Après avoir fait les beaux jours de la télévision ivoirienne, Serge Fattoh Elleingand officie aujourd’hui sur Télésud où il contribue, son niveau, à l’essor de la musique africaine. Nous l’avons rencontré.
Diasporas-News : Comment s’est passé votre arrivée sur Télésud ?
Serge Fattoh Elleingand : J’ai quitté la Côte d’Ivoire en décembre 2006. J’ai pris une mise en disponibilité de 2 ans auprès de la RTI. Je voulais faire une formation de journaliste et aussi voir ma petite famille qui était déjà installée en France. J’avais envie de passer du temps avec ma famille, envie de bâtir quelque chose auprès de ma fille qui me manquait terriblement, et que je ne voyais pas grandir. Mes deux objectifs ont été, en partie, atteints. Après, j’ai fait la connaissance d’un monsieur formidable qui s’appelle Jean-Philippe Kaboré et qui dirigeait Télésud. J’ai fait une demande d’emploi comme tout le monde et ça a marché. Je suis donc sur cette chaine depuis 2009.
Cela n’a-t-il pas été difficile de partir de la Radiodiffusion Télévision Ivoirienne ?
Bien sûr que ça été difficile ; on se fait des relations au fil du temps ; puis un jour, il faut partir. Ensuite, le public me donnait beaucoup de joie et d’amour. J’avais une relation fusionnelle avec le public. Donc, cela n’a pas été simple. Mais j’avais vraiment besoin de me retrouver avec ma famille. Quand on a sa fille au téléphone presqu’en larmes à chaque fois, ou quand, à chaque fois qu’on se revoyait, on était étranger l’un pour l’autre, il fallait faire un choix.
En quoi consiste aujourd’hui votre travail sur Télésud ?
Je suis journaliste-présentateur, conseiller aux programmes, et responsable du pôle musical de la chaine. Je me suis formé à l’Ecole supérieure de journalisme de Paris, et cela m’a donné les clés, en plus de mes expériences à la RTI, pour occuper le poste que j’ai aujourd’hui.
Justement, si on devait mettre face à face ce que vous avez connu en Côte d’Ivoire et ce que vous faites à Télésud…
On ne peut pas comparer les deux. Télésud est une chaine du câble alors que la RTI est une chaine nationale et hertzienne. Les chaines ne sont pas les mêmes, et les époques non plus. Ce sont deux expériences diamétralement opposées que j’ai eu l’honneur de connaitre et qui m’ont construit en tant qu’homme de télé aujourd’hui. Je crois que j’ai beaucoup de chance d’avoir connu la télévision nationale où on était face au public, sans pression supplémentaire, et de vivre aujourd’hui dans ce milieu où il faut se battre pour gagner des parts d’audience.
On dit que vous êtes un faiseur de stars ; comment prenez-vous le compliment ?
Ce serait prétentieux de me donner un tel qualificatif. Moi, un faiseur de stars ? Non ! La star, c’est l’artiste, qui se construit lui-même. Moi, je chapeaute l’émission Afronight qui a lieu tous les soirs et qui reçoit tous les artistes. Donc on offre une lucarne à toutes les sensibilités. Mais je dois reconnaitre que malheureusement, il y en a qui n’ont pas l’attitude adaptée au métier qu’ils font. D’autres ont du talent en même temps que les bonnes attitudes. Ceux-là deviennent des stars. Les A’Salfo, Ticken Jah, Alpha Blondy, Lokua Kanza, Charlotte Dipenda, Linsha, Jacob Desvarieux et bien d’autres, n’ont pas eu besoin de moi pour être ce qu’ils sont. Ils se sont donné eux-mêmes les moyens d’être des stars. Nous, on leur offre, grâce à nos plateaux, l’opportunité d’exprimer et de faire connaitre leur talent. Et ils respectent le cahier des charges. On les invite, ils sont là à l’heure, ils respectent leurs interlocuteurs.
C’est vrai qu’on donne aussi l’opportunité à des artistes inconnus de se faire connaitre. Mais pour réussir une bonne émission de télévision, il faut que l’artiste et le présentateur soient bons ensemble. J’ai besoin de l’artiste tout comme il a besoin de moi. Il m’arrive parfois de me poser des questions sur l’opportunité d’inviter ou pas un artiste. Mais, quand on le voit, après qu’il soit passé chez nous, à des festivals ou des concerts, on est un fiers, sans fausse modestie, d’avoir contribué à le faire connaitre. Ni plus ni moins. Ma plus grande fierté, c’est lorsqu’un artiste de renommée internationale m’appelle pour repasser dans mon émission parce que la fois d’avant, il avait apprécié. Ça fait énormément plaisir !
Racontez-nous une journée-type de Serge Fattoh Elleingand
J’arrive au boulot vers 10 h 30 en général pour repartir chez moi vers 23 h. Il y a une telle ambiance à Télésud qu’on est content de travailler dans de bonnes conditions, avec des personnes que j’aime et qui me le rendent bien. Je fais trois émissions le mardi, trois le jeudi ; et c’est cette excellente ambiance qui permet de bien préparer les sujets. Il faut avoir les sujets en tête et en bouche. Etre en lien avec les attachés de presse que je remercie beaucoup, et une direction générale qui nous donne les moyens de bien travailler. Parfois, il y a même du travail hors des bureaux et studios qui m’amène à rentrer très tard le soir, mais je suis heureux de faire ce boulot.
Quel est votre regard sur la musique africaine actuelle ?
Il y a de grands talents à tous les niveaux et dans toutes les générations de musiciens africains. Moi, qui dirige le pôle musical de la chaine, j’écoute énormément de musique, et je suis chaque fois subjugué par tant de qualité. Les artistes africains ont vraiment du talent, surtout ceux qui se donnent les moyens de travailler qualitativement. Mais il faut reconnaitre aussi qu’il y a parfois de grosses daubes ! De toutes les façons, il faut arrêter de croire que tout le monde peut chanter, c’est un métier ! Même si le numérique aide aujourd’hui, il ne fait pas passer un artiste nul au rang de star. Le live, c’est souvent le juge de paix ; et c’est là qu’on voit les bons artistes et les mauvais. Lokua Kanza, par exemple, mettez-le dans n’importe quelle condition, il vous sortira toujours des choses propres. Et ça fait la différence avec d’autres.
Etes-vous d’accord qu’il y a de moins en moins d’instrumentistes dans la musique africaine ?
Je ne partage pas cette idée. Je vois beaucoup d’instrumentistes un peu partout en Afrique. Avec l’émergence des cabarets un peu partout sur le continent, on voit de plus en plus de jeunes qui se forment au live. Et de plus en plus de filles se mettent aussi aux instruments, et c’est positif. Maintenant, il faut dire qu’avec l’avènement du coupé-décalé, on se demandait ce que cette musique donnerait dans un concert. Ce fut effectivement compliqué. Mais aujourd’hui, les artistes ont bien travaillé et cette musique peut être jouée en live. Après, quand un artiste dort sur ses lauriers, l’échec n’est jamais très loin. Si vous faites un bon disque en studio, et que vous ne pouvez pas jouer dans un festival, c’est un problème de travail. Même la musique dite électronique, peut être très agréable à condition que les sons enregistrés en studio puissent être reproduits en public. Donc, il faut que nos artistes bossent.
En même temps, le plus grand combat à mener pour la musique africaine, c’est la piraterie. Et ça c’est un volet qu’il ne faut pas occulter. On veut du travail de qualité, et donc, il faut arrêter de spolier les artistes qui ont besoin de vivre de leur art.
En tant que panafricaniste convaincu, quel est votre regard sur la politique en Afrique ?
La plupart de nos pays sont en train de converger vers la vraie démocratie, et je suis convaincu que le continent va avancer. Prenons le temps d’observer les choses, d’être patients, et même de faire des concessions. Ce n’est pas simple mais la démocratie, c’est un processus long, un apprentissage complexe. Mais rien ne vaut une vie humaine, alors évitons les violences. Et nos politiciens doivent comprendre que la vie humaine, c’est sacré. Avançons à notre rythme, et dans la paix. Prenons le temps d’asseoir nos institutions fortes, comme le veut Obama, mais dans la concertation, la conciliation et surtout, sans brûler les étapes. Il faut aussi que certains présidents africains arrêtent de penser qu’après eux c’est le déluge. Et pour ça, ils sont prêts à prendre les armes contre leur propre peuple. Non, l’Afrique a des élites qui ont besoin d’émerger pour l’aider à se développer. Et c’est le jeu de l’alternance qui peut l’y aider. Pensons aux générations futures. Quelle Afrique voudrions-nous leur laisser ?
Parfois j’entends des débats de jeunes ivoiriens, tous bords confondus, et j’ai mal au cœur. C’est la vindicte, les menaces. Non, un débat, c’est un affrontement intellectuel, idée contre idée. Après, on se sert la main la main ; on est adversaire, pas ennemis. Et il faut qu’on apprenne à élire des dirigeants sur un programme et pas sur leur personne.
Le mot de la fin ?
Je veux dire un grand merci aux téléspectateurs de Télésud qui nous font de plus en plus confiance, merci aux artistes qui nous font confiance en venant partager des choses avec nous. Il y a des hauts et des bas, mais je veux vraiment retenir le positif. On prend tout avec philosophie afin que la maison Télésud avance. Nous avons en Bernard Volker un directeur fantastique, et je voulais aussi le remercier pour la confiance qu’il me fait au fil des années. J’espère lui rendre cela par mon travail. Je crois en l’Afrique, je crois en son émergence, et je crois qu’ensemble, nous réussirons le combat du développement.
Propos recueillis par Malick Daho
Paru dans le Diasporas-News n°68 de Novembre 2015