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Isabelle Boni Claverie, parente de Danielle Boni Claverie, est révulsée par le racisme et autres attitudes xénophobes qu’elle et la communauté noire subissent en France. Pour fustiger cette hypocrisie de l’Hexagone, elle a réalisé un film documentaire, intitulé « Trop noire pour être française ? ». Elle en parle dans cet entretien diffusé sur Rfi, le vendredi 3 juillet 2015.
Cette question : « Suis-je trop noire pour être Française ? », quand l’êtes-vous posée pour la première fois ?
Assez rapidement en fait. Dès que j’ai quitté le cocon familial et que j’ai commencé à vivre seule et à me rendre compte du regard qui était posé sur moi et qui m’interrogeait toujours sur mon appartenance à la France. Votre grand-père ivoirien, le premier qui est venu en France… Il est venu étudier en France et a épousé une Française du Sud-Ouest. Ils ont eu des enfants métisses, qui ont des enfants un peu partout dans le monde.
En fait, on est Noir parce que les autres vous le font sentir en France ?
Tout à fait.
Vous avez jalonné votre documentaire de témoignages comme ceci justement…
Oui, tout à fait. Ce sont les autres qui vous assignent cette couleur de peau. Pour vous donner une anecdote. Mon cousin, qui est diplômé de sciences Po, cadre supérieur dans un grand groupe français, et qui, un matin, attend que les portes de son entreprise, s’ouvrent ; des employés arrivent, des secrétaires et d’un ton un peu vif, lui demandent qu’est-ce qu’il attend pour ouvrir la porte ? Donc oui, on a ces stéréotypes. C’est ce que m’avait fait remarquer un sociologue et ça m’a fait tilt. Il m’a dit que c’est la réalité sociologique du pays. C’est- à-dire qu’en France, on a plus de vigiles noirs que de cadres noirs. Cela veut dire que ce ne sont pas seulement les images qu’il faut déconstruire mais aussi la réalité même, qu’il faut attaquer et travailler. Comment se fait-il qu’il y ait si peu de cadres noirs en France, que pour, les gens, un Noir en costume, ça ne peut pas être un cadre. Cela veut bien dire qu’il y a encore des discriminations fortes qui plafonnent les gens dans leurs conditions, dans leur carrière, dans leur vie.
Alors, à travers le documentaire, vous faites sans arrêt, l’aller-retour entre ces grandes questions sociologiques, historiques et votre histoire personnelle. Vous dites aussi que vous aviez longtemps cru que votre histoire familiale vous mettrait à l’abri parce que vous venez d’une famille très aisée. On voit des images de vous, enfant, passant des vacances avec l’actuel roi des Pays-Bas ?
Oui, la reine Béatrice était une amie de ma mère. Mais je me croyais libérée de ces questions là parce que mes grands parents étaient un couple mixte et que eux avaient dû se battre pour surmonter toutes les remarques racistes qui étaient leur lot. Pour moi, eux avaient mené ce combat là et que moi je n’avais pas à le faire. Effectivement, j’ai compris que quand on était noir, c’était bien souvent la première chose que l’on voit chez vous et que, du coup, ça renvoie, malheureusement, à des pré- jugés, à des stéréotypes, à des choses pas très plaisantes.
Des stéréotypes qui ont été aussi construits. Vous l’évoquiez notamment avec Achille Mbembe
Oui, avec l’historien Achille Mbembe, qui parle de l’histoire coloniale française. Il fallait s’approprier des terres qui ne leur appartiennent pas, réduire aux travaux forcés les Africains colonisés. Pour justifier tout ça, on a commencé à construire un corpus pseudoscientifique, à faire de la propagande tout simplement en disant : ils sont inférieurs à nous, ne sont pas totalement évolués, sont un peu bêtes, sont encore à l’état animal. Heureusement, nous, la civilisation européenne, on va les aider à s’élever. C’est le mensonge de la communication.
Et tous ces stéréotypes ont ensuite continué à perdurer à travers la publicité par exemple…
Cela faisait partie de la culture populaire et personne ne remettait en cause cette image des Noirs. Il y avait des publicités pour des bonbons, on voit une femme sur une chaise à porteur, portée par des Noirs, avec de grosses lèvres, toutes roses. Il y avait des sketchs de missionnaires que je regardais quand j’étais enfant, je les trouvais déjà racistes. Et tout cela a irrigué notre culture populaire, ça a construit un inconscient.
Et votre documentaire vise peut-être à déconstruire cet inconscient-là. Qu’est-ce qui vous a poussé à le réaliser ?
Je pense notamment, au moment de mon engagement, sur l’affaire Guerlain. Quand Jean-Paul Guerlain dit à la télévision que, en créant un parfum pour la première fois de sa vie, il a travaillé comme un nègre. Si tant est que les nègres n’aient jamais travaillé. Personne n’a réagi, à l’exception d’Audrey Pulvar, qui se trouve être noir. Et moi, c’est cela qui m’a interpellée. Je me suis dit que personne ne se rend compte que dans ce pays, il y a plusieurs millions de citoyens français qui sont Noirs. Et que des paroles racistes comme ça, diffusées sur un service public, à une heure de grande écoute, ça doit être corrigé, ça doit être remarqué. Moi, ça m’a profondément choquée. Donc, j’ai organisé des manifestations au magasin Guerlain, aux Champs Elysées. Et quand tout cela est fini, j’ai eu envie d’aller plus loin, de réfléchir avec les moyens qui sont les miens, à travers un film.
Retranscrit par A. NIADA
Source : Soirinfo 6225 du samedi 4 & dimanche 5 juillet 2015