Raymond Zapaud Krasso s’engage aux côtés du président du FPI, Pascal Affi N’Guessan
Victime le 3 juillet dernier, de la dissolution du cabinet du président du Congrès panafricain pour la justice et l’égalité des peuples (Cojep), Raymond Zapaud Krasso est depuis le vendredi 14 août dernier à Abidjan pour s’engager aux côtés du président du Fpi, Pascal Affi N’guessan, candidat aux élections présidentielles. Depuis ce voyage qu’il considère comme la fin d’un exil, Zap Krasso (comme il est communément appelé ), connu en France et en Europe comme l’un des plus fidèles compagnons de Charles Blé Goudé, nous a accordé cet entretien dans lequel il aborde toutes les questions relatives à l’actualité politique nationale.
M. Zap Krasso, les Ivoiriens en entendent beaucoup parler, notamment ceux abonnés aux réseaux sociaux. Qui est Zap Krasso?
Je suis Raymond Zapaud Krasso. Je suis natif de Gagnoa. Je vis en France depuis plus de 20 ans. J’ai été animateur de variétés en France et parallèlement pigiste et correspondant de presse de plusieurs organes, et directeur de publication du journal ”ivoire info”, un journal communautaire en France. Aujourd’hui, je gère mes propres affaires. Mon cursus politique va de la bonne grâce du célèbre journaliste et politologue ivoirien, Bernard Doza. C’est lui qui, de mes années collège, m’a initié aux vicissitudes de la politique et au goût des médias. C’est un peu plus tard, précisé- ment en 2003, que Charles Blé Goudé m’a investi des lourdes charges pour diriger son mouvement politique en France. Après plus d’une décennie de franche collaboration, je peux juger ma mission globalement positive.
Pourtant, il semblerait que le torchon brûle entre vous et Blé Goudé, au point où il vous a débarqué de votre fonction de responsable de Cojep en France, et de votre poste de son chef de cabinet adjoint. Qu’en est-il?
Dans le cadre du réaménagement technique au sein du Cojep, le camarade président Charles Blé Goudé m’a proposé d’entrer dans son cabinet comme chef de cabinet adjoint. Il faut rappeler que j’occupais, jusque-là, le poste de représentant du Cojep en France depuis 2003. C’est à la suite de cette nomination que tout s’est emballé. Deux jours après cette nouvelle nomination, il a dissout son cabinet. Je n’en sais pas les raisons fondamentales. Je l’ai appris, comme tout le monde, par les journaux. Certains sont rentrés dans une polémique pour parler avec beaucoup de fantaisie, de limogeage d’un «homme ambitieux» et devenu gênant. Ce qui est faux. Ils s’en sont donné à cœur joie sur les réseaux sociaux, où j’ai été littéralement lynché. D’autres ont manifesté leur incompréhension et leur révolte. Ils ont trouvé injuste ce qu’ils appellent un limogeage gratuit au regard de l’immense travail abattu au niveau du Cojep France depuis plus de 10 ans. Tout compte fait, ce n’est que le bureau national qui a été reconstitué, mais son cabinet reste à venir. Et, rien n’indique que je ne serais pas dans ce prochain cabinet. Donc, on ne peut pas valablement parler de limogeage. Par ailleurs, j’ai, depuis ce temps, pris acte sans animosité, de la décision de Charles Blé Goudé. Autrement, je n’ai honnêtement rien à reprocher à Blé Goudé pour cette décision, et je pense qu’il en est de même pour lui. Le torchon ne brûle donc pas entre Blé Goudé et moi.
Pour vous qui semblez être très en contact avec Blé Goudé, quelle lecture fait il en ce moment de l’actualité nationale, depuis sa cellule de la Cpi?
Je suis un grand témoin de la vie des pensionnaires de la prison de Scheveningen à La Haye. Et plus particulièrement de celle de Charles Blé Goudé, que j’ai visité à plusieurs reprises. Nous avons eu de longs entretiens fructueux, à chaque fois. Le président Laurent Gbagbo et lui sont très attentifs de ce qui se passe à l’extérieur. Pour preuve, ils ont souhaité une grande force alternative avec ses chances de remporter les élections présidentielles à venir. Charles Blé Goudé a exprimé aussi, plusieurs fois, sa vision sur la conduite de la résistance. Il a toujours salué le dévouement des patriotes ivoiriens et panafricains. Conseillant dans ce sens qu’on ait un ton modérateur dans nos discours. Il m’a dit un jour : «Zap, on dit que tu insultes beaucoup Sarkozy et Ouattara. Ce n’est pas comme ça. Sors de l’émotion et revendique par des mots justes et de vérité. Tu seras beaucoup plus écouté et bien perçu par ceux à qui tu t’adresses». Au sujet de sa condition carcérale, Charles Blé Goudé reste confiant, tout en mesurant l’immensité de la tâche qui mènera à sa libération. Il a toujours dit à tous ses interlocuteurs qu’il fait sa part de travail avec ses avocats. A nous de l’accompagner en faisant notre part.
Personnellement, quelle est votre position sur ces sujets portant sur la tenue de la présidentielle du 25 octobre 2015, l’éligibilité du président Alassane Ouattara, la création de la Cnc et les chances de l’opposition ?
La Cnc donnait en tout cas de l’assurance, car il y avait des hommes de valeur. Mamadou Koulibaly, qui est un homme de combat idéologique, est refroidi, car on lui manquait de respect. Essy Amara aurait pu constituer une valeur ajoutée, une caution morale du fait de son aura et de son expérience. Il est écarté. Kouadio Konan Bertin avait aussi ses chances de conduire valablement cette coalition à la victoire avec sa pugnacité sur le terrain, mais ses collègues l’imaginent encore jeune. On le relègue alors à l’essuyeur des plâtres. Tout ça a fini par effriter les forces et susciter des abandons au point que la Cnc ne se résume aujourd’hui plus qu’à Charles Konan Banny, Martial Ahipaud et Abel Naki. Concernant l’éligibilité du président Alassane Ouattara, je pense que ce point-là est un détail sur lequel nous refusons de nous et aux juristes d’y trouver une issue appropriée. Le néophyte en la matière que je suis, s’interroge, cependant, sur les raisons de la contestation de l’éligibilité de quelqu’un qui est président de la République et qui remet son mandat en jeu. Cela équivaudrait-il à dire que ceux qui lui ont permis de diriger la Côte d’Ivoire pendant ces cinq ans ont fait du faux ? Certains répondent que c’était juste pour cette mandature que le président Laurent Gbagbo a permis à Ouattara de participer à ces élections au nom de la paix. Est-ce à dire que cette paix est derrière nous et qu’il faut maintenant aller à la guerre ? Nos camarades font vraiment une diversion. Ils donnent l’impression d’avoir peur de l’affronter. Pourtant nous avons beaucoup d’arguments, avec des hommes et des programmes, pour battre Ouattara. Seul Affi N’guessan et Essy Amara font front. Le copier-coller des lois constitutionnelles pose un évident problème à tous les Etats africains. Il faut les tropicaliser. Faire appel par exemple à nos valeurs traditionnelles. Nos gardiens de la tradition pourraient nous aider après ces élections. Ce n’est pas normal qu’on nous fasse des lois constitutionnelles importées qui créent plus de problèmes qu’elles n’en résolvent. Il y a effectivement beaucoup de choses à y revoir.
Quelles sont les raisons de votre retour au pays en cette période électorale?
Je fais un séjour de travail à Abidjan pour la première fois depuis mon exil volontaire à la suite des violences électorales d’octobre 2010. J’ai été avec des camarades de combat au-devant des manifestations de protestation dans toute l’Europe. J’estime qu’il faut maintenant accompagner de l’intérieur, cette action par d’autres voies plus politiques. Cela engendre un certain nombre d’actions que j’aurai à mener sur le terrain pour m’imprégner des réalités locales. J’ai donc dans mon agenda une visite à des personnalités politiques et à des leaders d’opinion. Après je m’accorderai un petit repos quelque part en Côte d’Ivoire. Mais, je serai aussi à Abidjan pour donner un engagement à ma vie politique auprès des forces de gauche qui ont pour priorité d’inscrire dans leur programme, la libération de Laurent Gbagbo, de Charles Blé Goudé et de Simone Gbagbo.
Comment entrevoyez-vous ces élections présidentielles à venir?
Je dirai aux Ivoiriens que les élections présidentielles ne doivent pas être une fatalité permanente. C’est un acte civique d’importance, mais évitons de nous y cristalliser comme si la vie de notre pays ne s’arrêtait qu’à cet acte. La seule politique qui vaille, c’est qu’à chaque acte, on élève les yeux vers La Haye où nos deux leaders sont en souffrance. Coordonnons nos actions pour la libération de ces prisonniers qui sont victimes d’un système international hybride. Ils sont dans la prison la plus fermée du monde.
Vous avez accompagné le président du Fpi, Pascal Affi N’guessan, pour déposer sa candidature, jeudi, à la Cei. Pour vous, les conditions sont-t-elles bien réunies pour tenir ce scrutin dans l’équité et la transparence en octobre 2015?
En accompagnant le président Affi N’guessan à la Cei pour le dépôt de sa candidature jeudi dernier, c’est tout simplement marquer une intention. Parce que pour poser des réserves dans une compétition, il faut déjà manifester l’intention d’aller en fournissant les dossiers afférant à la compétition.
Donc, il n’y a aucune antinomie entre la manifestation d’aller aux élections et poser les vrais problèmes liés à ces élections sur lesquels tout le monde se prononce sans affirmer clairement ce qu’il faudrait faire après, si certaines remarques sont prises en compte par le pouvoir. Les temps sont comptés.
Le Fpi, version Sangaré appelle à boycotter les élections. Etes-vous en phase avec vos mentors Blé Goudé et Laurent Gbagbo en prenant part à ces élections ?
Que vous ont-ils dit, quand vous les aviez visités? Une grande conférence de presse est prévue à cet effet. Je suis un visiteur régulier des prisonniers célèbres de la Haye, et imaginez que j’ai beaucoup de choses à révéler. Pour l’heure, sur cette question, ce que je puis vous répondre est que Laurent Gbagbo et Blé Goudé n’ont jamais été radicalement opposés à la question d’aller aux élections.
Plusieurs candidats se présentent contre Ouattara adoubé, lui, par une coalition de parti. N’est-ce pas mal parti déjà, cette dispersion de l’opposition face au candidat au pouvoir pour lui donner les chances de remporter au premier tour?
C’est un mal nécessaire. On aurait bien voulu que tout le monde soit réuni dans cette coalition, mais malheureusement, il y a plus d’entente à la dispersion des intentions. Donc, pour mettre tout le monde d’accord, il est bienséant d’y aller en rangs dispersés. Chacun mesurera son poids électoral. Mais, j’ai espoir qu’au deuxième tour, tout le monde se retrouvera derrière le mieux placé pour enfin réaliser cette force de l’opposition contre le candidat du pouvoir actuel.
Est-il envisageable encore une coalition de l’opposition, tous semblent guetter les voix du président Gbagbo?
Tous les Ivoiriens sont des pro-Gbagbo. C’est la caution morale et la référence de tout le monde. Vous voyez très bien que ses visiteurs sont ceux qu’on encarte d’un autre bord idéologique. C’est pourquoi nous sommes peinés quand on traîne son nom dans les chapelles politiques. Gbagbo n’est plus à ce stade. Et nous tenons à préserver son image d’homme référentiel et consensuel plutôt que de suivre ceux qui veulent l’allier à un clan politique. Laurent Gbagbo, peu de nos camarades de lutte ne savent même pas qu’il est du Fpi. Pour eux, c’est l’homme providentiel de l’Afrique. Cela répond à votre question. Tout le monde a raison de demander les voix de Laurent Gbagbo.
Vous avez mis fin à votre exil, comment s’est fait votre retour en Côte d’Ivoire ? Vous sentez-vous en sécurité?
J’ai quand même peur. Car, il y a encore une hostilité dans nos camps contre ceux qui comprennent qu’il faut oser autre voie qui puisse accompagner toutes les issues essayées par des millions d’Africains de partout dans le monde, qui demandent la libération du président Laurent Gbagbo et du ministre Charles Blé Goudé. La politique nous donne l’occasion de rentrer dans un débat d’idées pour confronter nos opinions divergentes. Il ne faut pas en user pour diffamer ceux qui suivent la voie de Affi. Il a ses raisons, et personne n’a le monopole de la raison sur la manière de faire libérer Laurent Gbagbo. Arrêtons de nous faire peur.
Peut-on dire que tous ces Ivoiriens en exil n’ont plus de raison de l’être dès l’instant où certains des plus virulents comme vous, ont regagné le pays?
Il faut être raisonnable. Ne diton pas que la politique est la simple appréciation des réalités du moment? Beaucoup de nos camarades s’agitent pour rentrer mais ils sont menacés. Mais croyez-moi, beaucoup m’ont déjà envoyé des messages pour me remercier d’avoir brisé un tabou. Beaucoup de camarades de lutte, et non des moindres, sont prêts à rentrer parce qu’ils se sentent rassurés que par moi, tout le monde peut rentrer.
Le Cojep a finalement tenu son congrès à Alépé, la semaine dernière. Quel commentaire faites-vous sur la nouvelle équipe mise sur pied?
Permettez-moi de ne pas commenter les résolutions du congrès du Cojep qui a entériné la mise sur pieds d’une équipe. Cependant je salue la nomination de mon ami Hyacinthe Nogbou, que je connais très bien pour avoir été mon Secrétaire général dans le bureau de la Représentation en France de 2003 à 2006. C’est un homme teigneux et très serviable.
Interview réalisée par Blaise BONSIE
Source : L’Inter N°5155 du Samedi 22 au 23 Août 2015