« La volonté optimiste ou triomphaliste du Président Alassane Ouattara et du RHDP de convaincre uniquement par l’économie, peut être sérieusement questionnée »
Tout au long de la gouvernance des différents Présidents de la République qui se sont succédés à la tête de notre pays, s’est installée une corrélation non dissimulée entre le pouvoir politique et le pouvoir médiatique, dans le but de renforcer la légitimation du premier, de bonifier son image, de contrôler l’information, de justifier son discours et d’accroître la visibilité de son action. Certains ont été plus loin en caporalisant la jeunesse et en utilisant des artistes et des célébrités du monde culturel pour chanter leur mérite personnel, servir leurs causes, mais surtout leurs intérêts. La constance de cette attitude dans la gestion du pouvoir d’État démontre d’une part, l’importance de la bataille culturelle et de la guerre des images, d’autre part, que les moyens de communication dans notre pays, ne constituent pas un contre-pouvoir, mais sont dans la réalité des instruments au service des forces politiques et des ambitions personnelles des uns et des autres, au service des puissances de l’argent et du Pouvoir pour influencer ou mystifier dans un sens ou un autre « l’opinion publique ». Au-delà de cette volonté de contrôle, il existe un enjeu majeur tant pour le pouvoir que pour l’opposition, celui de parvenir à asseoir sa domination sur les esprits et les émotions. Dès lors, les pratiques socio-politiques, les représentations, les discours, les images et les croyances collectives jouent un rôle important dans l’établissement de ces systèmes de domination et de contrôle social.
Or, avec l’explosion des NTIC et la montée en puissance de la société civile, un nouveau rapport s’établit entre le pouvoir politique et l’instance citoyenne. Aussi, la structure de l’espace public s’est considérablement modifiée, et compte désormais 4 composantes essentielles : la parole politique, la parole médiatique, la parole citoyenne et l’image instantanée, on pourrait presque dire à ce propos, le témoignage de la technologie post-moderne et la marque la plus visible de la globalisation du monde. En observant et en analysant d’un point de vue discursif l’interaction de ces discours, il est possible de déceler des ruptures structurelles et fonctionnelles dans la dynamique de légitimation ou de diabolisation du pouvoir. En effet, les facteurs économiques, sociaux, idéologiques et politiques, parmi d’autres, ne permettent plus de gagner la bataille culturelle, si on ne prend pas en compte les liens entre le manifeste, l’apparent d’un côté et le latent, l’occulte de l’autre côté. Il existe en Côte d’Ivoire d’autres déterminants à prendre en considération, car il existe des liens immatériels, émotifs, culturels, ethniques, mémoriels et psychologiques qui interviennent dans la perception et l’expression de la relation particulière qui se tisse entre le pouvoir et le peuple. Ceux-ci produisent des échos du passé dans le présent ou actualisent des associations et des alliances invisibles ou encore réveillent des douleurs mal cicatrisées ou encore fraîches. Certaines images collent à la peau, certains préjugés et clichés ont la vie longue, certaines légendes et reconstructions historiques finissent par avoir un fort impact sur le subconscient collectif à force de répétition et de constance dans la durée. Un mensonge répété à l’infini devient une demi-vérité et laisse des traces dans la mémoire des hommes.
Dès lors, le RHDP aurait tort de s’enfermer dans des certitudes et de compter entièrement et uniquement sur son bilan et sur l’avantage qu’il possède sur ses concurrents, à travers le rapport de force démocratique au niveau des grands électeurs, de son implantation territoriale et des moyens de l’Etat. Il suffit d’observer les réactions populaires devant certains faits de société ou d’actualité, pour se rendre compte de certains dysfonctionnements dans les corrélations des différentes instances de l’espace public, depuis la parole citoyenne en tant qu’objet d’autorité, de pression et de juge de la pertinence, jusqu’au rôle traditionnel du binôme politico-médiatique dans le traitement de l’information.
1 – Les filtres ne fonctionnent plus en raison de la pluralité des sources d’information.
2 – La globalisation du monde introduit de nouveaux éclairages et des éléments comparatifs dans l’appréciation des faits et des politiques publiques
3 – Les facteurs manifestes et apparents peuvent ne pas affecter la psychologie sociale dans le sens souhaité, ou briser des stéréotypes, des préjugés, des rumeurs et des résistances silencieuses, en l’absence de débats publics, parce que l’irrationnel et l’émotion demeurent assez forts dans certaines couches de la population et que celle-ci est majoritairement analphabète pour saisir les subtilités de la politique, ses enjeux et les mécanismes d’une réalité ou d’un phénomène social.
4 – Auparavant l’enrichissement personnel, la promotion sociale, les promesses matérielles et la peur suffisaient à maintenir la cohésion d’un système de gouvernance ou d’un régime, à lui assurer une réélection. Aujourd’hui, il faut compter avec le triomphe de la liberté individuelle un peu partout dans le monde, les ravages du populisme, la transparence du système électoral, la distance citoyenne à l’égard du politique et l’indiscipline grandissante des militants qui remettent de plus en plus en cause les orientations de leur direction et certaines pratiques abusives.
5 – Le peuple a besoin d’être porté par une thématique qui le séduise, dans laquelle il peut se reconnaître et s’identifier, qui fasse écho à son histoire, à ses besoins et à ses aspirations ou qui produise du sens par rapport à son background culturel.
L’opposition a choisi le registre thématique de son action et défini sa stratégie, en tentant d’instruire le procès de l’histoire à son profit, de surfer sur l’actualité pour dénigrer le pouvoir, de nourrir le mouvement social en vue d’obtenir par tous les moyens un mécontentement populaire, à défaut d’un soulèvement. Elle utilise pour parvenir à ses fins une alliance de fait avec de nombreux médias acquis à sa cause, de puissants relais de déconstruction et des entreprises de mystification et de falsification. Exemple, l’utilisation d’un thème mobilisateur et œcuménique comme la réconciliation nationale pour maquiller des alliances politiques, une démarche de conquête du pouvoir et donner un espace d’expression plus fédérateur, plus porteur à des ambitions personnelles, des revendications partisanes, des prétentions et une idéologie. Il convient de souligner que les partis de gauche qui constituent le noyau dur de cette opposition ont derrière eux une longue tradition de lutte et de pratiques subversives. Depuis Houphouët-Boigny la gauche a pris la direction intellectuelle et morale du mouvement révolutionnaire en Côte d’Ivoire en vue de forger une nouvelle conscience sociale, citoyenne et nationale. Dès lors, elle est très familière des schémas révolutionnaires de conquête du pouvoir. Elle sait qu’elle doit être très présente dans les médias, les organisions syndicales, les mouvements de masse, les manifestations culturelles, l’administration, les institutions éducatives, voire les forces armée, en vue d’infiltrer le pouvoir, de le provoquer, de le harceler de toutes parts, mais aussi pour mieux propager son discours, ses théories, son idéologie et surtout pousser par sa rhétorique le peuple à l’engagement militant et à la révolte populaire. Elle a toujours eu l’intelligence de s’allier à certaines forces sociales, appartenant à la bourgeoisie libérale, à la classe dirigeante, au pouvoir et au grand capital. Si cette technique lui a réussi par le passé dans sa conquête du pouvoir, elle n’a pas réussi à installer pour autant sa révolution culturelle qu’elle a appelée Refondation. Celle-ci ayant échoué pour diverses raisons, aujourd’hui elle peine à s’imposer aux consciences marquées par l’expérience de cet échec et une absence de projet dépassant les intérêts d’un groupe de personnes, d’un clan, mais aussi par l’œuvre du temps qui a mis à nu de nombreuses impostures qui ont permis d’abuser de la crédulité des populations qui se sont laissées séduire un temps, par des mythes, l’ethno-nationalisme, le rejet de l’autre, son frère africain, qui nie le panafricanisme prôné, l’humanisme politique et la solidarité des peuples opprimés, tandis que de nouvelles fortunes et une nouvelle bourgeoisie d’arrivistes faisaient leur apparition.
Le pouvoir qui ne s’est pas investi dans les médias privés et qui a une pédagogie de l’action très insuffisante n’a pas encore osé choisir le thème porteur de sa future campagne, si l’on excepte la paix publique, la stabilité institutionnelle et le développement. Dernièrement, il s’est mis davantage à l’écoute des besoins et des aspirations des populations, espérant corriger ce dysfonctionnement avant fin 2020. Il a compris également qu’il doit inventer un modèle affectif de persuasion en privilégiant une approche personnelle et de proximité et en manipulant davantage les symboles. En plus de ses élus qu’il a sur le terrain, il a mis en place une équipe gouvernementale avec pour mission d’être au plus près des populations dans leurs régions respectives, pour s’assurer de l’impact de l’action gouvernementale sur la vie des populations. Toutes ces actions de rattrapage, de séduction, de correction, de communication, peuvent-elles suffire à combler le déficit qu’il a accusé dès le départ dans la bataille culturelle pendant trop longtemps. Pourquoi des pouvoirs forts, bien installés, confiants en eux-mêmes, soutenus par l’extérieur, travailleurs et bien intentionnés arrivent-ils à perdre une élection ou à se faire renverser par un mécontentement populaire ? En raison précisément de ces dysfonctionnements et surtout du fait d’avoir perdu la bataille culturelle. Dans le climat de défiance et de la politique d’isolement dans lequel l’opposition veut l’enfermer, la voix du pouvoir devient de moins en moins audible, à cause de ces dysfonctionnements et du fait d’avoir négligé la bataille culturelle, confiant et optimiste qu’il était au regard de son poids électoral avec la réunion du PDCI et du RDR et d’une opposition très affaiblie qui arrivait à peine à récupérer ses forces. Pourtant, tout politique sait que la bataille culturelle précède la bataille électorale, et que tout développement doit placer au sommet de la hiérarchie de ses priorités, la culture. La fin du règne du Président Houphouët-Boigny a été chahutée et fortement contrariée, voire sa gestion contestée pour avoir quelque peu négliger cet aspect de la gestion du pouvoir, malgré les théoriciens du Parti Unique et de son système de gouvernance. Aujourd’hui la volonté optimiste ou triomphaliste du Président Alassane Ouattara et du RHDP de convaincre uniquement par l’économie, peut être sérieusement questionnée, car s’il est parvenu à maintenir l’ordre social et public, c’est parce qu’il a réussi à reformer et maîtriser son appareil sécuritaire, tout en évitant avec habilité et sagesse de répondre à la provocation constante de son opposition. Il sait qu’il doit désormais exercer une emprise sur les représentations culturelles et les désirs collectifs de la société dans une perspective de conservation du pouvoir, dont celui de la paix. Le RDR qui constitue l’ossature du RHDP a derrière lui également une longue tradition de lutte. Il sait qu’il ne doit pas se faire prendre au piège de l’auto-satisfaction ou de la résignation faute d’offensive, de pédagogie et de communication. Il doit continuer à faire rêver comme par le passé, malgré l’expérience du pouvoir et l’épreuve de celui-ci à la réalité. Il doit légitimer la conservation du pouvoir par son bilan, ses chantiers en cours, mais surtout le progrès social qu’il est capable d’apporter, et le changement de société qu’il peut entrainer par la promotion de valeurs qui soient partagées par tous. La révolution pour lui correspond à l’échelle et la profondeur de ce changement du cadre de références, autrement dit la réussite du chantier de la construction de l’ivoirien nouveau pour une Côte d’Ivoire nouvelle, marquant ainsi la primauté du culturel sur l’avoir et le développement matériel.
Conclusion
Dans une société démocratique cette bataille prend place dans la société civile. Cette dernière doit faire preuve de résistance aux illusions, au populisme, aux émotions et aux discours de haine et d’exclusion. Elle doit favoriser une révolution pacifique, un changement des pratiques sociales et politiques, et permettre l’installation des valeurs positives et fondamentales devant guider une société éprise de paix, moderne, ouverte, inventive, laborieuse et disciplinée. Une société où la mentalité, les énergies, et les actions servent le progrès humain et social. Dès lors, nous commencerons à nous développer réellement.
Pierre Aly SOUMAREY