Marcel Amondji : Quelques remarques sur la récente « déclaration de la Coalition des patriotes ivoiriens en exil suite aux attaques contre le président du FPI, Pascal Affi N’Guessan »
(Cercle Victor Biaka Boda) – « Ceux-là nous reviendront donc de leur exil en ayant tout oublié des causes qui les y ont conduits, et sans avoir rien appris de cette terrible épreuve ! »
Telle est la crainte que j’ai depuis que j’ai lu la « Déclaration de la Coalition des Patriotes Ivoiriens en Exil suite aux attaques contre le président du FPI, Pascal Affi N’Guessan », datée du 30 septembre et signée : « Pour le Bureau Exécutif, Le Président : Damana Adia Pickass ».
Mais, au moment de rendre publique cette réaction, qu’il me soit permis de préciser deux ou trois petites choses afin que nul ne se méprenne sur son sens. Ceci n’est en aucune façon un « droit de réponse » ; même si je ne pense rien de bon des tribulations de Pascal Affi NGuessan depuis sa sortie de prison, je ne me sens pas pour autant concerné par le procès en diffamation auquel se livrent Damana Adia Pickas et ses amis. D’ailleurs, je ne suis pas, je n’ai jamais été et je ne serai probablement jamais adhérent du FPI. Je n’ai pas, par conséquent, à juger de l’adéquation des démarches et des discours du président du FPI avec sa fonction, avec la ligne de son parti, ni même de leur cohérence avec les conditions et les nécessités réelles de notre lutte de libération nationale. L’histoire s’en chargera, et plus tôt que Damana et ses amis de « La COPIE » ne se l’imaginent peut-être… Seulement, comme citoyen, et comme patriote positionné depuis plus de 50 ans de ce même côté de la barricade, je revendique – pour moi et pour tous mes semblables – le droit de penser et de dire tout haut ce que nous estimons nécessaire et juste, de quiconque se présente à nous, à la nation, comme sauveur suprême. De penser et de dire, par exemple, qu’il nous paraît ou qu’il ne nous paraît pas digne de cette fonction ou de ce titre.
Au demeurant, s’agissant d’Affi Nguessan, je pense que le procès qu’on lui fait – procès dont il ne faut d’ailleurs pas exagérer la portée comme le voudrait Damana – est un mauvais procès. On ne peut pas demander à quelqu’un de devenir soudainement ce qu’il n’est pas naturellement, simplement parce qu’on aimerait qu’il le devienne. Sorti en l’an 2000 du chapeau magique de Laurent Gbagbo qui venait d’être élu président de la République, Affi n’est rien en lui-même, ce qu’il a du reste toujours eu le bon goût de reconnaître. Alors, il faut dépasser sa personne si on veut bien juger de ce qu’il fait ou de ce qu’il dit – ou qu’on lui fait dire – depuis qu’il est en liberté conditionnelle. C’est justement ce que je me propose de faire ici et maintenant, en m’appuyant sur quelques éléments de la déclaration de Damana.
1 – La réconciliation et ses conditions :
Est-ce que la libération de Laurent Gbagbo et de tous les autres prisonniers du régime fantoche, ainsi que le retour de tous les exilés, et leur rétablissement pur et simple dans leurs droits, suffiront à régler TOUS les problémes du pays ? Bien sûr que non ! Ça n’est même pas pensable. Et même si, à l’instar du PDCI, le FPI aussi se ralliait corps et âme au régime fantoche. D’ailleurs, je ne suis même pas sûr que Damana et ses amis se font des illusions à ce sujet ; leur façon de le dire suffit à marquer qu’ils n’y croient pas plus que ça, ou qu’ils envisagent cela seulement soit comme un miracle, soit comme un cadeau que leur feraient les successeurs de ceux qui ordonnèrent ou qui exécutèrent l’anéantissement de nos forces armées, le bombardement de la résidence officielle du chef de l’Etat et le meurtre de sang-froid de centaines de nos jeunes compatriotes militaires et civils afin d’imposer leurs marionnettes à la tête de la Côte d’Ivoire.
En faveur de cette troisième hypothèse, je citerais ce passage proprement extraordinaire : « La COPIE félicite le Président Pascal AFFI N’guessan pour la qualité du travail qu’il accomplit dépuis sa libération, en particulier, l’offensive diplomatique avec les représentations des Etats Unis, de la France, de l’Onuci pour partager avec ces institutions sa vision de sortie de crise ». Un comble !, quand nous ne savons absolument rien de ce qu’ont bien pu se dire Affi et ses différents interlocuteurs, dont l’un au moins, le désormais ancien ambassadeur des Etats-Unis en Côte d’Ivoire Phillip Carter III, fut l’un des acteurs directs de cette agression dont la nation porte encore les stigmates. On dirait, à lire Damana, que le simple fait d’avoir reçu Affi l’a absout, ainsi que ses complices : l’ambassadeur de France Jean-marc Simon et le représentant du secrétaire général de l’ONU, Young-jin Choi, de leur crime collectif. Mais, qui donc – ou qu’est-ce qui – aurait donné ce pouvoir extraordinaire au président du FPI à peine sorti de prison et toujours à la merci d’une justice aux ordres des pires ennemis de ce qu’il est censé représenter ?
Pour conclure ce premier point, j’emprunte à Koffi Annan, qui s’occupe beaucoup de nos affaires sans qu’on sache exactement à quel titre, sa définition de cette « réconciliation nationale » dont on nous rebat sans cesse les oreilles : « Il y a un seul pays pour tous les Ivoiriens. Il faut la réconciliation nationale, il faut travailler pour le pays et pour les générations futures. J’encourage donc tout le monde à accepter de travailler ensemble pour un pays stable et prospère » (D’après Le Patriote du 10 octobre 2013). En clair, ce à quoi cet illustre kpakpato nous invite – et seulement nous les patriotes qui résistons à l’entreprise de recolonisation de notre patrie ! –, c’est à nous soumettre purement et simplement à l’état de fait ; à abandonner tout esprit de résistance et toute volonté de rétablir un jour la terre de nos ancêtres et ses citoyens naturels – je veux dire : ceux qui y ont toutes leurs tombes –dans la plénitude de leurs droits naturels et constitutionnels.
2 – les états généraux de la République
Parmi nos amis lecteurs, peut-être ceux qui suivaient les événements en 1990 se souviennent-ils qu’à cette époque-là, le FPI, par la bouche de son président Laurent Gbagbo, rejeta sèchement une doléance identique présentée par le PIT en prétextant que « la conférence nationale n’était pas une panacée ». Ceux-là trouverons alors un peu court l’argument de Damana : 12 mots en tout et pour tout !, alors qu’ils aimeraient peut-être savoir très précisément pourquoi le FPI qui hier rejetait toute idée de « conférence nationale souveraine », croit aujourd’hui que de vagues « états généraux de la République » seraient un remède à la mesure d’un mal infiniment plus grave et plus pernicieux que celui dont la Côte d’Ivoire souffrait en 1990…
3 – le Président du FPI […] cristallise sur lui les attentes du peuple Ivoirien
Il s’agit là d’une assertion gravissime dans le contexte actuel, parce qu’elle est fausse. Et elle est d’autant plus grave que c’est une croyance très répandue parmi ceux qui parlent aujourd’hui au nom du FPI – et qui ont, d’ailleurs, un peu trop tendance à le faire comme si pour eux le Fpi englobait indistinctement l’ensemble de la Résistance nationale ! Selon eux, si on a libéré Affi et consort, c’est parce que prisonniers, ils faisaient peur à ceux qui les avaient fait jeter en prison. Mais ils semblent ne plus du tout savoir qui les a livrés à leurs ennemis, et aucun d’eux ne paraît même capable d’imaginer le rôle décisif d’une opinion nationale rétive, inflexible, irréductible, indomptable, comme déterminant principal de ce qu’ils célèbrent comme une victoire miraculeuse de leur seul parti ! Mais est-ce que des gens qui se sont toujours crus prédestinés par leur dieu particulier à diriger notre peuple, et qui concevaient cette fonction comme celle du berger et de ses chiens guidant des moutons, peuvent comprendre cela ?
Ni 1999, ni 2000, ni 2002, ni 2011 ne leur auront appris cette humilité qui est l’une des qualités essentielles des plus grands conducteurs de peuples ! Aussi, dans leur bouche, une déclaration comme « La Coalition des patriotes ivoiriens en exil (COPIE) salue cette volonté clairement exprimée des dirigeants du Front Populaire Ivoirien de répondre aux aspirations véritables des populations ivoiriennes » sonne-t-elle comme une pure plaisanterie, si ce n’est pas la manifestation désinvolte d’un cynisme particulièrement odieux. Car si Damana et ses amis sont vraiment sérieux, s’ils ne sont que maladroits dans le choix de leurs mots, ils devraient au moins savoir que d’après la vulgate de leur parti, c’est depuis 1988, voire depuis 1982, qu’existerait chez eux « cette volonté… etc » ? Or, au bout des trente années écoulées depuis lors, qu’en est-il résulté ? Rien que cet immense chaos, qu’ils ont aussi püissamment contribué à installer.
4 – « La COPIE adhère pleinement à la vision du Président Pascal AFFI N’guessan sur la réconciliation nationale dont le Président Laurent Gbagbo est le socle et lui apporte un soutien total. »
Qu’est-ce qu’une telle profession de foi peut bien vouloir dire ? Inutile de chercher, ça n’a pas de sens !
Si ces gens étaient vraiment capables d’une véritable réflexion politique, ils devraient admettre que Laurent Gbagbo, s’il mérite certainement d’être rendu purement et simplement à la liberté, il n’a plus en revanche aucun avenir politique en Côte d’Ivoire ; que, même s’il avait l’ambition de « revenir », la Côte d’Ivoire, elle, a désormais tout intérêt à ce qu’il n’en fasse rien, car il ne pourrait revenir en politique que pour être un autre Bédié…
Pauvre Laurent ! Je ne doute pas que tu ais été parfois sincère, au moins à tes débuts, quand, porté par ton propre enthousiasme et par certaines complaisances médiatico-politiques hexagonales – pas toutes désintéressées –, tu croyais pouvoir voguer longtemps en toute sûreté sur les eaux troubles de la social-démocratie française. Aussi n’as-tu pas pris le temps ni la peine de te forger un instrument réellement à la mesure de ton ambition ou, au moins, à la mesure des conditions du combat politique dans un pays comme la Côte d’Ivoire houphouéto-foccartienne. De passage à Abidjan au début des années 1990, Abdoulaye Wade alors un drôle d’opposant lui-même, t’en avais pourtant averti quand il prononça cette formule étrange : « La Côte d’Ivoire n’est pas n’importe quel pays ! » Sous entendu : ça sera plus compliqué pour vous de vous en sortir que partout ailleurs…
FPI, pour Front populaire ivoirien. Refondation, pour tout programme… Un sigle et un slogan qui, dans un contexte historique particulièrement glauque, s’avèreront d’une formidable – et d’une dangereuse – efficacité, beaucoup y trouvant le camouflage idéal pour abriter leurs ambitions de carrière tout en faisant l’économie d’un véritable engagement idéologique. Ils y affluèrent donc comme les mouches autour d’un pot de miel. Il n’y manqua même pas les traîtres potentiels, qui s’y embusquèrent, ou qu’on y prépositionna, pour attendre le moment où ils pourraient servir : un Louis-Henri Dacoury-Tabley, un Raphaël Lakpé, un Mamadou Koulibaly, entre autres…
Tout alla bien tant que se maintint la ferveur populaire et la faveur des « amis de l’extérieur ». Et puis un jour, comme il advient toujours dans les pactes avec le Diable, les choses se gâtèrent quand il a fallu donner son âme. Et ce fut la comédie électorale de novembre 2010, puis le coup de grâce du 11 avril 2011… Mais ce jour-là, le vrai drame, ce ne fut pas la chute d’un homme et de son régime ; ce fut la révélation du néant politique que jusqu’alors le sigle « FPI » et le slogan « Refondation » cachaient aux foules de jeunes prêts à se sacrifier pour leur idole.
5 – en guise de conclusion
Une guerre, civile ou étrangère, se gagne ou se perd. Et puis, celui qui a perdu, pourvu qu’il ait assuré ses arrières en intégrant dans ses plans l’éventualité de cette défaite, peut espérer renaître… Nos « refondateurs », eux, n’avaient aucun plan, ni d’offensive ni de défensive. Encore heureux que nous ayons dans notre généalogie nationale ces peuples admirables, dont l’esprit d’indépendance, qui déjà exaspérait tant Angoulvant vers 1910 – il appelait cela l’« instinct atavivique d’indépendance » –, leur fait comme une carapace face à qui prétend les réduire à sa merci.
La force qui maintint Gbagbo à flots de 2002 à 2010, ce n’est pas son « charisme », ni l’appareil d’un FPI fantomatique, ni Blé Goudé et ses gesticulations, encore moins la science militaire de nos braves matamores de chefs d’état-major successifs, mais cet « instinct »-là !… C’est grâce à lui si après le 11 avril 2011, malgré tous les efforts de nos opiâtres et insatiables prédateurs pour nous démoraliser, nous ne sommes pas encore redevenus une consentante et inerte néocolonie française sous-traitée au Burkina Faso et aux autres pays-CEDEAO en guise d’« espace vital ». C’est grâce à lui si les vrais artisans du coup d’Etat le plus long de l’histoire, c’est-à-dire la France des affairistes sans scrupules, comprenant qu’elle ne nous aurait jamais à l’usure comme elle l’avait espéré, tente maintenant de récupérer les éléments modérés du FPI encore utilisables pour appâter l’opinion en vue de la retourner en faveur du régime fantoche. L’étrange ballet auquel nous assistons depuis la libération conditionnelle d’Affi et de ses compagnon n’a pas d’autre signification.
Je ne sais pas si c’est sciemment qu’Affi se prête à ce jeu de dupes. Je ne veux même pas me poser la question. Car dans cette affaire, en tout état de cause, Affi n’est que le pot de terre, et il ne pourra que se briser contre la volonté de domination de ceux qui ont tout organisé depuis 1993 afin que la disparition de leur cher Houphouët-Boigny ne signifie pas la fin de la main-mise de la Françafrique sur notre patrie. S’il le sait, tant mieux pour lui et pour le FPI. Sinon, il ne tardera pas à l’apprendre…
Des milliers d’Ivoiriennes et d’Ivoiriens sont morts en bravant les armes françaises et onusiennes parfois déguisées en « forces nouvelles ». Est-ce que, sous prétexte d’on ne sais quelle « réconciliation nationale », il faut laisser les ennemis de notre patrie croire que tous ces frères et sœurs, toutes ces filles et tous ces fils qu’ils nous ont tués depuis 1999 jusqu’à aujourd’hui, c’est « cadeau » ?
Voilà la seule vraie question à laquelle toute l’histoire de ce pays depuis ses commencements nous commande de répondre à cette heure ! Et ce serait le comble de l’aveuglement, voire une trahison, d’accepter que ceux qui, après avoir capté la confiance de tout un peuple, n’ont pas été capables de le conduire à la victoire, ni de lui ménager les moyens de se protéger contre l’humiliation et les spoliations après la défaite, viennent dire qu’ils détiennent seuls la légitimité pour y répondre. Surtout quand nous les voyons si près de rendre les armes alors que le combat n’a pas cessé.
Marcel Amondji
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