Le président du Front populaire ivoirien (Fpi) Pascal Affi N’guessan inaugure la rubrique ” L’interview du mois ” de la Rédaction. Mercredi 16 avril dernier, il a reçu à sa résidence de la Riviera- Mbadon, une de nos équipes pour un face-à-face d’environ une heure. Plusieurs sujets ont été abordés touchant aussi bien aux grandes questions politiques de l’heure qu’à la vie interne au Fpi.
M. le président, votre parti, le Fpi s’est inscrit dans une sorte de boycott tous azimuts des initiatives prises par les autorités. Dites-nous, dans quelle logique vous inscrivez-vous ?
On ne saurait parler de boycott tous azimuts. Nous avons lancé un seul mot d’ordre de boycott portant sur le Recensement général de la population et de l’habitat ainsi que des audiences de la Commission dialogue, vérité et réconciliation (Cdvr) parce que le pouvoir refuse de nous écouter. Le pouvoir refuse d’avancer dans la résolution des problèmes qui sont posés depuis 2011 et qui tournent autour de la libération des prisonniers politiques, le dégel des comptes des militants du parti, du retour des exilés, la libération des domiciles, des biens privés. Sur toutes ces questions, cela fait un an que les négociations n’aboutissent pas ; si bien que le boycott est le seul moyen de pression dont nous disposons pour amener le gouvernement à faire des concessions. Etant donné qu’ils veulent ignorer le Fpi, il faut que le Fpi montre qu’il existe, qu’il a une présence, qu’il a des soutiens dans l’opinion. Le gouvernement a intérêt à faire des concessions pour que nous nous mettions ensemble pour réussir l’opération.
Quelle a été la réponse du gouvernement aux problèmes que vous avez soulevés ?
Ils ne nous répondent rien justement. En 15 mois, nous n’avons discuté que 9h. Et les 9h n’ont rien donné. Le gouvernement n’est pas de bonne foi. La discussion ne fait pas partie de ses coutumes, il est dans la logique de la belligérance permanente. Or, nous sommes dans un contexte de crise où il faut discuter. En période de crise, il n’y a que des négociations et donc des concessions réciproques qui peuvent aboutir à des compromis pour avancer. Le gouvernement refuse d’aller dans une logique de concessions. Il veut diriger le pays de façon dirigiste, de façon unilatérale en niant l’existence de l’opposition et des problèmes du pays. Le dernier acte qui illustre cette logique, c’est la réforme unilatérale de la Commission électorale indépendante (Cei) alors que tous, depuis la communauté internationale jusqu’aux organisations de la société civile, appellent depuis plusieurs mois, à ce que la réforme soit inclusive et puisse faire appel à toutes les composantes de la nation. Le gouvernement vient de communiquer à l’opinion nationale qu’il vient d’adopter le projet de loi sans aucune consultation. Face à cela, on ne peut qu’aller à des conflits, alors qu’on aurait pu s’asseoir pour discuter et trouver un compromis afin de garantir des élections transparentes, équitables et en toute sécurité.
Vous affirmez que le gouvernement ne veut pas discuter. Il vous a pourtant invité à la table de discussion, le 1er avril dernier. Vous n’y êtes pas allé. N’y a-t-il pas quelque chose de contradictoire dans la démarche du Fpi?
Nous discutons sans résultat. Ce n’est pas au moment où nous avons décidé de réclamer de nouvelles conditions de discussion qu’il faut nous inviter à une réunion sans ordre du jour. Et cette dernière discussion, vous le savez bien, a été un prétexte pour annoncer la mise en place de la nouvelle Cei. Nous ne voulons pas nous faire complice des initiatives unilatérales du gouvernement. La réalité, c’est que chaque fois qu’il nous invite, c’est pour nous faire avaliser, c’est pour donner l’impression à l’opinion internationale que l’opposition a été associée à la prise de la décision. Le gouvernement veut utiliser notre image à des fins de propagande. Nous refusons cela. Le constat, c’est qu’il y a un blocage du dialogue politique depuis votre boycott de la réunion du 1er avril. Nous sommes toujours ouverts. C’est nous qui avons demandé le dialogue politique en septembre 2011, et le gouvernement ne nous a répondu qu’en janvier 2013. Cela veut dire que nous sommes en avance sur le gouvernement en matière d’ouverture au dialogue politique, de l’utilité du compromis politique. Nous sommes sortis pour marquer notre exaspération. Et nous espérons que cette rupture va amener le gouvernement à repenser sa démarche, à être plus sincère et plus franc dans le dialogue politique, à prendre des décisions pour que nous puissions.
Concrètement, si le gouvernement vous appelle aujourd’hui à discuter, irez vous à la discussion sans préalable?
Si c’est pour refaire les mêmes choses pourquoi irions-nous ? Nous voulons des avancées sur tous les dossiers qui sont présentés. Il y a près de 300 cadres du Fpi qui ont leurs comptes gelés depuis trois ans. Nous voulons que ces comptes soient dégelés, ce sont des comptes privés. Que le gouvernement arrête de piétiner ce droit fondamental, à savoir le droit à la propriété. Il faut que les centaines de prisonniers politiques, détenus depuis sans jugement depuis trois ans, soient libérés.
M. le président, le ministre d’Etat Jeannot Ahoussou qui dirige les négociations pouvoir-opposition, estime que votre position relativement au recensement, est un « chantage inacceptable ». Que répondez- vous ?
Qu’est-ce qui est inacceptable ? Le fait que nous revendiquions la libération des prisonniers politiques, nous demandions au gouvernement de libérer les comptes des gens, des propriétés privées, d’arrêter d’affamer des chefs de famille, d’arrêter de contraindre à la mort de nombreuses familles. Est-ce que cela est inacceptable ? Le fait de demander au gouvernement de laisser les Ivoiriens rentrer chez eux, de mettre fin à l’exil de centaines de milliers d’Ivoiriens ? Je crois que nous n’avons pas la même compréhension de l’inacceptable. Ce sont des revendications légitimes, non pas seulement pour le Fpi, mais pour le pays. Les personnes concernées sont des Ivoiriens. Leur emprisonnement ou leur exil est un problème pour le pays et nous avons l’obligation morale et politique devant l’histoire de la Côte d’Ivoire de nous battre pour ceux-là. C’est ce que nous faisons. Tous les Ivoiriens devraient s’y mettre, et le gouvernement a l’obligation de régler la crise et construire la paix et la stabilité. C’est une obligation. Mais il faut qu’il comprenne qu’il ne peut pas construire cette paix contre une partie des Ivoiriens mais avec toutes les composantes du pays. Le vrai problème, c’est qu’ils veulent faire la paix sans nous, faire la paix contre nous. Ils voient que ça ne marche pas. Donc, il faut qu’ils changent de registre.
Votre mot d’ordre de boycott de l’opération de recensement passe mal auprès de certaines ambassades. Nous en voulons pour preuve la dernière sortie de l’ambassadeur des Usa sur la question. Est-ce que le Fpi, aujourd’hui, ne se met pas en difficulté vis-à-vis de certaines chancelleries ?
Les chancelleries restent les chancelleries et un parti politique ivoirien reste un parti politique ivoirien. Ces deux entités ne peuvent pas avoir la même perception des problèmes.
Nous, nous sommes immergés dans la société ivoirienne et c’est nous qui avons des problèmes. C’est nous qui avons un avenir à construire pour notre pays et pour son peuple. Les chancelleries sont là pour nous aider. Cela signifie que nos lectures de la situation nationale peuvent varier, notre approche des choses peut varier. C’est à nous de leur expliquer et c’est ce que nous faisons depuis quelques jours. Nous avons rencontré l’ambassadeur des Etats unis. Nous avons reçu positivement les critiques de l’ambassade des Etats-Unis comme la manifestation d’un vif désir de voir la Côte d’Ivoire avancer et de voir la paix s’installer dans le pays. En retour, nous lui avons expliqué pour quelles raisons nous adoptons cette démarche. Nous avons bien montré que c’est la démarche que nous empruntons qui peut garantir et pérenniser cette paix et cette stabilité.
La Jeunesse du Fpi parle d’assaut final. A quoi renvoie l’expression ?
Le Fpi n’est pas au stade de l’assaut final. Pour le moment, le parti est au stade du boycott du Recensement, de la dissolution de la Commission dialogue, vérité et réconciliation (Cdvr), de la démission du ministre de l’Intérieur et de l’exigence d’un dialogue politique franc et sincère avec l’appui d’un médiateur. Voilà ce que le comité central a décidé. Le comité central a décidé en même temps, que les réactions du Fpi seront graduelles. Voilà la première phase. Nous sommes à cette phase et nous attendons les résultats de cette phase.
Justin Koua, Secrétaire national par intérim de la Jfpi, parle pourtant d’assaut final…
Je ne l’ai pas entendu dire cela.
Si, il l’a dit et cela a été relayé dans nos colonnes. Il a même précisé que cet assaut final est prévu pour le 5 juin à la Place de la République.
Je ne l’ai pas entendu dire cela. Au surplus, le comité central du Fpi n’a pris aucune décision portant sur un «assaut final».
Jeannot Ahoussou demande que vous évitiez de prononcer des «discours mortifères». N’est-ce pas vrai que vos discours sont souvent durs ?
C’est un adversaire politique. N’attendez pas de lui un avis objectif sur mon discours. Le ministre d’Etat Ahoussou a dit pire que cela. Il a dit que nous étions des assassins et que si nous étions remis en liberté, on assassinerait tous les Ivoiriens. Depuis que je suis sorti de prison, combien de personnes j’ai eu à assassiner au Pdci et au Rdr?
Mais quand vous dites à un meeting à Bonoua que la Côte d’Ivoire de la rébellion est au pouvoir, n’est-ce pas là un discours propice à agrandir le fossé entre vous et le pouvoir?
En toute objectivité et si nous voulons sortir de la langue de bois, du politiquement correct, voire sortir d’une forme de lâcheté, est-ce que ce discours est faux ? Ce sont bien ceux qui ont pris les armes le 19 septembre 2002 qui sont au pouvoir aujourd’hui et qui dirigent les institutions. Ce sont des faits. Et, de ce point de vue, je n’invente rien. Guillaume Soro lui-même l’avait revendiqué en publiant un livre témoignage intitulé: «Pourquoi je suis devenu rebelle». Assumons notre histoire en toute objectivité et en toute responsabilité.
La logique de boycott du Rgph dans laquelle vous vous inscrivez, aujourd’hui, laisse planer de sérieux doutes sur votre présence à la présidentielle de 2015. Dites-nous : le Fpi serat-il présent au prochain scrutin ?
On ne peut pas dire, à priori, que le Fpi a choisi l’option du boycott de l’élection présidentielle puisque notre raison d’être, c’est de conquérir le pouvoir d’Etat. Il faut que les conditions d’une élection juste et crédible soient garanties. Il est important que la compétition soit loyale et que les conditions sécuritaires soient réunies. Donc, sur le principe, il est bon que les uns et autres soient rassurés : le Fpi est dans la dynamique de reconquête du pouvoir d’Etat par les élections en 2015.
Est-ce que la libération de Laurent Gbagbo est une condition sine qua non pour que le Fpi prenne part aux prochaines élections ?
La meilleure façon de témoigner une certaine reconnaissance, une solidarité agissante à Laurent Gbagbo, c’est que le Fpi existe. Si le Fpi avait disparu dans la tourmente de 2011, aujourd’hui qui se battrait pour Laurent Gbagbo en Côte d’Ivoire ? Qui mobiliserait les populations autour de la situation de Laurent Gbagbo ? Le Fpi a un devoir d’existence. Si on n’existe pas, le nom de Gbagbo peut disparaître de l’actualité politique. Le meilleur instrument de promotion de Laurent Gbagbo, c’est le Fpi. C’est un patrimoine politique qu’il laisse à la Côte d’Ivoire. Ce patrimoine, nous avons le devoir de le faire vivre, afin de pouvoir continuer le combat politique même si le président Laurent Gbagbo n’était pas libéré en 2014 ou en 2015. Il faut continuer à mener la lutte pour sa libération. Autrement dit, la libération du président Gbagbo ne réside pas dans la démission face à certaines luttes, certaines obligations. Je ne vois pas de contradiction entre la lutte du Fpi pour la reconquête du pouvoir et la libération du président Gbagbo. Si demain, le Fpi revenait au pouvoir, la libération du président Gbagbo se poserait en d’autres termes. Il faut mener de front tous les combats et ne pas subordonner certains combats à d’autres. Il y en a que nous allons gagner aujourd’hui. D’autres que nous gagnerons demain. C’est cela ma démarche. C’est ainsi que nous avons procédé depuis notre existence. C’est pour cette raison que nous parlons de restauration progressive.
M. le président du Fpi, venonsen à vos ambitions. Il se dit au sein de votre parti, qu’Affi N’guessan travaillerait pour lui-même tout en prenant soin d’effacer les traces de Laurent Gbagbo. Est-ce vrai ?
C’est un procès d’intention qui est injuste, dans la mesure où, à aucun moment, dans mes tournées, je n’ai fait ma propre promotion. A aucun moment, je ne me suis mis en avant en parlant, par exemple, de mes qualités personnelles. Est-ce parce que je travaille pour que le Fpi reprenne de la vigueur qu’on parle ainsi ? Aurait-on souhaité que je ne fasse rien ? Je ne suis pas de ce tempérament. Je sais que les militants du Fpi comptent sur moi pour redresser le parti, le redynamiser et faire en sorte que nous ayons des chances de revenir au pouvoir. Je sais que les Ivoiriens comptent sur le Fpi pour la restauration des libertés, de la sécurité et de la démocratie. C’est ce travail que je fais. A présent, le fait de me voir dans les journaux parce que je suis engagé dans ce travail de redynamisation du parti n’est qu’une conséquence. Si je ne faisais rien, vous ne seriez pas, ici, en face de moi, pour m’interroger. On ne peut pas vouloir que le Fpi se relève et souhaiter dans le même temps que le président du parti soit invisible. Ce serait vouloir une chose et son contraire. C’est avec un président fort que le Fpi peut redevenir une force. Il est bon que ceux qui me font ce procès d’intention comprennent cela.
Vous n’avez aucune ambition présidentialiste ?
Connaissez- vous un homme politique qui n’a pas d’ambitions ? Toute ambition est légitime. Ce ne serait pas honnête de ma part si je vous disais que je n’ai pas d’ambitions, même pour la présidentielle en Côte d’Ivoire. L’important est qu’une ambition ne soit pas démesurée et que l’on ne soit prêt à tout pour l’assouvir.
Est-ce que pour M. Affi N’guessan, la période Gbagbo est passée ?
La période Gbagbo n’est pas passée. Nous y sommes. Gbagbo est une réalité nationale. Il ne se passe pas de jour sans un écrit, dans les journaux, sur Laurent Gbagbo. C’est dire que Gbagbo est présent dans notre vie de tous les jours.
Avez-vous des contacts avec lui ?
Par personnes interposées, oui. Pas directement. Actuellement, je suis interdit de sortie du pays. Donc, je n’ai pas la possibilité d’aller à sa rencontre. Ce que je regrette fortement.
Un de vos camarades en exil au Ghana, l’ancien ministre Lazare Koffi Koffi, critique régulièrement votre méthode, à travers des textes très allusifs. On vous prête un agenda personnel.
Peut-être que cet agenda se trouve entre ses mains. Qu’il me le fasse parvenir. En tout cas, je ne dispose pas d’un tel agenda.
Qu’est-ce qui explique, alors, ces critiques à votre encontre?
Posez-lui la question. Moi, je ne suis même pas informé de ces critiques. C’est vous qui me l’apprenez. En tout état de cause, ne sous-estimons pas les effets pervers de la crise post-électorale, en l’occurrence les traumatismes causés aux uns et aux autres.
Y a-t-il vraiment de la cohésion en votre sein ?
Bien sûr qu’il y a la cohésion.
Y compris entre vous et ceux qui se trouvent à Accra, au Ghana ?
Il faut bien comprendre que le fait que des militants puissent exprimer des points de vue sur une question n’est pas signe de division.
Ce qui est important et qu’il faut retenir, ce sont les décisions des organes. En tant que président, c’est aux organes que je me fie. Pas à ce que disent des militants, de façon individuelle. On est un parti démocratique. Donc, toutes les sensibilités s’expriment. Les instances du parti décident. Et je suis satisfait de la manière dont le parti avance dans ce contexte difficile où nous avons d’énormes défis à relever avec très peu de moyens matériels, financiers mais aussi humains. Tous ces aspects doivent être pris en compte pour bâtir notre stratégie. Certains s’expriment sans connaître tout cela. La définition d’une stratégie ne dépend pas uniquement des ambitions. Elle prend en compte l’environnement, les moyens personnels et ceux de l’adversaire. Or, aujourd’hui, nos moyens sont limités. Nous avons été durement éprouvés par la crise. Le Fpi est un parti qui sort progressivement de la convalescence et qui a besoin de se revigorer, de reprendre des forces. Nous avons un environnement très hostile du côté du pouvoir puisqu’il y a eu une confrontation armée. Nous avons une Communauté internationale qui nous était, hier, hostile et qu’il faut travailler à apaiser ou faire en sorte qu’elle ne soit pas un obstacle à notre avancée. Et nous avons un peuple qui sort progressivement de graves traumatismes. Ceux-même que nous pouvons considérer comme notre principale force sont dans un certain état psychologique dont il faut tenir compte. Nous avançons, en intégrant tous ces paramètres, et en agissant de telle sorte que le parti ne rechute pas, qu’il puisse, au contraire, progresser.
L’Alliance que vous avez contractée, récemment, avec 11 autres partis d’opposition vise également cet objectif de relance du Fpi ?
On dit bien que l’union fait la force. Il s’agit d’unir tous ces partis pour qu’ensemble, nous soyons plus forts, plus crédibles, pour emporter l’adhésion de la majorité des Ivoiriens et reconquérir le pouvoir d’Etat.
Vous n’êtes pas tout à fait unis puisque d’autres coalitions d’opposition existent…
Quand douze (12) formations politiques se mettent ensemble, c’est un progrès. L’idéal serait que toute l’opposition soit dans un seul creuset. Nous nous connaissons tous. Nous avons des contacts. Nous pouvons échanger. Ce n’est pas parce que nous sommes dans des plateformes différentes que nous ne devons pas nous parler.
N’est-ce pas la question de leadership qui vous divise ?
Non, c’est parce qu’au départ, nous sommes différents. L’exercice du pouvoir nous avait rassemblés. Aujourd’hui, chacun est reparti sur ses bases. Il nous appartient de trouver un nouvel élément fédérateur. Nous essayons de voir comment les élections à venir peuvent être l’élément fédérateur.
Qu’en est-il de votre appel au Pdci ? Avez-vous un retour ?
Pas officiellement. Mais, à travers un certain nombre de déclarations de responsables y compris le président Bédié lui-même, nous voyons bien que les rapports ne sont plus les mêmes que par le passé. Il y a un rapprochement qui s’est opéré, ces derniers mois. Notre objectif, c’est que pour les élections, par exemple à propos de la Commission électorale indépendante, nos points de vue puissent converger. Les élections sont l’occasion de réfléchir à des alliances novatrices. Donc, nous sommes ouverts. Aujourd’hui, au delà du positionnement idéologique, il y a des questions communes : celles qui touchent à la République, à la démocratie, à la paix et à la réconciliation. Ces questions-là sont transversales. Autour d’elles, il y a des possibilités de rassembler le plus grand nombre possible de partis politiques. Même avec le Pdci, cela est possible. Je dis souvent qu’en Côte d’Ivoire, il y a eu déjà deux alliances : le Front républicain avec le Fpi et le Rdr. Le Rhdp avec le Pdci et le Rdr. Il reste l’Alliance nationale entre le Pdci et tous ceux qui sont avec le Fpi.
Vous avez eu à rencontrer le président du Pdci. Il a déclaré que vous avez suivi ses conseils. Que devrait-on comprendre à travers ce propos ?
C’est une façon de dire que désormais nos points de vue et nos démarches convergent.
M. le président, quel format souhaitez-vous pour la Cei ?
Personnellement, je souhaite que la Cei soit équilibrée entre les partis politiques et la société civile. Et qu’aucun parti politique ou aucun groupement de partis ne soit dominant. Qu’il y ait un équilibre entre les partis du pouvoir et de l’opposition et que la société civile puisse faire la balance.
Vous vous accommodez de la présence d’un représentant du président de la République au sein de la Commission ?
Rien ne justifie que le président de la République ait un représentant à la Cei. Lui-même sera candidat à l’élection présidentielle, je ne vois pas pourquoi il devrait bénéficier d’un avantage particulier. Il est envisageable que l’administration, à travers certains ministères techniques, soit présente. Mais politiquement, il ne serait pas acceptable que ces représentants prennent part à la décision. Et donc, ils n’auraient pas voix délibérative.
Combien de membres faut-il, selon vous, au sein de la nouvelle Cei ? 13, 15 ?
On peut aller à 15 voire 16. Il est aussi extrêmement important que le président soit choisi de manière consensuelle.
Vous pensez que le Fpi devrait prendre la tête de la future Cei ?
Ce serait un juste retour des choses étant donné que lorsque le Fpi était au pouvoir, la présidence de la Cei était revenue à l’opposition.
Parlons, à présent, de la gouvernance «Ouattara». Quelle est votre appréciation globale d’environ trois (3) ans de gouvernance du président Alassane Ouattara ?
Notre appréciation est globalement négative. De gros efforts sont tentés pour construire des infrastructures. Je puis même dire que l’essentiel des efforts vise à faire des infrastructures. Mais à côté, il y a de grandes zones d’insatisfaction, d’insuffisance et même d’échec. Notamment, aux plans politique, économique et social. Au plan politique, le pays est toujours divisé, la réconciliation est dans l’impasse. Le gouvernement a du mal à discuter avec son opposition. C’est une grosse menace sur tous les efforts qui sont tentés en vue de réaliser des investissements ou les infrastructures. Cela signifie que nous ne sommes pas encore sortis de la crise. La Côte d’Ivoire peut rechuter car cette impasse politique a comme conséquence le fait que les violations des droits de l’Homme se poursuivent. La justice des vainqueurs prévaut. Dans les maisons d’arrêt, sont détenues des centaines de prisonniers politiques. Beaucoup d’entre eux n’ont jamais rencontré un magistrat pour savoir de quoi on les accuse. Il y a aussi, la pauvreté qui est grandissante. Les gens n’arrivent pas à se soigner, à se nourrir. Récemment, les journaux ont rendu compte du décès tragique du mannequin Awa Fadiga. C’est un symbole de la dégradation de la situation sanitaire dans notre pays. Il y a, par ailleurs, la politique de rattrapage ethnique dans les administrations qui vient s’ajouter au contexte politique délétère, accentue la fracture sociale et fait craindre une grave crise identitaire. Il faut poser des actes de développement en commençant par le commencement. Aujourd’hui, la principale infrastructure à construire, c’est la cohésion nationale. C’est cela qui peut permettre d’arriver à un développement durable. Le gouvernement refuse de créer cette infrastructure. Il bâtit sur du sable.
Une entrée au gouvernement du Fpi n’est manifestement pas à l’ordre du jour…
En l’état actuel des choses, il y a tellement de contentieux entre le pouvoir et le Front populaire ivoirien que je ne vois pas comment nous pouvons être appelés à entrer dans un gouvernement. Ils ne peuvent même pas s’asseoir avec le Fpi dans un dialogue politique, comment peuvent-ils s’asseoir avec nous dans un gouvernement ?
Cette question pour terminer. Que savez-vous des circonstances du retour d’exil de Konaté Navigué, Secrétaire national de la Jfpi ? Etiez-vous-informé de son retour ?
Je savais qu’il voulait venir. Il n’est pas le premier à être rentré. Avant lui, d’autres cadres du Fpi sont rentrés. Je ne vois pas de problème au retour d’un militant du Fpi. Je sais que tout le monde ne peut pas rentrer pour diverses raisons qui peuvent être politiques ou techniques. Certains ont besoin d’une assistance technique, d’autres ont besoin d’un environnement politique approprié. Au delà de ces raisons, il faut se satisfaire de chaque retour et voir ce qu’on peut faire pour permettre à ces camarades de se réinsérer dans la vie politique, économique et sociale du pays.
Réalisée par Hamadou ZIAO, Félix D. BONY, Kisselminan COULIBALY
Coll: Hervé KPODION et Cyrille DJEDJED
Source : L’inter N°4765 du Mercredi 23 Avril 2014