Pour l’heure, je me rendais à Paris sur un vol régulier d’Air France, avec une escale prévue à Lyon. J’avais la fâcheuse habitude de voyager en talons aiguilles, faisant fi de mon mètre 89. J’étais trop habillée et trop maquillée pour la circonstance. Je savais moi même qu’on ne se tirait pas à quatre épingles pour aller à une rencontre internationale de la société civile. Qu’une professionnelle de l’action humanitaire, dans le domaine de l’accès à l’eau potable, ne voyageait pas avec un sac à main Prada. Ce n’était pas décent. Mais être tirée à quatre épingles ne relevait pas pour moi du cadre de l’ostentatoire, mais du respect pour ceux avec qui l’on travaillait et de celui que l’on se devait à soi-même. D’autant plus que porter des accessoires de marque était l’un des rares plaisirs que je me permettais, préférant offrir aux autres du bonheur et voir des étincelles s’allumer dans leur regard…
N’était-ce pas ce goût du bonheur des autres qui m’avait poussée à écrire?
J’avais un “succès” relatif qui était loin d’être celui dont je rêvais, petite. Je voulais devenir une Calixthe Beyala, une Leonora Miano, un Ferdinand Oyono. Certaines fois, mon rêve se hissait même à la hauteur de Léopold Sedar Senghor.
Or, j’étais devenue une sorte d’écrivaine dont on se demandait si elle était humanitaire, une sorte d’humanitaire dont on se demandait si elle était écrivaine. Une sorte de femme originale que certains qualifiaient d’humaniste, et un genre d’humaniste suspect que d’autres qualifiaient d’excentrique.
Si je devais me décrire moi-même, je dirais que j’étais une fille un peu bizarre, dont la seule certitude était l’amour qu’elle avait en son âme, en son cœur et en son corps.
Voilà donc que mon éditeur m’avait “commandé” un livre qui parlerait d’amour, écrit sur un ton léger, avec une fin heureuse. Nous en avions déjà signé le contrat. Or, en ce moment, j’étais plutôt déçue par mes relations amoureuses jusque-là, comme je vous le disais tantôt, et mes escarpins noirs brillants de cinq centimètres me faisaient souffrir.
Mon cœur était dans un étau, autant que mes pieds. Ma vie était à l’étroit, mes rêves étaient en sursis.
J’étais en panne d’inspiration.
Escale à Lyon.
L’aéroport était bondé. Une foule cosmopolite se pressait là. Des asiatiques, des Français, des Suisses, des Allemands, des Belges, pour la plus part, mais aussi des Africains.
Je crois que mes préférés étaient les Allemands, en termes de compagnons de voyage. Toujours disciplinés, ils ne manquaient jamais de courtoisie. Moi qui voulais faire un tour à l’espace duty free, juste pour me “rincer l’œil” j’étais prise de court par le temps. Mais mes escarpins à bouts pointus me permettaient toutefois de courir pour arriver juste à temps au moment d’embarquer. 16 F, me dit une hôtesse blonde qui avait mis un rouge à lèvres extravagant (c’était à la mode), sortie pour accueillir, permettre l’accès à l’avion. Je me disais qu’elle était là pour les passagers ne sachant pas lire. Sinon, j’avais bien lu sur ma carte d’embarquement que j’étais à la place 16 F. A quoi donc servait cette étape? Savaient-ils seulement, tous ces passagers avant moi, et cette hôtesse de l’air que je dépassais de trois bonnes têtes, que je portais des instruments de torture, malgré mon sourire?
J’atteins enfin ma place. Au moment de m’asseoir, sacrilège !
J’entendis un bruit de fissure qui venait bien de moi. Déchirure arrière, de dix centimètres au minimum, en plein milieu de ma jupe.