Un rapport sur l’infection au virus VIH, les données scientifiques et les préconisations de dépistage et de prise en charge devraient être rendus publics à la fin du mois.
(Le Figaro, 9 septembre 2013) – INFECTIOLOGIE Le Pr Philippe Morlat va remettre à la fin du mois le rapport d’experts sur l’état des données épidémiologiques, scientifiques et thérapeutiques de l’infection par le virus de l’immunodéficience humaine (VIH) en France, un rapport qui fera aussi des recommandations sur le dépistage et la prise en charge.
De fait, les enjeux de l’infection par le VIH évoluent. Selon les données épidémiologiques récentes et des études de l’Inserm ou de l’ANRS comme VESPA 2, la France compte aujourd’hui 150 000 personnes vivant avec le VIH. Les nouvelles contaminations, estimées entre 7 000 et 8 000 par an, concernent pour moitié des hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes. C’est le groupe où l’épidémie reste la moins contrôlée, avec 1 % d’infections nouvelles par an (4 % dans les lieux gays parisiens), devant les hétérosexuels originaires d’Afrique subsaharienne. L’incidence de l’infection est trois fois plus élevée en Ile-de-France que dans le reste de la métropole, la Guyane et la Guadeloupe étant de loin les plus touchées.
Les 6 100 nouveaux diagnostics en 2011 confirment l’estimation de 2010 : 20 % des sujets infectés par le VIH, soit 29 000 personnes, ignorent leur séropositivité. « Les deux tiers sont des hommes parmi lesquels un tiers d’hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes, un tiers d’hétérosexuels étrangers, surtout d’Afrique subsaharienne, et un tiers d’hétérosexuels français », explique le Pr Dominique Costagliola, épidémiologiste (Inserm U943, CHU Pitié-Salpêtrière, Paris).
Cette épidémie cachée est source de diagnostics tardifs, alors que le bénéfice d’un traitement précoce est de plus en plus flagrant. Présentée cet été à la conférence de Kuala Lumpur, une étude sur 300 séropositifs sous antirétroviraux de la cohorte Visconti (ANRS) montre que plus leur taux de cellules CD4 est resté haut, moins leur immunité s’est dégradée, moins les réservoirs où se cache le virus sont importants et meilleure est leur reconstitution immunitaire sous traitement. Traiter tôt pour réduire ces réservoirs où le rétrovirus est intégré dans les chromosomes de cellules immunitaires à très longue durée de vie constitue un enjeu majeur pour contrôler la maladie. Cas exceptionnels, mais qui plaident aussi pour la précocité du traitement : quatorze patients de cette cohorte Visconti, traités dès leur contamination, tenaient toujours le virus sous contrôle sept ans après l’arrêt du traitement.
« Nous venons de montrer que le risque de décès reste plus élevé si le traitement commence avec moins de 350 CD4/m qu’au- dessus, indique l’épidémiologiste. Une partie des dégâts est probablement irréversible chez les personnes qui ont eu des lymphocytes CD4 bas avant d’être traitées. » L’inflammation, l’activation persistante du système immunitaire par le virus, paraît en cause. Depuis cette année, l’OMS recommande d’ailleurs la mise sous traitement plus tôt, à moins de 500 CD4/ml.
L’âge devient aussi un enjeu. Aujourd’hui, un tiers des personnes infectées a plus de 55 ans. Les plus anciens ont participé aux premiers essais, connu les mono et les bithérapies, sont traités parfois depuis plus de vingt ans… Les patients de 60 ans, dont le virus n’a pas toujours été contrôlé, vieillissent-ils de la même façon que les autres ? « On estime qu’un patient séropositif présente avec dix ans d’avance les troubles métaboliques liés au vieillissement, indique le Pr Gilles Pialoux (Hôpital Tenon, Paris). Nous voyons des patients encore assez jeunes faire de l’ostéoporose, de l’athérosclérose, des infarctus du myocarde, des cancers de la prostate, du poumon, plus précoces et plus graves… Leur dépistage est important et doit être amélioré. Le monitoring pharmacologique permet d’ajuster les doses effectives, surtout chez les sujets vieillissants qui ont divers traitements. »
Pour le Pr Katlama (CHU Pitié-Salpêtrière, Paris), la question n’est pas encore vraiment résolue : « Je ne suis pas sûre qu’un séropositif traité très tôt et très bien vieillisse beaucoup plus vite, car les patients sont suivis de très près, et incités à avoir un mode de vie sain. Je pense que c’est surtout le temps passé sans traitement qui compte. Mais il va falloir définir des stratégies de traitement plus dynamiques, plus individualisées, probablement alterner les molécules, pour mieux protéger des organes sensibles comme le rein. »
Autre question : le virus qui se réplique spontanément produit 1 à 10 milliards de particules par jour. « Il faut donc un couvercle antirétroviral considérable pour le contrôler. Mais a-t-on encore besoin du même couvercle après vingt ans de traitement, quand la charge virale est indétectable ? Le réservoir du virus tend-il à s’épuiser ? Les essais prévus devraient fournir des réponses. »
Les traitements actuels sont bien mieux tolérés, avec bien moins d’effets indésirables. « Chez des patients traités depuis longtemps, certains effets secondaires comme les lipodystrophies, l’ostéoporose ou les troubles neurocognitifs (dus aussi au virus) ne régressent pas, même en passant aux molécules récentes. Mais quelqu’un qui débute son traitement aujourd’hui n’est pas du tout dans la même situation », insiste le Pr Pialoux. Le choix entre les nombreuses molécules permet aujourd’hui d’adapter le traitement à chacun.
Pour le Pr Costagliola, un autre aspect doit être souligné : « C’est la seule pathologie chronique en France où près de 90 % des malades diagnostiqués sont sous traitement, dont 93 % contrôlent totalement leur maladie. Il faut faire encore mieux. Mais quand on compare à l’hypertension ou au cholestérol, on peut aussi être assez satisfait ! »