Ce samedi 26 octobre 2013 se tient à l’Université Félix Houphouët Boigny d’Abidjan-Cocody un colloque international sur le thème « Renaissance africaine et Afrocentricité » organisé par la Département de Philosophie, le Bureau des doctorants en Histoire, en association avec « Afrocentricty international », Division d’Abidjan et le centre Kemetmaat. Pour une meilleure compréhension du terme « Afrocentricité », du thème du colloque de son opportunité et de ses objectifs, nous avons croisé le Professeur Ramsès BOA THIĖMĖLĖ.
Afriquessor.com: Prof. Ramsès BOA THIĖMĖLĖ, pourriez-vous vous présenter aux lecteurs de Afriquessor.com?
Prof. Ramsès BOA THIĖMĖLĖ : Je suis enseignant-chercheur, professeur titulaire de philosophie à l’université Félix Houphouët-Boigny d’Abidjan Cocody, Côte d’Ivoire. Suis également diplômé de l’université de Poitiers où j’ai présenté en 1985, une thèse de troisième cycle sur Nietzsche. Je donne cette précision car mon passage en France va avoir une incidence sur ma perception des faits africains, après ma rencontre avec des frères africains portés sur une lecture que je qualifierai de révolutionnaire de l’histoire de l’Afrique et du peuple noir. Ma prise de conscience d’une lecture qu’on qualifierait aujourd’hui d’afrocentrée s’est faite hors d’Afrique. Dès mon retour en Afrique, Cheikh Anta Diop est devenu le fondement de mes recherches.
Professeur, pouvez-vous expliquer l’opportunité du Colloque international sur la «Renaissance africaine et Afrocentricité » qui se tiendra à Abidjan, en Côte d’Ivoire, ce samedi 26 octobre 2013 ?
Nous suivons les recommandations de notre institution continentale l’Union Africaine (UA), qui a décrété l’année 2013, l’année du thème « Renaissance africaine et panafricanisme ». Nous déclinons cette recommandation en activités intellectuelles réflexives. Nous laissons le soin aux artistes, aux poètes, ou aux écrivains, chacun, dans son domaine, d’inventer quelque chose qui réponde à cette recommandation. Nous avons également voulu profiter du passage en terre ancestrale de deux enfants d’Afrique, pour partager nos communes espérances en un devenir meilleur de notre continent et de notre communauté. Les deux enfants sont Dr. Molefi Kete Asante et Dr. Ama Mazama, enseignants aux Etats-Unis.
Vous avez raison si l’on se situe dans le monde dit francophone. En effet, en francophonie, l’idée d’Afrocentricité est peu connue et certains penseurs eurocentrés ont même tenté de moquer cette notion d’Afrocentricité. Je ne parle pas de critiques théoriques mais de dérision. Mais c’est de bonne guerre. Nous sommes habitués à de tels dénigrements. Souvenons-nous que Cheikh Anta Diop a été victime.
Pour être bref, disons que l’Afrocentricité prolonge une nouvelle école de pensée née dans le cercle universitaire de Temple, aux Etats-Unis, autour de la question de la représentation du négro-africain ou de l’Africain Américain dans les champs du savoir. Théorie opératoire élaborée et systématisée par Molefi Kete Asante, l’Afrocentricité refuse les bases anciennes de perception de l’Africain. Il s’agit pour elle, de se comprendre comme acteur de son histoire. En somme, elle veut mettre fin à une aliénation dans laquelle nous ont plongés des siècles de négativités historiques.
« En effet, en francophonie, l’idée d’Afrocentricité est peu connue et certains penseurs eurocentrés ont même tenté de moquer cette notion d’Afrocentricité. »
Qu’est ce qui justifie un colloque sur la «Renaissance africaine et Afrocentricité » à Abidjan maintenant ? Et quels sont les objectifs de ce colloque international ?
D’abord, il s’agit d’un hasard de calendrier lié aux activités de nos deux invités que sont M. K. Asante et A. Mazama. Ensuite, le département de Philosophie met en pratique les acquis du LMD qui invitent l’université à s’ouvrir à la société civile et à l’espace mental de la société. C’est pourquoi ce colloque est organisé par des entités différentes comme le Bureau des Doctorants en Histoire de notre université, Afrocentricity International, Division d’Abidjan et le Centre de recherche Kemetmaat. Nous répondons aussi aux attentes de nos peuples qui transcendent les frontières politiques. Un besoin d’unité et de départ nouveau est présent dans les mentalités. L’Afrique, de manière générale, est dans l’attente de paroles d’espoir. Les universitaires et les chercheurs ne peuvent pas rester sourds à cet appel de conscience collective.
Le colloque vise plusieurs objectifs. Vous me permettez d’en citer 2 :
Inviter les intellectuels, les décideurs politiques et la communauté scientifique à repenser les programmes universitaires et scolaires en y intégrant les grandes œuvres produites par les Africains.
Rappeler aux jeunes étudiants la part prise par les Africains et les Africains-Américains à la Civilisation. Cette part a été longtemps occultée, si bien que la conscience populaire ne retient que les derniers siècles de décadence. Or, pendant des millénaires, le génie africain a inventé de grandioses œuvres.
Faire connaître l’idéologie victorieuse qu’est l’Afrocentricité.
Pensez-vous arriver à des résultats probants en une seule journée de travaux ?
Les pyramides n’ont pas été créées en une seule journée ! Nous sommes sûrs des résultats, eu égard aux nombreux textes proposés par des spécialistes de diverses disciplines. Ce colloque fondamentalement pluridisciplinaire, va regrouper historiens, linguistes, mathématiciens, philosophes, sociologues, spécialistes de civilisations, universitaires purs ou chercheurs libres. En fait, ce sera le 1er colloque. Après celui-ci, vont suivre d’autres. Il appartiendra aux participants d’en fixer la périodicité : annuelle ou biennale. Nous posons les jalons d’une tradition de rencontres futures.
Ce colloque international sur la «Renaissance africaine et Afrocentricité » se tiendra dans un pays africain déchiré par plus de dix ans de crise militaro-politique couronné par une crise postélectorale. Le colloque se penchera-t-il sur la crise ivoirienne pour une proposition de sortie de crise et réconciliation ?
Je ne peux pas préjuger des orientations du colloque. Ce sont les participants qui en décideront. Mais je rappelle que nous sommes à une activité de réflexions et non de mise en pratiques d’actions politiques. Les universitaires, les chercheurs et de façon générale, les intellectuels, ont pour vocation de proposer des utopies mobilisatrices, des idées. Il appartient aux hommes politiques d’en apprécier la teneur ou de s’en saisir dans des programmes politiques singuliers. Disons également que notre colloque fait suite à celui du 28 septembre au 30 novembre 2011 qu’avait organisé le ministère de la Culture et de la Francophonie de la Côte d’Ivoire sur ce thème : « La renaissance africaine et les leçons de la crise ivoirienne. » Vous voyez donc que, en matière de propositions, il appartient aux décideurs de prendre les résolutions et recommandations de ce colloque auquel j’ai du reste participé en tant qu’universitaire. Notre colloque se situe à un autre niveau : nous pensons l’Afrique en tant que sujet unifié et libre. Laissons la gestion quotidienne aux politiques.
« Je rappelle que nous sommes à une activité de réflexions et non de mise en pratiques d’actions politiques. Les universitaires, les chercheurs et de façon générale, les intellectuels, ont pour vocation de proposer des utopies mobilisatrices, des idées. »
Quelle est votre appréciation du communiqué du Sommet extraordinaire des chefs d’État africains sur le rapport Union Africaine-Cour Pénale Internationale ?
Le fonctionnement d’une institution est délicat. L’Afrique doit éviter les réactions épidermiques. La diplomatie a ses règles et son chronogramme qui échappent parfois aux individus peu outillés à la lecture des faits. Des sages de chez nous disent : parfois des reculades font avancer, parfois des avancées font tomber. Apprenons à faire aussi la politique.
Quelle est la vision du colloque au lendemain d’une telle rencontre au sommet de l’Afrique ?
Pour le moment, au moment de l’interview, je ne peux rien dire de ce que les participants au colloque diront de cette rencontre de l’UA. En revanche, je sais que nous voulons d’une Afrique forte, digne et respectée ; d’une Afrique qui protège ses enfants de toute menace physique, mentale, spirituelle ou économique.
Quels sont les personnalités du monde politique et intellectuel qui sont attendues à ce colloque ?
Comme je le disais plus haut, ce colloque va rassembler des universitaires de plusieurs disciplines comme l’Histoire, la Linguistique, les Mathématiques, la Philosophie, la sociologie, les spécialistes de civilisations, les universitaires purs ou chercheurs libres, etc. N’oublions pas que nous sommes à un colloque inaugural. Ce sera le 1er d’une série dont la périodicité sera à définir.
Professeur pouvez-nous nous citer quelques célèbres contemporains de l’ “Afrocentricité” ?
Molefi Kete Asante, Ama Mazama. On pourrait y ajouter Théophile Obenga, Kofi Awoonor ou Bwemba-Bong. Eux tous reconnaissent les Cheikh Anta Diop, Aimé Césaire, nos contemporains, comme les ancêtres-fondateurs de l’Afrocentricité.
Quelle est la différence entre le « Panafricanisme », la « Négritude » et l »Afrocentricité » ?
Dans son livre L’Afrocentricité, Molefi Kete Asante, indique ce qu’il doit à chacune de ces doctrines de prise de conscience de la centralité du fait noir. Il me semble plus important de chercher ce qui les unit plutôt que de se demander que ce qui les différentie. Ce qui les unit, c’est cette conscience collective du fait Africain et l’engagement à faire preuve de grandeur. Toutes ces théories cherchent à changer notre rapport à nous-mêmes et à notre histoire.
Votre dernier mot.
Le colosse africain se réveille petit à petit de sa torpeur. L’Afrique reviendra comme à l’origine. Nous allons reconstituer le corps démembré d’Osiris. Je vous remercie de cette opportunité de parler du colloque et de nos utopies africaines. Nous réapprenons à rêver. Les esprits chagrins et nihilistes verront vantardise puérile. Les autres, en revanche, découvriront vérité historique et frémissement d’une Afrique en train de renaître à soi. Merci et à bientôt.
Interview réalisée par Simplice ONGUI
Derniers livres publiés par le Ramsès BOA THIĖMĖLĖ
La sorcellerie n’existe pas, Abidjan, Les Editions du Cérap, 2010