Senhuile-Senethanol

(PAMBAZUKA NEWS) – Sur une superficie de 20 000 hectares de terres accaparées dans une localité de la région nord du Sénégal, le projet Senhuile-Senethanol visait à installer une production d’agrocarburant. La résistance des populations a entrainé des morts et poussé le gouvernement et les investisseurs non pas à renoncer, mais à relocaliser leur projet dans une autre zone. Cette enquête dévoile les tenants et les aboutissants de cette affaire, avec ses complicités locales et internationales, et montre combien le scandale de l’accaparement des terres se double aussi d’activités probables de blanchiment d’argent sale.

Un investissement étranger controversé visant à produire des agrocarburants pour l’Europe (1) sur 20 000 hectares de terres agricoles au Sénégal a déplacé les communautés et suscité de violents affrontements entre paysans et forces de l’ordre. On s’inquiète également de plus en plus, au Sénégal, d’éventuels liens entre ce projet et des délits financiers, plus précisément du blanchiment d’argent. (2)

Comme cette entreprise commerciale, connue localement sous le nom de « projet Senhuile-Senethanol », est socialement importante au Sénégal, et comme des préoccupations semblables se font jour dans d’autres pays où des terres sont accaparées (Annexe 1 : voir article suivant), le Cadre de réflexion et d’action sur le foncier au Sénégal (Crafs), Grain, Re:Common et Sherpa ont décidé d’enquêter conjointement. (3)

Nous avons commencé par essayer de découvrir quelles étaient les personnes qui étaient derrière ce projet. Cela n’a pas été tâche facile. L’identité de certains des investisseurs s’est avérée dissimulée à la fois légalement (aux États-Unis et au Sénégal) et politiquement (au Sénégal et en Italie). (4) Nous avons dû faire appel à des enquêteurs professionnels dans plusieurs pays dans la mesure où nous ne pouvions pas obtenir des informations qui devraient être disponibles et accessibles à tous par le biais des méthodes traditionnelles. (5)

Dans notre quête d’informations, nous avons directement pris contact ave l’Agence sénégalaise de promotion des investissements (Apix), mais le versement d’un pot-de-vin nous a été demandé si nous voulions obtenir des documents élémentaires sur les investisseurs. (6) Nous avons également examiné le rôle éventuellement joué par la législation italienne dans l’orientation prise par ce genre de projets agricoles à l’étranger (Annexe 2).

Après six mois de recherches, nous avons pu découvrir en grande partie le réseau complexe des acteurs douteux et des structures juridiques troubles qui ont un lien avec ce projet. Toutefois, les questions concernant la propriété réelle du projet demeurent.

LE PROJET

L’initiative du projet revient à Senethanol Sa, une société basée à Dakar et créée par des investisseurs sénégalais et étrangers en 2010. Senethanol a signé le bail d’origine, de 20 000 ha, avec la communauté rurale de Fanaye dans le but de cultiver des patates douces pour la production de biocarburant destiné au marché européen. Cependant, les tensions politiques au sein de la communauté et l’opposition au projet ont dégénéré en un violent conflit le 26 octobre 2011, se soldant par deux morts, plusieurs dizaines de blessés graves et un pays sous le choc. Le projet a rapidement été suspendu par le président Abdoulaye Wade. Peu après, Macky Sall était élu président. Par décret présidentiel, il a ré-approuvé et relocalisé le projet dans la réserve naturelle de Ndiael, où il a reclassé 20 000 hectares de terres forestières en terres agricoles à l’usage des investisseurs. Depuis lors, le projet a été mis en œuvre par Senhuile Sa, une coentreprise entre Tampieri Financial Group, Italie, et Senethanol Sa, basée à Dakar.

À notre connaissance, ce projet n’a plus pour objet de produire des biocarburants, pour des raisons techniques et financières. Il vise maintenant à la production de graines de tournesol (pour l’exportation vers l’Europe), de graines d’arachide (pour l’État sénégalais, dans l’éventualité d’une pénurie soudaine) et d’aliments pour animaux (pour les communautés locales touchées par le projet).

Le projet continue de susciter des tensions et des conflits. Trente-sept villages en ressentent les impacts directs. Certains se retrouvent soudainement encerclés par ce projet et séparés de leurs pâturages et des sources d’eau ; ils se sentent dépossédés par l’État et ne savent pas comment faire pour survivre. (7) D’autres se plaignent de harcèlement, d’expulsions et de compensations insuffisantes. En juin 2013, trois enfants ont perdu la vie en tombant dans un canal creusé pour apporter des eaux d’irrigation aux cultures du projet. (8)

Alors que beaucoup de questions brûlantes entourent ce projet, notre tâche était d’identifier les investisseurs derrière celui-ci. (9)

LES INVESTISSEURS

La structure d’entreprise que nous avons trouvée derrière le projet peut être considérée comme une sorte de pyramide. À la base de la pyramide se trouve Senhuile Sa, la société qui réalise actuellement le projet :

Senhuile Sa a été établie à Dakar le 26 juillet 2011, sise à la même adresse que Senethanol, avec un capital de 10 000 000 de francs (15 220 euros). Selon son actionnaire majoritaire, Tampieri Financial Group, la mission de Senhuile est « d’obtenir des concessions pour la production de graines de tournesol destinées à l’exportation vers l’Italie. » (10) Ses dirigeants sont Benjamin Dummai et Momath Bâ, co-directeurs, et Gora Seck, président. Selon Bâ, le budget de l’ensemble du projet est de 100 milliards de francs Cfa (150 millions d’euros). (11) La société teste encore actuellement les cultures qu’elle produira sur ses 20 000 hectares de concession, dont seuls 5 000 ou 6 000 ha auraient été défrichés et plantés jusqu’à présent. Cependant, elle s’enorgueillit déjà d’apporter un retour sur investissement de 20 % à ses investisseurs, selon Cheikh Tidiane Sy, le coordinateur du projet. (12)

Benyamin (ou Benjamin) Dummai est un homme d’affaires d’origine israélienne et naturalisé brésilien. Il a 30 ans d’expérience dans les affaires en Amérique latine et en Afrique, dans divers secteurs allant de l’énergie à l’informatique. Au cours de ces activités, il a eu des démêlés avec la justice. Dummai et sa femme ont été reconnus coupables d’évasion fiscale au Brésil et il a été accusé de fraude financière (puis acquitté) par les autorités brésiliennes. Dummai a dirigé plusieurs sociétés écrans avec des partenaires qui ont eux-mêmes été impliqués dans une série d’activités délictueuses. Outre le fait qu’il est le Pdg de Senhuile, Dummai exploite également plusieurs des entreprises entrant dans le cadre de cette propriété.

Gora Seck est un homme d’affaires sénégalais, actif depuis longtemps dans divers secteurs, notamment l’exploitation minière (phosphates). Président du Conseil d’administration de Senhuile, il est aussi Pdg de plus d’une demi-douzaine de firmes sénégalaises dont Carbomines Sénégal Sa, Dakar, Café Sa Sénégal Dakar et, depuis juin 2013, de Sen Semences. Carbomines et Café Sénégal sont codirigées par Seck et Ibrahima Basse, un responsable de haut niveau en poste au ministère de l’Industrie et des Mines. Seck est également directeur d’African Minerals Corporation, une société minière sénégalaise, et président de la Friends of Africa Foundation-Sénégal, qui s’occupe de la composante sociale (reboisement, écoles, services de santé, etc.) du projet Senhuile.

Deux actionnaires exercent un contrôle direct sur Senhuile : Tampieri Financial Group SpA (51 %) et Senethanol Sa (49 %) :

– Tampieri Financial Group est une grande société holding familiale créée en Italie en 1965. Bien que ses activités portent largement sur le secteur de l’énergie dans le pays, le représentant de la société auquel nous avons parlé insiste sur le fait que son intérêt pour le projet Senhuile tient à la création d’un approvisionnement stable et sûr en matières premières, en l’occurrence en graines de tournesol, pour la production d’huile alimentaire. (13) Les dirigeants se plaignent de ce que les marchés des denrées agricoles de base sont désormais contrôlés par des investisseurs financiers, au détriment des industriels, et que cela aboutit à une trop grande volatilité des prix. Pour contourner ce problème, ils se sont joints au projet pour accéder à des terres agricoles en Afrique, par l’intermédiaire d’un partenaire local, et produire les matières premières dont ils ont besoin à des prix beaucoup plus prévisibles et contrôlables. Il est intéressant de souligner que Tampieri a obtenu deux crédits auprès de banques italiennes d’un montant total de 267 915 euros, pour le compte de Senhuile, devant permettre l’achat de machines agricoles pour le projet.

– Senethanol Sa est une société créée par des investisseurs sénégalais et étrangers à Dakar le 14 juillet 2010 avec 10 000 000 de francs (15 220 euros) d’actifs. Elle est gérée par Benjamin Dummai, en tant que Pdg, Mario Marcandelli, en tant que directeur général, et Momath Bâ, en tant que directeur des opérations. Senethanol a été créée pour profiter de la nouvelle politique du gouvernement sénégalais favorisant le développement des biocarburants en alternative aux combustibles fossiles. La société a négocié et signé un premier bail de 20 000 ha à Fanaye pour y produire des patates douces, de l’éthanol, et des aliments pour animaux. Cet accord a été suspendu après les violents événements du 26 octobre 2011.

Senhuile et Senethanol peuvent toutes deux être reliées à un éventail d’intérêts sénégalais à travers Gora Seck. Parmi eux, la branche sénégalaise de la Friends of Africa Foundation, gérée par Seck. Friends of Africa met en œuvre la composante sociale du projet Senhuile. Un autre lien est Ibrahima Basse, un haut fonctionnaire du ministère des Mines, qui codirige deux sociétés avec Gora Seck, l’une dans l’industrie minière et l’autre dans l’agroalimentaire. Un troisième lien important est African Minerals Corporation, une société minière dirigée par Seck. Toutes ces sociétés latérales partagent la même adresse avec Senhuile et Senéthanol.

Selon divers documents juridiques, reportages et analyses d’Ong, Senethanol est contrôlée par deux groupes d’intérêts : Abe Italia (75 %) et des « investisseurs sénégalais » (25 %). (14) Cependant, nous croyons que la société est contrôlée par Abe Int Llc (75 %) et un investisseur sénégalais, Gora Seck (25 %) :

Agro Bioethanol Int Lllc (Abe Int) est une société écran créée à New York le 1er octobre 2009 et ayant pour objet « toutes activités commerciales légales ». (15) Son membre initial était Wallace Oceania Ltd, de Nouvelle-Zélande, et son directeur initial était Harmodio Herrera, du Panama. À l’époque, l’unique directeur de Wallace était Carolyn Melville qui, avec son mari, dirigeait des milliers de sociétés écrans en Nouvelle-Zélande et dans d’autres paradis fiscaux du monde entier. De même, Herrera occupait également le poste d’administrateur de centaines de sociétés écrans dans le paradis fiscal du Panama, et bon nombre d’entre elles avaient Mme Lilian De Muschett comme administratrice, et le cabinet juridique panaméen controversé, Icaza, González-Ruiz & Alemán (Igra) comme agent (Encadré 1).

En septembre 2011, la direction d’Abe Int a été transférée de Herrera à Benjamin Dummai. (16) Nous ne savons cependant pas qui en sont les actionnaires puisque cette information n’est pas accessible aux États-Unis.

Abe Italia a été créée – sans doute par Abe Int Llc, son unique actionnaire, pour fonctionner en tant que filiale italienne – en avril 2011. Elle était initialement dirigée et présidée par Enrico Storti, un homme d’affaires italien, tandis que Dummai faisait partie du conseil d’administration. Selon nous, Abe Italia a été mise en place pour tirer profit du projet Senethanol, et attirer des capitaux – peut-être comme un modèle susceptible d’être reproduit dans d’autres pays pour d’autres projets d’accaparement de terres destinés aux biocarburants en Afrique —, mais cela a échoué.

Storti a apporté plusieurs liens importants à Senethanol. L’un de ces liens était Development Investment SpA (Dai), une société développant des opérations agroindustrielles en Afrique, et que Storti a fondé et présidé (Dai est impliquée dans des transactions foncières de grande échelle pour produire du jatropha et du riz au Mozambique). Selon des sources italiennes, Dai et Storti s’intéressaient au projet Senethanol pour la culture de la patate douce destinée au marché des biocarburants. (17) Les liens avec Dai et Abe Italia allaient cependant au-delà de Storti ; les deux entreprises partageaient le même commissaire aux comptes et Fabrizio Piomboni, un actionnaire de Dai siégeait au conseil d’administration d’Abe Italia.

Un autre lien était constitué par Agricoma, un groupe d’entreprises produisant des machines agricoles dirigé par Storti. Agricoma et Storti prévoyaient de vendre 14 millions d’euros de machines agricoles au projet sénégalais sur une période de cinq ans. Selon le rapport annuel d’Agricoma de 2010, la première tranche, d’une valeur de 700 000 euros, devait être livrée en juin 2011. Toutefois, le rapport de l’année suivante ne mentionne plus le projet sénégalais, ce qui laisse à penser que l’affaire a pu échouer et qu’Agricoma a été remplacée par un autre fournisseur.

Il est évident que quelque chose s’est mal passé. Storti a quitté Abe Italia en 2012. Puis, en janvier 2013, Abe Italia a été mise en liquidation. Le liquidateur, Giampaolo Dal Pian, nous a parlé d’une « affaire qui a mal tourné » en précisant qu’« il y a eu des problèmes avec le président d’ABbe Italia » mais n’a pas souhaité être plus précis.

Les 25 % restants de la propriété de Senethanol sont fréquemment attribués à un ou plusieurs « investisseurs sénégalais », qui restent anonymes. Nous avons demandé à l’Apix, à la Chambre de commerce et à de nombreuses sources bien placées au Sénégal, qui pourraient être ces investisseurs, mais cette information nous a été refusée ou la question, balayée. Une telle confidentialité éveille beaucoup de soupçons. Cependant, Benjamin Dummai a lui-même déclaré à la presse que ces 25 % appartenaient à Gora Seck et cela nous semble logique. (18)

QUESTIONS ET PREOCCUPATIONS

UN PROJET DE BIOCARBURANTS RATE OU UNE AFFAIRE PLUS VASTE ?
La structure financière que nous avons pu déchiffrer derrière Senhuile va dans le sens d’une entreprise de biocarburants bouclée de façon bâclée, pour laquelle des entreprises ont été créées – tout d’abord à New York, puis à Dakar et en Italie – pour exploiter et tirer profit de la production d’agrocarburants en Afrique, et qui a échoué, probablement pour plusieurs raisons.

Toutefois, cela n’explique pas pourquoi quelqu’un comme Benjamin Dummai, qui a clairement mené ce processus, se serait donné le mal de recruter un éminent cabinet juridique panaméen impliqué dans des délits d’entreprise de haut niveau et des scandales politiques internationaux pour mettre en place une société anonyme écran à New York, pour ensuite diriger un chapelet de petites entreprises au Sénégal et en Italie pour prendre en charge les activités.

La structure de New York, au sommet de la pyramide, suggère que quelqu’un d’autre est impliqué : que Dummai agit en mandataire ou en homme de paille pour quelqu’un ou des gens qui ne veulent pas que leur nom soit divulgué ou associé à cette entreprise. Certains spéculent sur le fait que ces intérêts protégés pourraient être ceux de politiciens sénégalais ou d’organisations italiennes, voire d’investisseurs américains, appartenant potentiellement au secteur minier ou énergétique. Mais nous n’en savons rien.

En outre, nous ne voyons pas de grosses sommes d’argent transiter par cette structure, ce qui pourrait conforter les craintes portant sur un éventuel blanchiment d’argent. Au contraire, sous le contrôle de la structure de New York, nous ne voyons que des petites entreprises avec de maigres avoirs de 15 000 à 23 000 euros. Même le contrat monumental qu’avait apparemment décroché Agricoma, pour une vente de 14 millions d’euros de machines agricoles à Senhuile, semble être tombé à l’eau ou avoir été remplacé par autre chose. Les représentants de Senhuile s’enorgueillissent d’impressionnants taux de rendement pour leurs investisseurs, surtout Tampieri, mais en réalité, la société produit peu. Alors, quel est le but de tout cela ?

Nous nous demandons en particulier ce que Tampieri fait là. Il n’y a rien de répréhensible à produire de l’huile de tournesol pour le marché alimentaire italien. Et bien que nous condamnions absolument l’accaparement sous-jacent des terres concernées, la question ici est la suivante : pourquoi une entreprise familiale d’apparence légitime comme Tampieri s’impliquerait-elle dans une structure trouble comme celle-ci, avec des hommes d’affaires douteux ?

BENJAMIN DUMMAI EST UN ELEMENT CENTRAL ET SON PASSE EST TROUBLE
Benjamin Dummai se situe au sommet de la structure d’entreprise derrière le projet Senhuile. Il occupe en outre des postes de direction dans bon nombre de sociétés liées au projet. Comment est-il arrivé là ?
En tant qu’homme d’affaires, il a participé à une série d’activités en Amérique latine et en Afrique, qu’il s’agisse d’informatique ou d’énergie. Avec José Expedito de Sousa Araujo, Dummai a été accusé de fraude financière – utilisation de faux documents pour obtenir un prêt – au Brésil et il a été condamné à de la prison, mais les délais légaux ayant expiré, ils ont tous deux été libérés. En même temps que sa femme, Dummai a été également déclaré coupable d’évasion fiscale au Brésil pour des irrégularités dans le processus de liquidation de la société Enci Agroindustrial LTDA. La Cour de justice administrative a exigé l’exécution de la sentence. Enfin, Dummai a également été directeur du Guinea Marketing Board, entre 1994 et 2000, ensuite dissout pour faillite.

Avant la création d’Abe, Dummai a pris part à deux sociétés en lien avec Panama. Il a été Pdg de Pranha Llc (immatriculée à New York, gérée depuis le Brésil) et il a été directeur des bureaux de Kerdol Entreprises, à Lugano, Suisse (immatriculée au Panama). (19) Les deux sociétés ont comme administrateurs ou souscripteurs Andres Maximino Sanchez et John Benjamin Foster Acosta (répertorié en tant qu’administrateur de cinq sociétés écrans en Nouvelle-Zélande). Kerdol a également Myrna de Navarro comme directrice, et Alemán, Cordero, Galindo & Lee comme agent.

Myrna de Navarro, John Benjamin Foster et Andrés Maximino Sánchez travaillent tous trois avec le cabinet juridique panaméen Alemán, Cordero, Galindo & Lee, qui avait été impliqué dans du blanchiment d’argent pour l’ancien dictateur chilien, Augusto Pinochet, et ils sont considérés comme des « partenaires intermédiaires dans diverses sociétés offshore ». (20) Tous trois étaient impliqués dans un scandale sur l’utilisation de sociétés écrans et offshore au Brésil et aux États-Unis par des entreprises telles que Cisco qui auraient commis une fraude fiscale d’un montant d’1,5 milliard de réais (735,5 millions de dollars). (21) De Navarro est impliquée dans un scandale de blanchiment d’argent avec la Société générale et la Libyan Investment Authority. (22)

Il semblerait que la Société générale ait payé une compagnie panaméenne du nom de Leinada Inc. pour servir d’intermédiaire dans une transaction impliquant la Libyan Investment Authority. L’un des directeurs de cette société est Myrna de Navarro, et la compagnie était domiciliée avec la firme Alemán, Cordero, Galindo & Lee. Sánchez est lié à d’autres scandales de blanchiment d’argent impliquant l’armée péruvienne (23) et l’Unión Tranviarios Automotor d’Argentine. (24)

Bien sûr, cela ne signifie pas que Dummai avait quelque chose à voir avec ces activités, mais c’est le cas d’autres personnes en lien avec ses sociétés.

GORA SECK EST EGALEMENT UN ELEMENT CENTRAL ET SES RELATIONS AVEC LES REPRESENTANTS GOUVERNEMENTAUX SOULEVENT DES DOUTES
Les liens d’affaires étroits unissant Gora Seck, président de Senhuile, et Ibrahima Basse, un fonctionnaire du ministère sénégalais des Mines, soulèvent des questions. Les deux hommes codirigent deux sociétés, l’une active dans le café, l’autre dans le secteur minier. La compagnie minière, Carbomines Dakar Sa, semble avoir bénéficié du généreux soutien du gouvernement dans la mesure où l’État semble avoir joué un rôle en facilitant un accord de partenariat entre Carbomines et GreenOceans, une société minière basée en Corée du Sud.

Le gouvernement sénégalais se réjouit d’ailleurs du soutien apporté à cet accord d’investissement étranger pour Carbomines. (25) Et sur le site Web de GreenOceans, nous trouvons les photos d’une visite en Corée de Carbomines/African Minerals Corporation, en même temps que des représentants de l’État sénégalais, associant Seck et Basse. (26) La question est de savoir s’il n’y a pas ici de conflit d’intérêt, du fait qu’un haut fonctionnaire est d’une certaine manière impliqué dans Carbomines.

Cette question est d’autant plus dérangeante à la lumière de la relation prétendument étroite entre Basse et Ousmane Ngom, ancien ministre sénégalais des Mines, et actuellement sous le coup d’une enquête pour fraude financière. Ngom, ministre d’État à l’époque, a-t-il eu un rôle quel qu’il soit dans la création de Carbomines ? Et après tout, quel rôle les intérêts miniers sénégalais jouent-ils vraiment dans le cadre du projet Senhuile ?

CONCLUSION

Cette étude a fait d’importants progrès dans la clarification de la structure financière sous-jacente du très controversé projet Senhuile. Derrière Senhuile, il y a Tampieri (51 %) et Senethanol (49 %). Derrière Senethanol, il y a Benjamin Dummai (en tant que directeur d’ABE Int, 75 %) et Gora Seck (25 %). Mais une question fondamentale demeure sans réponse : qui se cache derrière Benjamin Dummai ? Qui protège-t-il, s’il protège quelqu’un ?

NOTES
1) « Protocole d’accord » entre la communauté de Fanaye et la société Senethanol SA, 30 mars 2011.
2) Voir IPAR, « Impact des investissements agricoles italiens dans les biocarburants au Sénégal », avril 2012, et Walf Télévision, « Senethanol accusée de blanchiment d’argent », 12 juin 2013.
3) Le Cadre de réflexion et d’action sur le foncier au Sénégal (Crafs) est une alliance nationale qui regroupe une trentaine d’organisations paysannes et de la société civile qui militent pour une réforme foncière participative, Grain est une petite organisation internationale impliquée dans la lutte contre l’accaparement des terres au niveau international, Re:Common est une petite association italienne qui travaille à l’arrêt de l’accaparement des terres par des entreprises italiennes, et Sherpa est une association française qui protège et défend les populations victimes de crimes économiques.
4) Aux États-Unis et au Sénégal, les informations relatives aux actionnaires des sociétés à responsabilité limitée ou aux personnes morales (sociétés anonymes) ne sont pas accessibles au public.
5) El Hadji Malick Cissé au Sénégal, Miranda Patrucic et Lejla Camdzic, du Projet de rapport sur la criminalité organisée et la corruption du Tableau de bord d’enquête en Bosnie-Herzégovine, Claudia Apel et Mauro Maggiano, de Merian Research, en Italie et Stefano Liberti, en Italie également.
6) Le 25 mai 2013, des chercheurs de notre équipe se sont entendus dire plusieurs fois par le personnel de l’Apix (Agence pour la promotion des investissements et grands travaux) que les informations qu’ils recherchaient sur l’entreprise étaient confidentielles. Puis, le directeur de l’Apix a téléphoné à nos enquêteurs en leur disant qu’il « s’occuperait personnellement de leur affaire » s’ils « s’occupaient de lui ».
7) Témoignages recueillis par Enda Pronat et enregistrés dans la vidéo « Victimes de Ndiaël », 30 avril 2013. Les habitants de la région sont majoritairement Fulas, tribu traditionnellement pastorale.
8) Abdoulaye Sidy, « Mort par noyade de trois enfants à Gnith », Wal Fadjri, 7 juin 2013.
9) Plusieurs rapports évaluent le projet lui-même. Parmi eux, figurent ceux de l’IPAR et d’ActionAid, « Impact des investissements agricoles italiens dans les biocarburants au Sénégal », avril 2012, Copagen, InterPares et RedTac, « Étude participative sur les acquisitions massives de terres agricoles en Afrique de l’Ouest : État des lieux : Cas du Sénégal », à paraître, Oakland Institute, à paraître (novembre 2013).
10) Rapport financier annuel 2011 du Tampieri Financial Group publié le 11 mai 2012.
11) Abou Kane, ‘Momath Bâ, directeur des opérations de Senethanol : « Si le projet était arrêté, ce serait dommage pour Fanaye »’, Walfadjri, 3 novembre 2011.
12) Entretien pour « Questions Directes », Dakar, 5 août 2013.
13) Entretien réalisé en août 2013 avec Carlo Tampieri, directeur des ventes du groupe Tampieri et fils du PDG, Giovanni Tampieri.
14) Rapport B-information publié le 31 mai 2013.
15) Statuts de l’Organisation Agro Bioethanol Int. LLC.
16) Certificat de modification des statuts de l’Organisation d’Agro Bioethanol Int. LLC.
17) « Il bioetanolo prodotto in Senegal ha radici veronesi “, ASSIMP Informa, mars-avril 2011.
18) Emma Astou, « Sen-Ethanol, le projet agricole qui rend les Sénégalais fous de rage », Slate.fr, 28 janvier 2013.
19) Profil de Benjamin Dummai sur Databot, consulté le 3 octobre 2013.
20) « Panamá : Avanza investigación de empresas ligadas a Pinochet », La Nación, 19 octobre 2005.
21) Colin Brayton, « Cisco sour: The Panamanian Connection », 20 octobre 2007.
22) Woodward et Newton, « SocGen : Nouveaux emmerdes à Panama… », 15 septembre 2011, Bakchich.
23) Cesar Romero Calle, « En total investigan a 40 personas. Otras cinco ya tienen orden de detención Pro », La República, 2 février 2002.
24) Leonardo Nicosia, « El líder de la UTA estaria trabalho a una firma offshore », Periódico Tribuna, 21 novembre 2010.
25) Ministère des Mines, de l’Industrie et des PME, « Exploitation de la tourbe des Niayes : Signature d’un important contrat entre le Sénégal et la Corée », Dakar, 10 novembre 2010.
26) 세네갈 산업자원부 차관보 바세 일행 내한, (주) 그린오션과 광산 및 전력사업 협의, janvier 2011.

ENCADRE 1 
CONNEXIONS DELICTUEUSES DE HERRERA

Harmodio Herrera a été en lien direct avec deux scandales politiques de haut niveau. L’un concernait la Conférence épiscopale du Costa Rica, qui avait mis en place une société écran au Panama, dirigée par Herrera, pour éviter de payer des impôts. L’autre impliquait Luis Bárcenas, ancien trésorier du Parti populaire espagnol au pouvoir.

Bárcenas a utilisé plusieurs sociétés écrans au Panama, dans lesquelles Herrera servait d’homme de paille, pour l’exploitation d’une caisse noire par laquelle ont transité jusqu’à 22 millions d’euros vers des comptes bancaires suisses. Bárcenas a été reconnu coupable des accusations – blanchiment d’argent et fraude fiscale – en juin 2013. Le Premier ministre Mariano Rajoy a également été impliqué dans cette affaire et il est actuellement mis en cause. (1)

Bárcenas a également été accusé d’avoir blanchi 3 millions d’euros des fonds qu’il avait transférés en Suisse par le biais d’un verger de citronniers de 30 000 ha appelé La Moraleja, que son prédécesseur en tant que trésorier du Parti populaire et partenaire d’affaires supposé, Ángel Sanchís, avait acquis dans le nord de l’Argentine. (2)

L’affaire Bárcenas implique également l’Igra et Lilian De Mushett, qui a apparemment créé une société écran panaméenne supplémentaire, Granda Global SA, pour transférer une partie des fonds.

NOTES
1) Un aperçu simple de l’affaire Bárcenas est disponible sur Wikipedia.
2) O. Fonseca Lopez, « El dueño del limonar argentino para el que trabajó Bárcenas acusa a Ruz y la UDEF de arruinar su finca », VozPópuli, 19 septembre 2013.