Dans sa quête effrénée pour se comporter en « partenaire modèle » de l’Occident, le président sénégalais Macky Sall risque d’aller en travers des intérêts de l’Afrique. Mais quand son prédécesseur, le président Wade, avait trahi l’Afrique en allant se mettre au service de l’agression impérialiste de l’Otan contre la Libye, on a vu comment il a fini…
« La demande de retrait de la base française (par l’ex-Président Wade) était une erreur qui relevait d’un sentiment nationaliste quelque peu mal placé. Sans de telles bases en Afrique, le Mali aurait disparu de la carte et notre pays aurait peut-être subi les conséquences les plus néfastes de l’avancée des terroristes » (Le Soleil, lundi 1er juillet, p. 3) Aussi incroyable que cela puisse paraitre, ces mots sont bien du président Macky Sall, dans une interview au quotidien français Le Monde. Cette déclaration tend à conforter ceux qui l’accusaient d’être le « candidat de la France » lors de l’élection présidentielle de l’année dernière.
En fait, les propos sur le Mali, indignes d’un dirigeant africain, ressemblent fort à ceux exprimés il y a quelques mois par M. Laurent Fabius, le ministre français des Affaires étrangères, qui disait que « sans l’intervention française, il n’y aurait plus de Mali » ! Le président sénégalais serait-il devenu « un pion » – conscient ou non- au service des ambitions géostratégiques des pays occidentaux en Afrique ? En tout cas, les propos ci-dessus et certaines décisions semblent indiquer un alignement quasi-inconditionnel du Sénégal sur les politiques de ces pays.
DES RETOMBEES MILITAIRES DE LA VISITE DE BARACK OBAMA?
A la fin de la visite du président Obama au Sénégal, Macky Sall a dit qu’elle « a repositionné le Sénégal sur la scène internationale » (Le Soleil des 29 et 30 juin). Il pense que cette visite pourrait inspirer confiance aux investisseurs privés étrangers. Mais il faut plus qu’une visite du président des Etats-Unis pour attirer les investisseurs. Ce que Bill Clinton n’avait pas pu faire pour le Sénégal, dans une conjoncture mondiale beaucoup plus favorable, ce n’est pas Barack Obama qui va le faire, surtout dans la situation actuelle que connaît son pays. En plus des difficultés économiques et financières que traversent les Etats-Unis, le président Macky Sall semble oublier que Barack Obama a perdu l’aura dont il jouissait au début de son premier mandat.
En vérité, le « repositionnement » dont parle Macky Sall serait peut-être lié à autre chose qu’il n’a pas révélée. En effet, selon un quotidien sénégalais, Macky Sall aurait accepté que les Etats-Unis ouvrent au Sénégal une base militaire pour mener la lutte contre le trafic de drogue en Afrique de l’Ouest et dans d’autres régions du continent (Le Populaire, 3 juillet, p.6). Le journal ajoute que le Ghana avait rejeté une telle proposition lors du passage d’Obama dans ce pays durant son premier mandat. Si une telle information devait se révéler exacte, ce serait un tournant dangereux et contraire aux intérêts fondamentaux du peuple sénégalais. Ce serait aller vers la vassalisation du pays qui risque de devenir une cible privilégiée pour les narcotrafiquants et les groupes terroristes.
LE TRAITEMENT DE L’AFFAIRE HABRE
Si le doute est encore permis sur l’ouverture d’une base militaire, par contre, « l’enlèvement » de Hissène Habré – selon ses avocats – ou « kidnapping d’Etat » selon le journal EnQuête, quarante-huit heures après le départ de Barack Obama, est une coïncidence trop troublante pour ne pas laisser planer des doutes sur la promesse faite au locataire de la Maison Blanche d’accélérer ce cas. Les soupçons sont renforcés par « les félicitations » de Reed Brody, conseiller juridique de Human Rights Watch, adressées à Macky Sall, juste au lendemain du départ d’Obama du Sénégal. Son organisation, qui a fait un lobbying intense auprès de l’Administration Obama sur cette affaire, aurait-elle eu vent de la « promesse » faite à dernier par Macky Sall? En tout cas, la diligence dont semble faire preuve le régime sénégalais sur ce dossier serait largement dictée par le désir de plaire aux Etats-Unis et aux organisations mercenaires, comme Human Rights Watch, dont l’agenda principal semble être la chasse aux « dictateurs » africains !
Le président Macky Sall a eu également droit aux félicitations très chaleureuses de son homologue tchadien, Idriss Deby Itno. Deby est tellement content de la décision de Macky Sall qu’il a décrété la journée du vendredi 5 juillet jour férié, chômé et payé ! Tout cela montre la collusion objective entre le Président Macky Sall et le dictateur tchadien. D’ailleurs, Macky Sall avait donné une illustration de cette collusion en expulsant le jeune blogueur tchadien Makaïla Nguebla, vers la Guinée, sous des prétextes ridicules.
VISITE A LA CPI: UN REJET DE LA POSITION L’UNION AFRICAINE ?
Dans sa quête effrénée pour se comporter en « partenaire modèle » de l’Occident, Macky Sall risque d’aller en travers des intérêts de l’Afrique. La visite qu’il a effectuée en novembre 2012 à la Cour pénale internationale (Cpi) à la Haye aux Pays-Bas, en est un exemple. En effet, il est difficile de comprendre qu’un président africain puisse visiter la Cpi alors que l’Union africaine refuse toute coopération avec elle et que d’anciens chefs d’Etat africains y sont détenus.
La position de l’Union africaine est motivée par le fait que la Cpi est essentiellement spécialisée dans la chasse aux dirigeants et ex-dirigeants africains. Ce que le Premier ministre éthiopien – actuel président en exercice de l’Ua- a dit explicitement lors du Sommet sur la célébration des 50 ans de l’Oua/Ua le 25 mai 2013 à Addis Abeba. La nomination d’une Africaine comme procureur, qui vise essentiellement à « légitimer » la chasse aux Africains, va renforcer le sentiment que les pays occidentaux, qui se servent de la Cpi contre leurs ennemis des pays du Sud, se moquent un peu plus des Africains en leur faisant croire que cette nomination pourrait changer la nature de la Cpi. La preuve en a été donnée par le rejet méprisant qu’elle a opposé à la requête de l’Ua de se dessaisir du cas kenyan.
Par contre, en dépit des crimes de guerre et des crimes contre l’Humanité commis par des dirigeants occidentaux – comme George Bush ou Tony Blair – et israéliens, aucun n’a jamais été inquiété et ne le sera jamais par la Cpi. Cette impunité avait amené l’ancien président de la Commission de l’Ua, Jean Ping, à apostropher la Cpi en ces termes : «Est-ce à dire qu’il ne se passe pas de crimes dans d’autres parties du monde, sur d’autres continents en dehors de l’Afrique? »
Ainsi donc la position de l’Union africaine à l’égard de la Cpi est-elle amplement justifiée. Elle correspond aux sentiments d’une large majorité des citoyens africains. Pour ces derniers, toute tentative de légitimer les actions de la Cpi, comme la visite de Macky Sall à La Haye, pourrait être perçue comme une trahison des positions de l’Afrique. Quand son prédécesseur, le président Wade, avait trahi l’Afrique en allant se mettre au service de l’agression impérialiste de l’Otan contre la Libye, on a vu comment il a fini : isolé au sein de l’Union africaine, détesté par l’opinion africaine et finalement humilié par le peuple sénégalais !
Macky Sall veut-il aller plus loin que son prédécesseur dans l’aplatissement devant les pays occidentaux ? Les déclarations faites au journal Le Monde ainsi que celles qu’il a faites durant et après la visite de Barack Obama semblent accréditer cette thèse. Mais l’histoire a montré que la servilité à l’égard de l’Occident finit souvent mal, très mal!
Demba Moussa Dembélé