La côte d’Ivoire, notre pays traverse une crise multiforme et multisectorielle depuis plus de deux décennies.

Depuis le décès du Président Houphouët, père de la Nation, garant de l’unité nationale, sans pouvoir designer son successeur, alors que les acquis du multipartisme arraché de hautes luttes par l’opposition de tendance socialiste ne s’étaient pas encore consolidés, ont entrainé la Cote d’Ivoire dans une guerre de succession entre Konan BEDIE, le dauphin constitutionnel et Alassane Ouattara le premier Ministre Historique d’Houphouët d’une part, et entre les deux et l’opposition historique dirigée par Laurent GBAGBO d’autre part.

Cette guerre de leadership, qui s’est manifestée soit, à travers une volonté de se maintenir au pouvoir par tous les moyens, ou d’y accéder par tous les moyens, a non seulement divisé notre jeune nation sur des bases ethniques, régionales et religieuses, mais aussi et surtout, elle nous a offert malheureusement un coup d’Etat militaire en Décembre 1999 contre le Président BEDIE ; une rébellion armée qui s’est emparée de plus de la moitié du pays contre Laurent GBAGBO ; l’assassinat d’un ex chef d’Etat, le général Robert GUEI ; le placement de notre pays sous le chapitre VII de la charte des Nations Unies pour la première fois; Une guerre meurtrière, qui nous a arraché plus de 3000 vies, appelée crise post- électorale ; des violations massives et graves des droits humains tels les cas de Duekoué, Petit Duekoué, Guitrouzon ; Soumayé et Nahibly etc ; le déplacement massif interne des populations ; l’exil de milliers de nos compatriotes dans les pays frontaliers ; la désintégration de l’armée nationale qui fait place à une ‘’armée de cousins’’, désarticulée, indisciplinée qui manifeste ses mécontentements en révoltes ou en mutineries, portant ainsi atteinte au lien sacré de soumission de l’armée à l’Etat, malgré les efforts du gouvernement pour la refonte de cette armée ; La crise de confiance entre les forces de sécurité, de défense et les populations qui se manifestent par des affrontements mortels tel le cas de Blolequin à l’ouest de la Cote d’Ivoire ; l’usage des mercenaires étrangers dans le conflit ivoirien, pourtant interdit par notre constitution ; les viols comme armes de guerre; les cas graves de torture ; le bombardement du palais présidentiel par des forces étrangères en violation du droit international ; l’arrestation et le transfèrement du président GBAGBO à la cour pénale internationale de la Haye alors même que les conditions légales n’étaient pas encore réunies ; les emprisonnements des membres de l’opposition ; la désintégration de la confiance d’ une grande partie des ivoiriens vis-à-vis du système judiciaire ; la crise de confiance des uns envers les autres et l’installation de la méfiance instinctive à l’égard des voisins ; la pauvreté , la misère avec 15,4% de la population en état de sous-alimentation et environ 12,8% concernée par l’insécurité alimentaire pendant que le taux de croissance oscille entre 9,8% en 2012.

Le taux de l’endettement de la Cote d’Ivoire oscillait déjà autour de 47% du PIB. Même si ce taux semble acceptable au regard des normes fixées par l’UEMOA qui est de 70% , nous pouvons tout de même nous inquiéter de notre capacité à faire face au service de la dette de façon efficace en tenant compte de notre production basée essentiellement sur l’exportation des matières premières dont les cours mondiaux échappent à notre contrôle et des incertitudes relatives à la stabilité de notre pays.

Malgré le chômage des jeunes à la recherche d’un emploi, avec seulement17% des ivoiriens travaillant en plein temps et 8% en temps partiel selon certains indicateurs, et nos jeunes africains mourant par centaines dans la méditerranée, nous assistons à la superposition des institutions de l’Etat au plan national et local aux frais du contribuable ivoirien, avec par exemple dans la même localité le préfet de région ; les préfets ; les sous-préfets ; des députés ; des maires ; le conseil régional, des sénateurs.

L’insécurité continue de traumatiser les populations urbaines et rurales de notre pays avec la recrudescence des attaques des domiciles ; l’assassinat des forces de l’ordre pourtant chargées de la sécurité de tous, avec des armes toujours emportées par les agresseurs ; les coupeurs de route et cela malgré les efforts du gouvernement.

Les malades mentaux continuent de se promener dans leur nudité en pleine journée dans les rues de la capitale Abidjan portant ainsi atteinte à la pudeur publique mais aussi à notre sens d’humanisme et de compassion.

La question de la réforme de la commission électorale indépendante de la Cote d’Ivoire CEI continue d’attiser de vives tensions entre les autorités ivoiriennes et l’opposition dont certains partis majeurs refusent de siéger faute de consensus, sans omettre les grandes divisions internes à gauche au sein du FPI entre le président Gbagbo et son ex premier ministre Affi Nguessan ; et à droite au sein du RHDP entre le président Ouattara et ses ex alliés dont le président Henri Konan Bedie, doyen d’âge de la classe politique ivoirienne et son ex président de l’assemblée nationale Guillaume Soro.

Tout comme en prélude des crises sanglantes qui ont secouées notre pays, les paroles incendiaires, des injures sont déversées chaque jour par medias interposés contre les derniers monuments qui nous restent, et qui devraient nous servir de repères malgré leurs imperfections, à savoir les présidents Bedié, Ouattara et Gbagbo.

Au regard de ce qui précède, l’on peut croire, que la côte d’ivoire pourrait rentrer dans une zone de turbulences à l’approche des futures élections présidentielles si des mesures ne sont prises pour éviter un regain de tensions dans notre pays.

En réalité, cette crise multiforme, multisectorielle et décennale ne peut se résoudre par la simple organisation d’une élection présidentielle ou par le simple remplacement d’un président par un autre ou d’un parti par un autre au pouvoir comme tente de le faire le pouvoir Ouattara, ou comme le croient nos partenaires occidentaux.

Ce n’est ni par le départ matinal ou nocturne de Ouattara ou par le retour au pouvoir du président Bédié ou Gbagbo que nous trouverons une solution durable à la crise de notre pays.

Cette crise qui n’a que trop duré, a en vérité affecté non seulement le corps, mais aussi l’âme de notre pays. Sa résolution nécessite l’intervention et l’usage des moyens constitutionnels et politiques exceptionnels, mais aussi le rassemblement de tous les fils et filles de la Cote d’Ivoire, y compris la présence effective du président Gbagbo en cote d’ivoire autour de la même table avec les présidents Bédié et Ouattara pour la recherche d’un compromis, en vue de tendre vers un consensus national, par la mise en place d’un gouvernement de transition à la fin du mandat du Président Ouattara.

Ce gouvernement de transition de 2 à 4 ans aura pour tache entre autres les devoirs traditionnels de tout Etat, de revoir et de reformer de façon consensuelle, sans passion, et dans l’intérêt supérieur de la nation, l’ensemble des institutions de notre pays, en vue de le doter de nouvelles institutions conformes à nos besoins et capables de faire face aux défis de l’avenir.

Le gouvernement de transition que nous appelons de tous nos vœux, ne devrait pas être perçu comme une mesure-sanction à l’encontre du gouvernement en place, mais plutôt comme un cadre de rassemblement de discussions de toutes les forces politiques, sociales en vue de renouveler la fraternité, de réactiver la confiance, et de prendre les mesures nécessaires pour passer le témoin dans la paix, à une nouvelle génération d’hommes politiques en temps opportun.

Nous lançons un appel ce jour, à l’ensemble de nos populations à nous soutenir pour faire triompher l’option du juste milieu, en vue de rechercher un compromis, et tendre vers un consensus pour une paix durable, afin d’éviter une autre tragédie à notre pays, et jeter ainsi les bases de l’unité nationale, indispensable à tout progrès économique et social inclusif.

L’histoire récente et triste de notre pays, exige qu’on agisse maintenant et non demain ; ensemble pour sauver notre pays et nos enfants de violences politiques inutiles. Faillir de le faire s’apparenterait à un refus de notre part de protéger notre pays et nos enfants de violences graves, pendant que nous en avons la capacité.

Notre enjeu est de ramener la fraternité au sein de la classe politique ; de réconcilier la Cote d’Ivoire avec elle-même et ses voisins ; de trouver des solutions idoines à nos problèmes en s’appuyant sur nos propres ressources et nos propres réalités, en faisant appel à tous nos intellectuels d’ici et d’ailleurs, à tous nos artistes afin de jeter les bases d’une paix durable en Côte d’Ivoire, propice au développement économique et social de tous et par tous.

Henri TOHOU
Juriste et politologue
Enseignant des sciences politiques et droit américain des affaires à l’université internationale de Grand Bassam.
Président de l’Union Socialiste du Peuple (USP)
Ex candidat à l’élection présidentielle ivoirienne de 2010
President.tohou@gmail.com
Fait à Londres le 18 Novembre 2019