I – RÉSUME INTRODUCTIF
Laurent GBAGBO est un fervent croyant et un fervent pratiquant du combat pacifique pour la démocratie et le socialisme ; mais aussi et surtout, un grand tacticien.
Seuls O Campo et Bensouda seront surpris par le pacifisme de Laurent GBAGBO, mais comme le dit Chinua Achebe dans le monde s’effondre : tant que les lions n’auront pas leurs historiens, l’histoire de la chasse sera toujours à la gloire du chasseur.
L’impérialisme a toujours eu raison de ceux qui lui font obstacle par la falsification de l’histoire, la diabolisation des résistants et l’image du sauveur ou du civilisateur qu’il se donne pour dominer par la terreur. La grande leçon que l’on peut tirer de l’expérience de la Côte d’Ivoire est que lorsque vous comptez sur l’extérieur pour votre développement, votre pays risque de vous échapper un jour. C’est ce risque que Laurent GBAGBO a voulu éviter à la Côte d’Ivoire et c’est ce qui explique aussi cette grande et forte coalition Françafricaine contre son régime. Pour mieux comprendre le combat de Laurent GBAGBO, il faut reculer dans le temps pour se situer dans le contexte du Parti unique et le modèle de développement du Président Houphouët-Boigny.
II – LE PARTI UNIQUE ET LE MODÈLE HOUPHOUËT BOIGNY DE DÉVELOPPEMENT
Lorsque le 7 Août 1960, la Côte d’Ivoire accède à l’indépendance avec à sa tête feu Félix HOUPHOUËT BOIGNY, c’est le PDCI-RDA (Parti Démocratique de Côte d’Ivoire – Rassemblement Démocratique Africain), dont il est le président fondateur, qui s’institue comme parti unique de fait, malgré le multipartisme constitutionnel défini par l’article 7 de la Constitution ivoirienne du 03 novembre 1960 qui stipule que « Les partis et groupements politiques concourent à l’expression du suffrage. Ils se forment et exercent leurs activités librement sous la condition de respecter les principes de la souveraineté nationale et de la démocratie et les lois de la République. » Créé le 09 avril 1946 à l’Étoile du Sud à Treichville (Abidjan), le PDCI-RDA avait fondé sa légitimité dans la lutte anticoloniale et établi sa position de monopole lors des élections pluralistes qui eurent lieu entre 1945 et 1957 en Côte d’Ivoire. Né du Syndicat agricole africain, le Parti Démocratique de Côte d’Ivoire se définissait à cette époque, comme le reflet des aspirations profondes des masses africaines et, à l’instar de la majorité des pays d’Afrique francophone, le parti-unique en Côte d’Ivoire se légitimait par la volonté de parachever l’intégration nationale et de rassembler les énergies pour la réalisation du développement économique et social. En 1960 donc, Félix HOUPHOUËT BOIGNY a plein pouvoir pour conduire ce vaste territoire de 322 623 km2 et d’environ trois millions d’habitants, vers la vision qu’il s’est donné. Afin de surmonter les trois handicaps auxquels était confrontée la Côte d’Ivoire de 1960, à savoir le manque criard de main-d’œuvre indispensable à la mise en œuvre des processus devant aboutir à une économie forte, l’insuffisance de cadres pouvant prendre en main le destin du pays et l’insuffisance de capitaux permettant la création d’entreprises, et la réalisation des infrastructures nécessaires au développement du pays, le Président HOUPHOUËT BOIGNY ouvre la Côte d’Ivoire à tous ceux qui pouvaient participer à la réalisation de ce rêve. Cette vaste politique d’ouverture attire les capitaux étrangers principalement français. C’est aussi l’époque de l’assistance technique des cadres français, sénégalais, béninois, togolais et guinéens accueillis en Côte d’Ivoire, mais aussi des travailleurs agricoles massivement venus du BURKINA-FASO (anciennement la Haute Volta). La Côte d’Ivoire devient alors, un pays prospère sur le plan économique et aussi une véritable terre d’hospitalité pour les réfugiés et autre exilés politiques du continent. La hausse considérable des cours mondiaux des produits primaires tels que le cacao et le café, produits de base de l’agriculture ivoirienne, a permis la création de sociétés d’État, la réalisation de grands chantiers et de nombreux édifices publics, la création d’écoles, d’universités, d’hôpitaux, ainsi que la construction de ports, d’aéroports, de barrages hydroélectriques, et la mise en place d’un vaste réseau routier de plus de 60 000 km. Cette période fut qualifiée « de miracle ivoirien ». Ce «miracle» a été l’essor du développement, aussi bien, des infrastructures que de l’expertise. Avec la bourse au mérite, bon nombre de jeunes Ivoiriens ont eu accès à une formation de très bonne qualité en Côte d’Ivoire, comme en Occident, remplaçant ainsi progressivement les experts étrangers dans l’administration ivoirienne et dans les sociétés d’État.
III – CRISE SOCIO-ÉCONOMIQUE ET LA NAISSANCE D’UN LEADER
Dans les années 80, le rêve de la Côte d’Ivoire de mobiliser le maximum de capitaux étrangers afin de financer son développement n’est pas prêt de se réaliser car le modèle économique choisi s’essouffle. Toutes les sociétés créées par l’état afin d’intervenir directement dans la production, rencontrent des difficultés. Le pays compte un certain nombre d’experts, mais malheureusement l’objectif de création d’une classe d’hommes d’affaires capables de prendre en main le destin socio-économique du pays, n’a pas été atteint. à partir de 1981, le cours défavorable des prix des matières premières et la mauvaise gouvernance, ont entraîné la mise sous tutelle de la Côte d’Ivoire par la Banque Mondiale et le Fonds Monétaire International (FMI). Les différents plans d’ajustement structurel et la crise économique ont provoqué une sévère dégradation des conditions de vie des classes moyennes et des populations urbaines défavorisées. Le chômage sévit. Même l’élite est touchée. L’horizon des cadres sortant des grandes écoles et des universités est bouché. De fortes agitations sociales secouent alors le pays, créant un véritable climat d’insécurité. L’armée se mutine. La majorité des cadres formés à l’étranger et en Côte d’Ivoire souhaite mettre leurs compétences au service du développement de leur pays en prenant une part active dans le processus de prise de décisions. Mais la machine du parti unique, veillant au grain, les musèlent. Ils font donc entendre leur voix par la naissance d’une opposition clandestine qui se rend visible par la stratégie de création de syndicats autonomes. Le 9 février 1982, lors de manifestations estudiantines, une personne se révèle : Laurent GBAGBO, leader d’opinion charismatique, enseignant de formation. Directeur de l’Institut d’Histoire, d’Art et d’Archéologie Africaine de l’Université d’Abidjan depuis 1980, Laurent GBAGBO est, en tant que membre du Syndicat National de la Recherche et de l’Enseignement Supérieur (SYNARES), l’instigateur des mouvements de grève qui touchent en 1982 le secteur de l’enseignement. Avec un groupe d’enseignants, il crée dans la clandestinité un parti politique embryonnaire socialiste qui lancera l’idée d’un front regroupant les autres partis embryonnaires socialistes et non socialistes pour l’accession à une société démocratique. Considéré comme principal responsable du « complot des enseignants » de 1982 et brimé par le pouvoir en place, Laurent GBAGBO part en exil volontaire en France en vue de lutter contre « la dictature du PDCI-RDA » et renforcer la stratégie d’un vaste front devant conduire son pays, résolument vers le multipartisme. A son départ d’exil, en 1982, il confie ce parti embryonnaire à OURAGA Obou, professeur de droit et à Simone EHIVET, chercheur à l’université, compagne de lutte de Laurent GBAGBO et ardente promotrice de la stratégie d’un large front contre la dictature. Celle-ci rassemble donc en un front plusieurs partis politiques embryonnaires, des personnalités politiques et des personnalités du monde des affaires avec l’appui d’Aboudrahamane SANGARÉ, BOGA DOUDOU, KOKORA Pascal etc. donnant naissance au Front Populaire Ivoirien (FPI) d’abord comme mouvement politique dont Simone EHIVET prend la tête à partir de 1987. Pendant son exil en France, Laurent GBAGBO publie aux Éditions l’HARMATTAN en 1983, un ouvrage intitulé « La Côte d’Ivoire : pour une alternative démocratique », pour lancer l’idée d’un large front contre la dictature. Cet ouvrage sera suivi en 1987, après la naissance du large front, d’un autre ouvrage, présentant le Front Populaire Ivoirien et son programme de gouvernement intitulé « Les propositions pour gouverner ». En rupture avec la transformation de la société ivoirienne par les armes, soutenue par la majorité de l’opposition, Laurent GBAGBO opte pour la transformation pacifique de la Côte d’Ivoire par des méthodes démocratiques de lutte. Il était presque le seul opposant à être convaincu d’une victoire sur le parti unique par des méthodes pacifiques. Il a fallu convaincre, avec patience et persévérance, les autres leaders de l’opposition. Il dira d’ailleurs à cet effet, au Congrès de création du Mouvement d’Initiatives pour les Droits Démocratiques (MIDD) à Paris en 1984 après la sortie de son livre « La Côte d’Ivoire : pour une alternative démocratique » et ce, pour répondre à ses nombreux détracteurs qui n’entrevoyaient pas du tout une issue pacifique au tout puissant PDCI : « L’opposition ne doit pas avoir pour rôle d’empêcher le gouvernement de gouverner ni de le renverser par la force, mais doit être une alternative pour améliorer la gestion politique, économique et sociale du pays ». Le MIDD devient un instrument important de formation, de combat et de regroupement pour un large front politique. Il a permis la formation et le recrutement de certains étudiants et travailleurs ivoiriens vivant en France mais dispersés dans les partis politiques français tels que LOHOURIGNON Maurice, KOLADÉ Maurice, N’DRI Marius, Ahoua DON MELLO, TRAORÉ Jean-Jacques, Alcide DJÉDJÉ, Bernard DOZA, Constance YAI, BLÉ Olivier, BOUIKALO Thierry, LIABI, Augustin COMOÉ, Augustin GUEHOUN, KODÉ DADIÉ, FIAN Albert, Jean Paul YAO, Jean Paul DAHILY, Marie-Laure SAMPAH, BAMBA Eugénie, Eliane BERTHE, Thérèse WAWA etc. Le 13 septembre 1988, après l’officialisation du FPI dans son livre « proposition pour gouverner », il met fin à son exil français. Il rentre en Côte d’Ivoire pour donner corps au FPI en transformant le large front créé et dirigé par Simone EHIVET en un Parti politique sous sa direction, avec une vingtaine de camarades. Le FPI est ainsi constitué en parti politique avec un programme de gouvernement lors d’un congrès constitutif qui s’est tenu du 19 au 20 novembre 1988, dans la sous-préfecture de Dabou au Nord de la ville d’Abidjan et qui entraina l’arrestation d’ANAKY KOBINA, homme d’affaires prospère, membre fondateur du tout nouveau parti : le FPI. Ce parti politique a pour objectif de rassembler toute l’opposition socialiste et démocratique au sein d’un vaste mouvement pour la conquête et l’instauration du multipartisme, de la démocratie et du socialisme. Le 2 mars 1990, des manifestations sont organisées dans les rues d’Abidjan avec des slogans hostiles et inédits contre le pouvoir en place. La stratégie de synchronisation de la lutte politique et syndicale dans un contexte de clandestinité, permet à l’Union de la gauche dont le Front Populaire Ivoirien fait partie, en interaction avec le SYNARES de ÉTTÉ Marcel et de KOUDOU KÉSSIÉ Raymond, le SYNACASCI de ASSOA ADOU et de KADJO Richard, le SYNINFO de DÉBI DALY, le SYNESCI de Laurent AKOUN et de TAPÉ KIPRÉ, la FESCI d’AHIPEAUD Martial et d’autres syndicats autonomes, d’arracher de haute lutte le multipartisme des griffes du Parti-État, le PDCI-RDA. En effet, ces manifestations populaires obligent le Président Félix HOUPHOUËT BOIGNY à lancer très rapidement une démocratisation du pays, aboutissant le 30 Avril 1990, à l’autorisation du pluralisme politique et syndical, en d’autre terme au multipartisme. Ce n’est certes pas la démocratie totale et pleine dont Laurent GBAGBO aspirait dans son livre « La Côte d’Ivoire : pour une alternative démocratique », mais c’est une étape importante et non négligeable dans le processus démocratique. Lors de l’élection présidentielle du 28 octobre 1990, Félix HOUPHOUËT BOIGNY est confronté pour la première fois à un adversaire particulier : Laurent GBAGBO, qui malgré les verrous du système institués par le Parti-État, remporte tout de même 18,3% des suffrages, devenant de fait le leader de l’opposition ivoirienne. Aux élections législatives du 25 novembre 1990, le FPI obtient 9 sièges sur 175, et Laurent GBAGBO est élu député dans la circonscription de Ouragahio au Centre-Ouest de la Côte d’Ivoire. Après le triomphe du multipartisme, renforcé par la LIDHO (Ligue Ivoirienne des Droits de l’Homme) de René DEGNY SÉGUI, le mouvement démocratique s’est enrichi par l’avènement du MIFED (Mouvement Ivoirien des Femmes Démocrates) de Françoise KADIO MOROKRO et de l’AIDF (Association Ivoirienne pour la Défense des Droits des Femmes) de Constance YAI. Malheureusement l’Union de la gauche constituée en 1990 pour la conquête et l’instauration de la démocratie et du socialisme, composée du FPI de Laurent GBAGBO, du PIT (Parti Ivoirien des Travailleurs) de Francis WODIÉ, de l’USD (Union des Sociaux-Démocrates) de ZADI Zaourou et du PPS (Parti pour le progrès et le socialisme) de BAMBA Moriféré, se brise, en l’absence de feuille de route consensuelle sur les questions tactiques du processus de démocratisation. Cependant, ces différents leaders restent tous animés d’un idéal commun à savoir la quête de liberté, d’égalité et de justice, piliers d’une société démocratique. Et c’est ainsi que le 18 février 1992 la gauche
ivoirienne et les démocrates dans leur ensemble décident de protester contre le laxisme du pouvoir en place face à la descente violente et barbare des militaires à la cité universitaire de Yopougon le 18 mai 1991. Dans leurs revendications, ils se heurtent au mur du Parti-État. Alassane OUATTARA alors Premier Ministre sorti du ventre du FMI et dépêché en Côte d’Ivoire pour procéder à la vente aux multinationales des secteurs stratégiques de l’économie, voit en ce leader charismatique et panafricaniste qui est Laurent GBAGBO, un obstacle à son funeste projet. Il les fait tous arrêter sous prétexte d’actes de vandalisme. Ils seront emprisonnés puis libérés six mois plus tard, sous la pression internationale. Laurent GBAGBO sort de prison en héros de la lutte pour la démocratie. En décembre 1993, après la mort de Félix HOUPHOUËT BOIGNY, Henri KONAN BÉDIÉ, alors Président de l’Assemblée Nationale, au titre de l’article 11 de la Constitution ivoirienne, lui succède et achève son mandat.
IV – LAURENT GBAGBO : UN GRAND TACTICIEN
En 1995, tirant les leçons de l’échec de la marche du 18 février 1992 et saisissant l’opportunité de la naissance du Rassemblement Des Républicains (RDR) de Djéni KOBINA, Laurent GBAGBO, soutient ce parti affiché ouvertement à droite et lié à Alassane Ouattara écarté du pouvoir par le successeur d’HOUPHOUËT BOIGNY. Cette alliance suscite un mécontentement sur l’aile gauche du FPI. Cette alliance controversée permet à Laurent GBAGBO d’atteindre deux objectifs : neutraliser son geôlier et tenir en respect les multinationales amies du geôlier qui se sont appropriées les principales richesses du pays et qui sont prêtes à faire barrage à un socialiste dans un contexte international à la faveur du libéralisme et de l’impérialisme après l’effondrement du mur de Berlin. Il crée donc un autre front : le FRONT RÉPUBLICAIN qui allie FPI et RDR. Afin de s’assurer de la crédibilité des élections d’octobre 1995, le FRONT RÉPUBLICAIN exige à l’Assemblée Nationale la révision du code électoral par la suppression du vote des étrangers, la mise en place d’une Commission Électorale Indépendante, le droit de vote à 18 ans, le scrutin proportionnel aux législatives, le bulletin unique et l’utilisation d’urnes transparentes. Les deux leaders décident de mettre leur force en commun pour passer du multipartisme à la vraie démocratie. Constatant, dans les débats, l’intransigeance du PDCI-RDA concernant les amendements au code électoral, le FRONT RÉPUBLICAIN appelle au « boycott actif » des élections. Ce n’est donc que seul le PIT de Francis WODIÉ qui, de la gauche ivoirienne, se présentera contre le candidat du PDCI, Henri KONAN BÉDIÉ qui remportera les élections présidentielles du 22 octobre 1995 avec 96,44% des voix. Cependant, en cette même année 1995, le FPI passe ainsi de 9 à 13 sièges à l’Assemblée Nationale. En prenant soin de séparer la conquête de la démocratie et la bataille pour le socialisme, Laurent GBAGBO fait entériner le Front Républicain au Congrès du FPI en 1997 et explique à ses partisans l’importance d’une telle tactique. Il met en veilleuse les ambitions socialistes, consolidant ainsi les bases idéologiques et politiques du FRONT RÉPUBLICAIN dans un contexte international défavorable au socialisme. Dans le courant de l’année 1998, le Président de la République Henri KONAN BÉDIÉ effectue un certain nombre de réformes impopulaires avec une gouvernance approximative qui entraînent un mécontentement général des Ivoiriens et des bailleurs de fonds. Le 24 décembre 1999, un coup d’État militaire dirigé contre le régime BEDIE, propulse le Général Robert GUÉÏ au pouvoir. Ce dernier met en place un gouvernement de transition multi partisan et crée ainsi les conditions pour une vie plus démocratique en Côte d’Ivoire. Afin d’assainir le jeu démocratique, une nouvelle Constitution est rédigée. Elle prend en compte les préoccupations des partis de l’opposition. Il s’agit de la réforme du code électoral pour la non-participation des étrangers aux élections, du bulletin unique, du droit de vote à 18 ans, des urnes transparentes et du scrutin proportionnel aux législatives. Le 23 juillet 2000, la nouvelle constitution est adoptée par référendum, tous les partis politiques ont appelé à voter pour son adoption. Elle stipule en son article 35 que : «Le candidat à l’élection présidentielle doit être Ivoirien d’origine, né de père et de mère eux-mêmes Ivoiriens d’origine. » Une vaste campagne d’identification, destinée à définir la véritable citoyenneté des Ivoiriens est entamée.
V – LAURENT GBAGBO : A LA CONQUÊTE DU POUVOIR
En 2000, deux ans après la mort de DJÉNI Kobina, Secrétaire Général du RDR, et face à la nouvelle orientation prise par ce parti dirigé désormais par Alassane Ouattara, Laurent GBAGBO met fin au FRONT RÉPUBLICAIN. Il remanie son programme de gouvernement au Congrès de 2000 pour afficher son ambition démocratique et socialiste, lance un appel au rassemblement de la gauche et des démocrates autour du FPI afin de conquérir le pouvoir d’État, de poursuivre la démocratisation et de construire une société socialiste. Son discours, résolument de gauche gagne les masses paysannes et la jeunesse. Son solide programme de gouvernement séduit le peuple. Son charisme rallie les plus indécis à sa cause. Ainsi, arrivent les élections présidentielles d’octobre 2000. Sept candidats du PDCI se présentent et sont éliminés par la Cour Suprême présidée par monsieur TIA KONÉ. Alassane OUATTARA, Président du RDR est également éliminé pour « nationalité douteuse ». Au total, 14 des 19 candidatures à l’élection présidentielle présentées par les partis politiques sont rejetées par la Cour Suprême. Se présenteront donc à cette élection présidentielle de 2000, cinq candidats : MEL EG Théodore de l’UDCI, Francis WODIÉ du PIT, Nicolas DIOULO candidat indépendant, Robert GUÉÏ candidat du peuple, Laurent GBAGBO candidat du FPI.
Lors du décompte des bulletins de vote, Robert GUÉÏ se retrouve en seconde position avec 32,72% derrière Laurent GBAGBO qui lui a 59,36%. Le 22 octobre 2000, le Général Robert GUEI se déclare Président de la République de Côte d’Ivoire, ce qui déclenche d’importantes manifestations populaires, soutenues par la gendarmerie nationale. Les affrontements violents débouchent sur la reconnaissance et l’officialisation de la victoire du candidat Laurent GBAGBO, qui le 24 octobre 2000 est proclamé Président de la République de Côte d’Ivoire. Il prête serment le 26 octobre 2000.
VI – LAURENT GBAGBO : À LA CONQUÊTE DE LA DÉMOCRATIE ET DE LA SOUVERAINETÉ POLITIQUE, ÉCONOMIQUE ET FINANCIÈRE
À sa prise de fonction, il nomme son Directeur de campagne, un ingénieur de talent dont l’intelligence et le parcours exceptionnels sont connus et reconnus par tous ses promotionnaires : Pascal AFFI N’GUÉSSAN, ingénieur des télécommunications, Premier ministre. Sous la direction de Pascal AFFI N’GUÉSSAN, le programme de refondation politique, économique et sociale connaît un début d’application effective : au plan politique et administratif, le Président de la République, Laurent GBAGBO et le gouvernement du Premier Ministre AFFI mettent fin aux pratiques du Parti État, recrutent des Ivoiriens par le mérite de leur compétence ministérielle et administrative indépendamment de leur appartenance politique. Laurent GBAGBO démissionne de la Présidence du FPI.
Au plan démocratique, l’ambition du Président de la République est de fonder un État moderne et démocratique. Il s’engage donc à mener une action autour de plusieurs objectifs à savoir :
– la consolidation du processus démocratique par la mise en place d’un forum de réconciliation national, qui a rendu possible l’entrée de ministres RDR au gouvernement ;
– la modernisation et le renforcement de la justice ;
– la garantie des droits de la personne ;
– la définition d’un statut et du financement des partis politiques ;
– la détribalisation et la démocratisation de l’administration publique ;
– la mise en œuvre et l’approfondissement de la décentralisation.
Au plan macro-économique les relations avec les principaux bailleurs de fonds sont rétablies. Les budgets 2001 et 2002 appelés « budgets sécurisés » reflètent les ambitions d’un gouvernement qui veut d’abord compter sur ses propres ressources en refusant de tendre la main. Et en 2002, sous la conduite du ministre de l’économie et des finances, Paul Antoine BOHOUN BOUABRÉ, la négociation de la réduction de la dette est presqu’achevée.
Au plan microéconomique, la privatisation des secteurs stratégiques est abandonnée et les sociétés d’État sont restructurées et renforcées. L’accent est mis sur la transformation et l’industrialisation de nos matières premières agricoles. Au-delà de l’agriculture, il s’agissait non seulement de créer d’autres piliers de développement mais aussi d’ouvrir de nouveaux chantiers et de diversifier les autres secteurs économiques à savoir le secteur minier, le secteur agro-industriel, le secteur touristique. La filière café-cacao est alors rétrocédée aux paysans afin de jeter les bases d’une nouvelle dynamique économique, de garantir la relance du secteur agro-industriel et la création massive d’emploi. Au plan social, les fonctionnaires en général et les enseignants en particulier, retrouvent leur dignité perdue sous Alassane Ouattara par la suppression des discriminations salariales et le déblocage des salaires des fonctionnaires. La santé pour tous se met progressivement en marche avec l’assurance maladie universelle (AMU) basée sur un système de sécurité sociale fondée sur la solidarité des populations et l’appui de l’État. L’éducation pour tous, aussi, est mise en œuvre avec la gratuité de l’école.
VII – LA RÉACTION DE LA FRANÇAFRIQUE ET LE BRAQUAGE DE LA SOUVERAINETÉ
ET DE LA DÉMOCRATIE
Ce programme novateur, particulièrement socialiste et démocratique, basé sur l’économie sociale de marché, visant le plein emploi, la santé, l’éducation, le logement pour tous et le développement local, fut brutalement interrompu par une horde de mercenaires recrutés dans la sous-région sous le parrainage de la Françafrique de CHIRAC et de leur chargé de mission ivoirien. La tentative de coup d’État du 19 septembre 2002, muée en rébellion, a mis fin à l’ambition de la quête de la souveraineté de la Côte d’Ivoire au moment où BOHOUN BOUABRE se rendait à Washington pour obtenir le point de décision du processus PPTE engagé en 2001. L’économie sociale de marché n’a pas pu bénéficier de la manne de la réduction de la dette qui pouvait permettre d’aller vers le développement local et le plein emploi, cheval de bataille du programme de la refondation. Cette brusque interruption n’a pas permis également de réaliser l’unité de la filière cacao-café, la définition des procédures et du contrat-plan qui devait servir de feuille de route à la filière. Cette nouvelle vision de la société ivoirienne, portait atteinte sans doute à des intérêts économiques aussi bien internes qu’externes. Quoiqu’il en soit dans les faits, une coalition internationale s’est organisée autour de la rébellion pour arrêter cette expérience qui risquait de faire tâche d’huile en Afrique. Fallait-il pour le Président de la République abdiquer ou résister ? Le Chef de l’État, Laurent GBAGBO, choisit la résistance. Ce qui nécessitera d’importants sacrifices. En effet, le Président Laurent GBAGBO, à la tête d’un pays braqué fait beaucoup de concession à l’impérialisme français, accepte les décisions prises lors des différentes négociations de Lomé (Togo) et de Linas Marcoussis (France) en janvier 2003. En effet, il partage le pouvoir avec l’opposition armée et fait de grandes concessions aux multinationales françaises. Malgré tout, infailliblement, le peuple le soutient et n’arrête pas de le lui manifester. Cependant, malgré la crise et le programme de Linas-Marcoussis financé par les ressources qui devaient être affectées au programme de refondation, la démocratisation a été poursuivie par la décentralisation et le développement local à travers la municipalisation complète du pays et la mise en place de Conseils Généraux, la réalisation de Grands Travaux que sont : le Village des Technologies de l’Information et de la Bio Technologie, la poursuite du Transfert de la capitale politique à Yamoussoukro, le projet du Grand Abidjan, le prolongement de l’Autoroute du Nord de Singrobo à Yamoussoukro, le Pont de Jacqueville, la construction du Mémorial Félix HOUPHOUËT BOIGNY, le Village Ivoire, l’extension du Port Autonome d’Abidjan, l’extension du Port Autonome de San-Pedro, le 3ème pont Riviéra-Marcory, le pont Laurent GBAGBO, la réhabilitation de la Corniche, le Palais des Parlementaires, la Modernisation de l’Aéroport Félix HOUPHOUËT BOIGNY , le Gazoduc Abidjan-Bouaké, le lancement du bitumage de l’Axe Boundiali-Tengrela, le Crédit d’Appui au secteur agricole ou le Plan Directeur Vivrier, le bouclage technique et financier du projet Nickel de Biankouma-Touba, l’achèvement de la construction de l’Hôpital Catholique Joseph Moscati de Yamoussoukro, le bouclage technique en attendant la sortie de crise des projets suivants visant la conquête de la souveraineté économique et l’intégration Africaine : la Voie express Abidjan-Bassam, la Voie express Abidjan-Ghana, le projet de Train Urbain d’Abidjan, le Complexe Olympique d’Abidjan, le projet de Réhabilitation du Pont Félix HOUPHOUËT BOIGNY, les Marchés de Gros dans les Chefs-Lieux de Région, les abattoirs et les marchés à Bétail régionaux, les Gares Routières Inter Urbaines Régionales, les Zones Industrielles dans les Chefs-Lieux de Région, les Centres Artisanaux Régionaux, les Parkings Publics dans la ville d’Abidjan, le projet de construction du Pont sur le Bandama (Axe Beoumi-Kounahiri), un réseau de Ponts Bascules Routiers, un Réseau de Transports Collectifs dans les Chefs-Lieux de Région, une usine de traitement des ordures ménagères à Abidjan, la mise en place d’un Plan de Collecte et de Traitement des Ordures Ménagères dans les Chefs-Lieux de Région, le projet de construction de cités destinées aux élèves et étudiants, l’aménagement de l’Aéroport de San-Pedro, le projet de construction du Chemin de Fer San-Pedro-Mont NIMBA et son prolongement en Guinée, le projet de création d’Agropole dans la ville Abidjan, le projet de construction d’un marché de gros pour la Ville d’Abidjan etc. Le secteur des mines et des télécommunications a également été relancé. Des programmes sectoriels ont été exécutés : l’électrification rurale s’est poursuivie dans plus de 1 300 villages, des centres de santé ont été construits, et l’adduction en eau potable dans les zones les plus enclavées est devenue une réalité. De plus, le secteur pétrolier par la mise en exploitation du champ Baobab, en 2005, rehausse substantiellement la production pétrolière qui passe de 20 000 barils/jour à 70 000 barils/jour. Au niveau agricole, les productions et les prix des produits s’améliorent d’année en année notamment dans la production du cacao dont elle est la première productrice mondiale, le café, le coton (2e producteur de l’UÉMOA), le bois, l’ananas, la banane, l’hévéa et le palmier à huile (1er producteur africain), l’anacarde, le thon (2ème exportateur mondial), la cola (1er producteur mondial), etc. Ces chantiers de reconstruction et de construction, initiés tout juste après Linas Marcoussis par le Président Laurent GBAGBO, avaient des centres de décision et une expertise purement ivoiriens. En effet, Laurent GBAGBO, conscient de l’existence en Côte d’Ivoire de ressources humaines bien formées et compétentes, s’appuie résolument sur des entreprises ivoiriennes telles que la PETROCI et la SIR pour le secteur pétrole et raffinage, la Banque Nationale d’Investissement (BNI), la Société de Transport d’Abidjan (SOTRA), le Port Autonome d’Abidjan (PAA), le Centre National de Recherche Agronomique (CNRA), le Centre de Promotion pour les Investissements en Côte d’Ivoire (CEPICI), l’Association pour la Promotion des Exportations de Côte d’Ivoire (APEXI), le Bureau National d’Études Techniques et de Développement (BNETD) doté d’une longue expérience dans la maîtrise d’œuvre des projets de développement. C’est au plus fort de la crise en 2003, toujours avec cette confiance inébranlable au potentiel des Ivoiriens, et ferme sur sa volonté de ne compter que sur les ressources internes et l’entraide entre africains pour se passer des aides, que Laurent GBAGBO a donné mandat au BNETD d’exporter son expertise en Afrique afin que les africains prennent eux-mêmes leur développement en main, qu’ils le planifient et le réalisent eux-mêmes en renforçant la coopération Sud-Sud. Doté d’une vision intégrée du développement, Laurent GBAGBO veut en effet voir une Afrique debout qui se prend en charge et s’entraide pour éviter de souscrire aux aides. Tout ceci est non seulement la preuve que malgré un contexte socio politico-économique difficile, la Côte d’Ivoire a continué d’être construite et modernisée par des personnes motivées, inspirées par un homme doté d’une vision particulière et positive qui a su préserver et fructifier les acquis de cette Nation naissante. Conscient du fait que la base de tout développement réside dans l’acquisition d’un savoir-faire, dans l’âpreté au travail et dans le goût « du travail bien fait ». De ce fait, réaliser le « plein emploi » à travers les atouts et les compétences ivoiriens, en passant par le changement des mentalités, est le challenge auquel s’est attelé pendant des années ce dirigeant politique. De surcroît les leviers de l’économie ivoirienne indiquent tous que les atouts sont énormes et que la Côte d’Ivoire possède des ressources humaines, naturelles et financières pour assurer son rebond qualitatif. Laurent GBAGBO a su trouver les mécanismes du développement dans un contexte si défavorable qu’il dira, pour annoncer sa candidature en 2010 : « Mon espérance, ma foi et ma conviction, c’est qu’après avoir connu la partie la plus aiguë de cette crise née de la mort d’HOUPHOUET, qui est la guerre, l’élection que nous allons connaître, va mettre une fin définitive, et à cette crise, et à cette guerre. C’est pour cette raison que je suis candidat … Moi, mon lien, c’est avec la mère nourricière, la Côte d’Ivoire. Et je suis candidat pour la Côte d’Ivoire, je suis candidat pour poursuivre le combat de la libération, je suis candidat pour combattre ceux qui n’aiment pas la Côte d’Ivoire … C’ est pourquoi, tous les ivoiriens et tous ceux qui vivent en Côte d’Ivoire doivent mesurer la portée historique de cette élection qui n’est pas seulement le fait de changer les institutions et de choisir de nouveaux hommes ; mais c’est véritablement le fait que nous changeons d’époque … Depuis 1990, je vous propose inlassablement des réformes sociales en profondeur pour la Côte d’Ivoire … C’est vrai que leur choix se porte aujourd’hui sur moi mais au fond, ce n’est pas moi le plus important. Leur choix se porte sur moi parce que je suis le porteur de ce combat, de leur propre combat … Je suis candidat pour la Côte d’Ivoire, je suis candidat pour les Ivoiriennes et pour les Ivoiriens. Je suis candidat pour continuer le combat que nous avons commencé. Je suis candidat pour continuer le combat que nos parents ont commencé depuis les années 40 et que certains ont abandonné. Je suis candidat pour la Côte d’Ivoire, le combat a commencé, en avant ! » Cet homme-là était assurément dangereux pour les prédateurs et leurs alliés locaux et bien qu’il ait été proclamé vainqueur aux élections présidentielles de 2010 par le Conseil Constitutionnel et le démarrage effectif du combat pour la pleine souveraineté de la Côte d’Ivoire sous la direction du Directeur de la Cellule d’Analyse des Politiques Economique (CAPEC) et Président de l’université d’Abidjan, l’un des plus grands économistes d’Afrique : Gilbert Marie AKÉ N’GBO nommé Premier Ministre. Laurent GBAGBO fait immédiatement face à la même rébellion qui a mis fin au gouvernement du Premier Ministre AFFI N’GUÉSSAN en 2002 avec les mêmes acteurs et de nouveaux prétextes. Il a été arrêté par les forces françaises après d’intenses bombardements de sa résidence et emprisonné à la Haye pour avoir respecté la Constitution de la République de Côte d’Ivoire et osé la souveraineté économique et financière pour son pays. Et depuis le 11 avril 2011, la Côte d’Ivoire a perdu, son âme, sa souveraineté et est sous occupation politique, économique, militaire et foncière.
Le peuple ivoirien est livré à une horde de mercenaires devenus plus ivoiriens que les ivoiriens eux-mêmes qui tuent, torturent, pillent tout sur leur passage sous le regard bienveillant de la Françafrique qui accorde plus d’importance et de droit au cacao ivoirien qu’aux Ivoiriens eux-mêmes. Un homme est en prison mais son combat a réveillé le continent noir pour sa pleine souveraineté et sa dignité.
Docteur Ahoua DON MELLO
Source : la VRA du Samedi 21 Septembre 2013, In Aujourd’hui – 28/29 septembre 2013