque de ressources financières ou à la résistance de groupes armés ?
Le Ddr, vous savez, est un long processus. Pour avoir été à l’Onu, pendant plusieurs années, j’ai vécu l’expérience dans divers pays. Même au niveau de la Côte d’ivoire qui a connu une crise et qui s’en sort très bien, le processus est toujours en cours. Chez nous, certains veulent qu’en une année, on mette en œuvre le processus Ddr. Nous le souhaitons. Mais, c’est un processus qui sera long. Déclarer la guerre peut prendre cinq minutes, mais conduire un processus censé aboutir à la paix et au désarmement total, peut prendre plusieurs années. Cela demande, par ailleurs, des ressources. Nous sommes engagés dans cette voie avec les partenaires que nous avons rencontrés, récemment, à Bruxelles, à l’Union européenne. Nous avons discuté avec les partenaires afin qu’ils puissent continuer à nous appuyer dans le processus qui est coûteux. Mais, il faut commencer par des étapes. La première étape, c’est que tout le monde convienne de rentrer dans le processus Ddr. Un Haut-commissariat au Ddr a été créé. Les choses évoluent dans la bonne direction. Le Ddr fait partie des défis que nous devons relever. en plus du défi politique dont le processus est en cours, nous avons également, le défi électoral. La Communauté économique des États de l’Afrique centrale (Ceeac) a recommandé que les élections, qui devaient se tenir entre juillet et août, soient reportées pour la fin de l’année ou avant la fin de l’année. Ce, pour des raisons techniques. Pour nous permettre d’avoir les moyens de mobiliser les ressources nécessaires à l’organisation de ces élections afin qu’elles ne soient pas contestées. Donc, les élections et le Ddr sont parmi les dossiers les plus importants, les défis que nous devons relever dans le cadre de la sortie de crise.
Récemment, le ministre français des Affaires étrangères, Laurent Fabius, a indiqué que les élections devaient se tenir « impérativement » en 2015. Quand on considère que l’administration n’est pas redéployée sur l’intégralité du territoire, que les listes électorales sont à élaborer, sans oublier la question du financement des élections, est-ce que raisonnablement, ce calendrier pourra être tenu ?
Le calendrier de juillet-août ne peut pas être tenu. C’est pour cette raison qu’il y a eu report vers la fin de l’année. Mais, je crois qu’il y a déjà un consensus au niveau des partenaires internationaux que les élections ne pourront pas être organisées en juillet-août, comme prévu. C’est pour cela que la Ceeac a recommandé que les partenaires nous aident. Elle a demandé que les élections puissent se tenir au 31 décembre, au plus tard, pour des raisons techniques. Ces raisons sont liées au financement. Sur un budget de 22 milliards de Fcfa, prévu pour les élections, une bonne partie a été mobilisée. La République centrafricaine, à travers son budget national, a tenu ses engagements. Mais, nous avons un gap de 9 milliards de Fcfa à combler. Nous en appelons à tous nos partenaires, à tous les pays qui peuvent nous appuyer afin de combler le gap pour que nous nous dirigions vers les élections qui sont la clé de voûte de la sortie de crise. en tant que gouvernement de transition, nous avons la ferme volonté d’aller vers les élections pour qu’un gouvernement démocratiquement élu se mette en place. C’est la condition sine qua non de sortie de crise.
Certains analystes jugent l’échéance du premier trimestre 2016 plus raisonnable eu égard à l’importance du travail à faire. Que répondez-vous ?
Ce sont leurs évaluations personnelles. Mais, il serait très irresponsable, en tant que ministre des Affaires étrangères et membre du gouvernement, de dire que 2015 sera intenable. Nous avons la conviction et la détermination, c’est également le cas, chez la présidente Catherine Samba-Panza, d’aller vers les élections et faire le maximum pour qu’elles se tiennent avant le 31 décembre. Nous tenons à ce calendrier. et nous nous battons pour qu’il soit respecté. C’est pour cela que nous menons des missions et que nous mobilisons les partenaires qui peuvent nous appuyer afin de tenir le cap. et nous tiendrons le cap.
Est-ce que les anciens dirigeants du pays pourront jouer un rôle dans un avenir proche ? Pourront-ils briguer un poste électif ?
Tout Centrafricain qui n’est pas poursuivi par la justice, qui n’a pas les mains souillées, qui n’a pas été condamné, est éligible. Mais, si vous êtes poursuivi par la justice internationale ou nationale, vous ne pouvez pas être éligible. Personne ne sera interdit d’élection. Toute personne qui remplit les conditions prévues par le code électoral pourra se présenter. Nous avons, aujourd’hui, une soixantaine de candidats déclarés. C’est dire que le processus est inclusif. L’une des particularités de cette élection, c’est que les membres du gouvernement de transition ne pourront pas se présenter. Cela nous donne beaucoup plus d’indépendance, sur le plan organisationnel et de l’arbitrage. Nous sommes neutres dans ce processus. La présidente de la transition s’est fortement engagée dans ce sens. Elle suivra à la lettre la charte de la transition et toutes les promesses qu’elle a faites à la Nation.
On ne saurait passer sous silence les allégations d’agressions sexuelles sur des enfants centrafricains et qui impliqueraient des soldats français. Avez-vous été surpris ou simplement indignés lorsque cette affaire a éclaté ?
Bien sûr, nous avons accueilli cela avec beaucoup d’indignation. Mais, il faut préciser qu’à ce stade, ce sont des allégations. Les enquêtes sont en cours. il n’y a pour l’heure pas de décision de justice. Nos tribunaux et les tribunaux français travaillent ensemble pour faire la lumière sur ce qui a pu se passer. Nous venons de rencontrer le président François Hollande qui nous a confirmé ce qu’il a toujours dit, à savoir que si les faits sont établis et les coupables reconnus, les sanctions seront sévères. Pour l’heure, puisqu’il n’y a pas eu de jugement, il y a la présomption d’innocence. Si les faits étaient avérés, cela poserait des problèmes, surtout liés à la protection des mineurs. Parce que les allégations concernent des mineurs. Mais une fois encore, personne n’a été condamné. Nous partageons les mêmes vues que les autorités françaises, s’est-il- dire que la lumière doit être faite. Le président Hollande nous l’a confirmé lors de notre rencontre à l’Élysée.
Il était convenu que l’opération Sangaris aiderait à désamorcer le conflit et à protéger les civils. A votre avis, Sangaris a-t-elle atteint ses objectifs ?
Lorsque la République centrafricaine était martyrisée, violée dans sa chair avec des actes de barbarie qu’on ne pouvait imaginer, en plus des forces de l’Afrique centrale qui étaient sur place mais qui n’avaient pas les moyens d’agir par rapport à ces bandes armées formées pour la plupart de mercenaires, c’est l’armée française qui est intervenue. C’est elle qui a aidé à stabiliser la situation avec des gains sur le plan de la protection des civils. Le pays est très reconnaissant vis-à-vis de cette intervention française. A l’époque, personne ne pouvait intervenir. On voyait, tous, à la télé, des forces africaines désemparées, non pas parce qu’elles ne voulaient pas, mais parce qu’elles étaient sous-équipées. C’est donc, grâce à Sangaris que nous avons pu avoir un début de stabilité. Cela a permis que la Misca (Mission internationale de soutien à la Centrafrique sous conduite africaine) puisse avoir de la longueur sur le plan sécuritaire. Tout cela a jeté les bases de la venue des Nations-unies avec les forces de la Minusca (Mission multidimensionnelle intégrée des Nations-unies pour la stabilisation en Centrafrique). Ces forces font un très bon travail. Aujourd’hui, vous pouvez vous promener à Bangui ainsi que dans une bonne partie du territoire. La paix revient petit à petit. Vous évoquiez tout à l’heure, l’autorité de l’État. Nous avons dé- ployé presque la quasi-totalité des préfets et des sous-préfets dans les régions. Au fur et à mesure que la sécurité revient, l’autorité de l’État s’affirme sur tout le territoire. Certains rebelles récalcitrants qui refusent d’obtempérer sont frappés sévèrement. il y a eu la récente opération de Bria (Centre-est du pays) qui a permis de montrer à certains groupes armés qu’il fallait rentrer dans le giron républicain. Donc, Sangaris a fait un très bon travail. La Misca, aussi, ainsi que les forces africaines d’Afrique centrale, avec les moyens qu’elles avaient. La Minusca est venue parachever le travail. La situation est encore fragile. Mais sur le plan sécuritaire, elle évolue dans la bonne direction.
Interview Réalisée par Kisselminan COULIBALY
L’inter N°5097 du Mardi 09 Juin 2015