Affi N'guessan Pascal

(Le Pays) – L’homme semble avoir pris un coup de vieux, quelques mois après sa sortie de prison où il a passé un peu plus de deux ans au Nord de la Côte d’Ivoire. Lui, c’est Pascal Affi N’Guessan, président du Front populaire ivoirien (FPI), qui, malgré tout, ne se sent pas affaibli politiquement, puisqu’après avoir repris les commandes de son parti, il multiplie les sorties sur le terrain pour remobiliser les troupes en vue des prochaines batailles électorales. De son séjour carcéral en passant par la réconciliation nationale, les relations avec le pouvoir ou encore la libération de leur mentor, l’ex-Président Laurent Gbagbo en prison à la Haye, le président du FPI, Pascal Affi N’Guessan, a accepté d’échanger avec nous pendant quelques minutes, alors qu’il avait des engagements très importants. La rencontre s’est déroulée, non pas à sa résidence située dans la commune de Cocody qui, dit-il, a été sinistrée lors de la crise post-électorale par des forces proches du président de la Côte d’Ivoire, Alassane Ouattara, mais dans un appartement d’une résidence au Plateau, quartier administratif d’Abidjan où sa famille et lui ont élu domicile présentement.

Le Pays : A vous voir, vous ressemblez à une personne qui respire la très grande forme, alors que nous savons que vous venez de sortir de prison où vous avez passé plus de deux ans.

Pascal Affi N’Guessan  : Grâce à Dieu, nous nous portons bien. Mais aussi grâce à la famille, aux amis, aux connaissances et aux convictions politiques, parce que la prison, c’est aussi une question de moral, d’état d’esprit. Ainsi, nous avons pu garder le moral et je me porte assez bien.

Comment avez-vous retrouvé votre parti dès votre sortie de prison ?

Nous avons retrouvé le parti dans le combat politique grâce à la dextérité, à l’engagement des camarades qui sont restés en liberté et ont animé la direction intérimaire. Les fondamentaux du parti ont été préservés et nous avons repris le flambeau pour qu’ensemble nous dynamisions davantage les structures tout en poursuivant la lutte pour les libertés, la dignité, la paix, la réconciliation dans notre pays.

Est-ce vrai tout ce qui a été dit sur votre séjour carcéral, à savoir les humiliations que vous auriez subies de même que vos camarades, de la part de vos geôliers ?

Le fait de procéder à l’arrestation d’un ancien Premier ministre est déjà une forme d’humiliation, de même que sa déportation. On constate qu’il y a une volonté de nuire, d’anéantir. Cela s’est poursuivi dans les geôles du pouvoir. Nous avons été arrêtés dans des conditions dégradantes, déportés dans l’extrême-nord du pays, dans des conditions que je qualifierais de rocambolesques, et avons subi des sévices, des exactions. C’est aussi cela la réalité des systèmes qui s’installent dans la violence, qui refusent d’engager un jeu démocratique apaisé, et s’enferment dans une logique de dictature en espérant anéantir l’opposition politique pour gouverner sans contre-pouvoir. C’était cela l’ambition du régime, mais heureusement, la réalité est venue rappeler aux uns et aux autres que la Côte d’Ivoire et les Ivoiriens avaient changé, qu’ils avaient adhéré aux valeurs de la démocratie et des libertés. Ils ont montré qu’ils ne sont pas prêts à revenir en arrière, à reculer face à la tyrannie et à la dictature. Aujourd’hui, le régime est obligé de se rendre à l’évidence qu’il ne peut pas anéantir la démocratie et accepter que l’opposition incarnée par le FPI existe. Nous travaillons présentement à élargir le champ des libertés pour pouvoir nous exprimer librement, manifester et mener nos activités sans entraves. Ce n’est pas encore effectif, mais c’est l’objectif à court terme que nous nous sommes fixé.

Ressentez-vous de la rancune par rapport à ce que vous avez vécu ?

Non, aucunement, et je l’ai déjà dit à plusieurs reprises, que nous mettons ces sévices et humiliations sur le compte de notre engagement pour la Côte d’Ivoire. Nous n’avons aucune rancune ni volonté de revanche, parce que cela ne serait pas dans l’intérêt du pays, ni de la réconciliation nationale. Nous sommes engagés dans le processus de réconciliation, et cela exige que nous fassions preuve de dépassement, que nous ayons une capacité de pardon.
Ne craignez-vous pas de retourner en prison, puisque dès votre sortie, vous tenez des propos que les observateurs de la scène politique ivoirienne qualifient de provocateurs vis-à-vis du pouvoir, alors que vous êtes en liberté provisoire ?
Je considère mon arrestation et ma détention en prison comme un acte politique, de même que ma sortie de prison, qui signifie que ceux qui m’ont mis en prison ont bien compris que ce n’était pas là que se trouvait leur intérêt ni celui de la Côte d’Ivoire, et que ma place n’était pas en prison, mais dehors. Une fois dehors, je continue mon travail parce que, dans la vie politique, chacun doit faire le sien. Nous sommes aujourd’hui dans l’opposition et le rôle de celle-ci est d’être un contre-pouvoir, une force de critique et de contre- proposition. C’est ce que ne souhaitent pas ceux qui sont au pouvoir, mais c’est ce que nous devons instaurer. Nous comprenons que certains assimilent ces critiques et contre-propositions à des choses inacceptables, mais c’est ce que nous allons faire parce que c’est le rôle que nous avons accepté de jouer, et nous le jouons franchement. Nous n’insultons, ni n’injurions personne, mais nous faisons notre part du travail et il appartient aux autres d’en faire la leur. J’espère qu’ils la feront dans le respect des libertés et des droits, notamment ceux de l’opposition. S’ils sont sincères dans leur volonté de gouverner conformément aux valeurs de la démocratie et des libertés, logiquement ils devraient nous laisser nous exprimer librement, parce que c’est dans l’intérêt de la Côte d’Ivoire qu’il y ait une opposition forte qui dénonce les travers du régime et l’amène à rectifier le tir.
Pour certains, vos discours ne sont pas favorables à une véritable réconciliation prônée par le pouvoir en place.
Je crois que c’est le contraire, parce qu’aujourd’hui, nous sommes la seule formation politique qui fait des propositions concrètes en matière de réconciliation. Nous avons beaucoup entendu parler en Côte d’Ivoire de réconciliation, et il y a même une Commission dialogue, vérité, réconciliation (CDVR) qui a été mise en place depuis 2011. Elle vient de rendre ses conclusions, puisqu’elle avait été mise en place pour deux ans, mais la réconciliation nationale est au point mort. Cela veut dire que rien n’a bougé, que le pays reste divisé et les problèmes politiques restent entiers. Face à cet échec et à cette impasse, le Front populaire ivoirien vient de faire des propositions précises que nous avons baptisées « les états généraux de la république ». Nous demandons, à travers ces états généraux, que le pouvoir organise le rassemblement de toutes les forces vives de la nation pour parler des questions qui divisent l’ensemble des Ivoiriens, afin que nous trouvions des solutions consensuelles qui puissent permettre de normaliser la situation politique et sociale et ensuite, de fonder un nouveau contrat social pour la paix et la stabilité. Nous avons transmis le document au gouvernement, à toutes les forces nationales, aux représentations diplomatiques et nous sommes dans la phase de promotion de cette initiative. Aujourd’hui, notre parti est le seul à avoir fait des propositions concrètes. Le pouvoir parle de réconciliation, mais pour le moment sans contenu, sans procédure, sans démarche précises qui puissent nous permettre de savoir que nous sommes sur la voie de la réconciliation. Nous avons intérêt à la réconciliation parce que cela est nécessaire pour permettre au pays de tourner la page de toutes les violences que nous avons connues ces vingt dernières années. Notre constat est que ces violences et affrontements n’ont pas servi les intérêts du pays. Au contraire, la pauvreté que nous vivons aujourd’hui, les difficultés de toute nature, résultent de cette instabilité qui devient endémique. Nous ne pouvons pas nous en sortir en menant la politique de poursuites judiciaires d’un camp, de justice à sens unique, de justice des vainqueurs que le pouvoir mène actuellement et qui ne peuvent qu’accumuler les frustrations et créer les germes d’explosions futures. Si nous voulons sortir de ce cycle de violences et d’instabilité, il faut s’asseoir ensemble et se parler. On ne peut pas le faire si les partisans d’un camp sont en prison, contraints à l’exil, traqués, voire leurs domiciles occupés, leurs biens confisqués, leurs comptes gelés. Il faut résoudre tous ces problèmes, et si on est vraiment sincère dans la volonté de réconciliation nationale, il faut en créer les conditions. C’est ce que nous mettons dans le dialogue politique avec le gouvernement. Nous insistons pour que celui-ci se tienne de façon franche et sincère, pour qu’une fois les conséquences de la crise résolues, que l’environnement sociopolitique aura été apaisé, nous nous concentrions sur les causes réelles des crises en Côte d’Ivoire, à savoir la question de l’éligibilité à la présidence de la République qui a divisé le pays pendant de nombreuses années. Même l’élection de 2010 s’est faite sans application de ces dispositions de la constitution qui faisaient l’objet de controverses. Comment ferons-nous pour nous donner une nouvelle constitution conforme à la volonté de tous ? La question de la nationalité divise également, de même que celle du foncier rural.

Quelle est la réaction du pouvoir en place suite à votre proposition ?

A l’heure actuelle, nous attendons officiellement une réaction. Dans ce cadre, nous avons sollicité une rencontre avec le parti au pouvoir, le RDR en particulier, ensuite le PDCI/RDA, comme nous l’avons déjà fait avec plusieurs partis proches de nous pour faire connaître le contenu de nos propositions. Nous pensons que c’est une proposition qui est dans l’intérêt de toute la Côte d’Ivoire.
N’est-ce pas demander trop en exigeant la libération du Président Laurent Gbagbo actuellement à la CPI
Le problème n’est pas de savoir si nous demandons trop ou pas assez. Il s’agit de savoir si c’est légitime ou pas. Nous considérons que c’est légitime de notre part pour plusieurs raisons. La première est que la CPI elle-même, à l’issue de l’audience de confirmation ou d’infirmation des charges, a conclu qu’il n’y avait pas d’éléments substantiels pouvant donner à croire que l’ex-Président Laurent Gbagbo a commis des crimes qui lui sont imputés. Nous disons que s’il n’y a pas d’éléments, il faut libérer Laurent Gbagbo, parce qu’on ne peut pas maintenir une personne en prison alors qu’on n’a pas d’éléments substantiels prouvant qu’elle a commis des crimes. Si la CPI ne le libère pas, c’est comme si elle se rendait complice d’un complot visant un adversaire politique. Une autre raison, c’est que le pouvoir refuse une justice internationale impartiale, puisque l’ex- Président Laurent Gbagbo n’est pas le seul sur la liste des personnes faisant l’objet de poursuites par la CPI. Il a même décidé dernièrement de ne plus coopérer avec la CPI et de ne plus livrer d’Ivoiriens où qui que ce soit. Maintenant que le pouvoir s’est débarrassé de Laurent Gbagbo, il veut arrêter les procédures pour éviter à ses partisans de comparaître devant cette juridiction, et si la CPI ne le relâche pas, elle se rendrait complice de la justice des vainqueurs. Et si nous sommes dans la logique de la réconciliation nationale, elle ne peut pas se faire sans la présence d’un acteur aussi essentiel que l’ex-président Laurent Gbagbo qui a géré le pays et est impliqué dans la crise post-électorale. Il est donc bon que tous les fils de la Côte d’Ivoire se retrouvent sans exclusivité, pour se parler, s’entendre et prendre un nouveau départ.

Qu’est-ce qui explique le fait que vous ne viviez plus dans votre résidence ?

Je ne suis pas chez moi parce que la prise du pouvoir par Alassane Ouattara s’est traduite par de graves exactions, de nombreux pillages, de grandes violences politiques, des arrestations, des déportations, des morts, la fuite de milliers d’Ivoiriens allant de responsables politiques aux simples citoyens, surtout dans l’Ouest du pays où ce sont des millions de personnes qui ont dû trouver refuge au Liberia. Aujourd’hui, un certain nombre d’entre eux est rentré, mais une bonne partie reste refugiée au Ghana et au Togo. C’est une prise de pouvoir qui a été un vrai drame pour la Côte d’Ivoire, et nous en avons tous subi les conséquences. Personnellement, ma maison à Abidjan a été totalement pillée, désossée et tout a été emporté, même les portes et les fenêtres. C’est une maison qui est donc sinistrée, et cela a été la même chose au village où des maisons ont été incendiées. Sorti de prison, je vis dans une sorte de précarité. Mes comptes étant gelés, je n’ai pas les moyens de réhabiliter ces maisons, et c’est ce qui explique le fait que je vis un peu comme un « Sans domicile fixe ».

Des dispositions sont-elles prises pour que vous soyez réhabilité dans vos biens ?

C’est tout cela que nous mettons dans le dialogue politique et dont nous voulions discuter avec le pouvoir pour qu’il favorise la restitution des biens de tous ceux qui en ont été dépossédés de façon illégale, arbitraire. Ce n’est pas digne d’une république. Le respect de la propriété privée est un principe cardinal d’une république démocratique, et nous ne pouvons pas comprendre ni accepter que parce qu’on est au pouvoir, on autorise ses partisans à occuper illégalement et arbitrairement les maisons des autres, de s’approprier leurs terrains, plantations et bien d’autres choses. Cela n’a pas de sens et ce n’est pas ainsi que nous allons organiser le fonctionnement du pays et faire participer l’ensemble des populations au développement national. Le pouvoir d’Etat n’est pas un pouvoir partisan ni au service d’un clan contre un autre. Il faut que l’égalité des citoyens soit restaurée, que la propriété privée soit respectée, de même que la liberté des uns et des autres, car ce sont ces valeurs cardinales d’un Etat moderne qui sont aujourd’hui violées et que nous voulons voir restaurées à travers le dialogue que nous avons sollicité avec le pouvoir.

Quelle est la réaction de votre parti sur les lois votées à l’Assemblée nationale concernant la nationalité et le foncier rural ?

Nous considérons que ce sont des questions sensibles, fondamentales pour la paix et la stabilité de notre pays. Nous devons en discuter de façon démocratique à l’intérieur des états généraux de la république. L’Assemblée nationale, qui a adopté ces lois, est monocolore, partisane et dominée par l’exécutif. C’est une Assemblée qui n’est pas vraiment une institution de contrôle de l’action du gouvernement. Dans le passé, le fait que l’Assemblée nationale ait tenté de faire son travail correctement avait déclenché une crise politique. Aujourd’hui, c’est une chambre d’enregistrement qui n’organise pas un vrai débat sur des questions aussi vitales que celle par exemple de la nationalité. Il faut trouver un autre cadre pour discuter de ces questions afin d’adopter une posture qui soit conforme à la volonté générale et qui puisse garantir la paix et la stabilité.

Votre parti, le FPI, sera-t-il de la partie pour la présidentielle de 2015 ?

Le principe pour un parti politique est de participer aux élections, les gagner pour appliquer son programme de gouvernement, et c’est pour cela que le Front populaire ivoirien a été créé. Par principe, nous sommes candidat à toutes les élections et par rapport aux modalités pratiques, c’est au parti de les définir au moment venu.

Mais pourquoi n’étiez-vous pas candidat aux précédentes élections législatives et municipales ?

Le parti n’avait pas jugé le contexte approprié pour une participation efficiente qui pourrait garantir sa survie politique et ses intérêts. C’est dans ce sens que je disais que les modalités pratiques d’une participation dépendent du parti et il décidera, le moment venu, pour les élections à venir
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Avez-vous cette ambition d’être le candidat de votre parti à la prochaine présidentielle ?

C’est le parti qui a des ambitions et nous sommes tous des militants au service des ambitions du parti.

Qu’est-ce que vous auriez aimé dire que nous n’avons pas pu aborder ?

Je voudrais adresser un message à nos frères et sœurs du Burkina, parce qu’il est important que l’opinion burkinabè ait une lecture objective de la situation en Côte d’Ivoire et comprenne la démarche des différents partis politiques. Le FPI est intimement impliqué dans le processus de réconciliation nationale. Que cette opinion sache que le pays a connu une grave crise, a de grosses difficultés depuis plusieurs années et a des contradictions fondamentales sur la manière d’organiser l’Etat, de vivre ensemble, en communauté. Mais, que le Front populaire ivoirien a toujours travaillé à faire en sorte que ces problèmes trouvent des solutions de façon pacifique, négociée, et nous continuons dans cette voie à travers notre volonté de participer à la réconciliation nationale, aux questions qui divisent les Ivoiriens et qui peuvent aussi gêner nos rapports avec nos frères et sœurs de la sous-région.

Propos recueillis par Antoine BATTIONO