Face à toute décision, surtout dans les actions qui impliquent des destins présents et futurs de plusieurs générations, les choix des leaders sont d’une importance capitale.
Mandela, cet homme noir africain, devenu icône international, cet apôtre de paix et de réconciliation qui a pu se regarder dans le miroir jusqu’à la fin de sa vie, a, lui aussi, été confronté à des dilemmes de choix.
Aujourd’hui oint et encensé, presqu’à l’unanimité, par la planète tout entière, il est utile de se rappeler et de garder en mémoire que ce même Mandela, a été étiqueté « terroriste » par ses oppresseurs et leurs alliés, pour avoir défendu les droits de son peuple ; prononcer son nom ou porter sur soi une image de lui étant ainsi considéré comme un crime et sévèrement puni par la loi sud-africaine d’alors.
Cet homme qui a connu une géhenne et une humiliation indicibles, a pourtant su puiser au plus profond de son âme meurtri, pour trouver la force et la sagesse de se faire violence, afin de serrer la main qui l’opprimait, la main qui opprimait son peuple, la main qui saignait cruellement l’âme de l’homme noir.
Par cette attitude pacifiste d’une grandeur inouïe et d’une sagesse divine, Mandela a libéré aussi bien l’oppresseur blanc que l’opprimé noir, jetant ainsi les bases de la construction d’un état arc-en-ciel. Bien que l’on ne puisse pas encore affirmer que cet état arc-en-ciel soit devenu une nation véritablement homogène, il est indubitablement évident qu’à l’instar de Martin Luther King et bien d’autres héros noirs, Mandela lègue à son peuple – et à l’humanité tout entière – un héritage inestimable.
Comme tout leader responsable, Mandela a dû faire des choix qui n’étaient pas toujours du goût de son peuple. A-t-il eu raison d’agir d’une manière et pas d’une autre ? Seule l’histoire pourra apporter une réponse adéquate à cette question. Aujourd’hui, l’humanité tout entière se contente de s’unir à la douleur du peuple arc-en-ciel d’Afrique du Sud, pour célébrer la vie d’un héro, l’entrée dans la légende d’une icône.
Mandela dit Madiba, cet africain qui a dirigé son pays avec un immense soutien et une incommensurable bénédiction de son peuple, était auréolé pour une présidence à vie. Pourtant, après seulement un mandat, l’Homme a délibérément cédé sa place pour redevenir un simple citoyen heureux d’avoir accompli sa mission, entrant ainsi, involontairement, dans l’histoire éternelle des Grands Hommes de l’humanité.
Plus qu’un symbole, Mandela devient une grande école pour les dizaines de chefs d’états africains qui pataugent dans le noir et qui se cherchent encore.
L’Afrique est grande, vaste et variée, mais le destin des populations négro-africaines est unique car tous les noirs d’Afrique souffrent d’un même fléau : leurs propres dirigeants.
Pour ne pas avoir à citer tous les dirigeants africains, le cas de Denis Sassou Nguesso, le président de la république du Congo, suffira, à lui seul, pour illustrer ce fléau continental.
Porté au pouvoir le 5 février 1979, à l’issue d’un coup d’état, Denis Sassou Nguesso dirige le Congo d’une rigide main de fer, depuis plus ou près de trois décennies. Originaire du nord du Congo, d’ethnie mbochi, ce président a transformé la république en un clan où seuls des individus mbochis, ou ressortissants du nord, peuvent jouir des richesses du Congo. Pour rendre ceci possible, Denis Sassou Nguesso a instauré et institutionnalisé un système de nomination aux postes clés de la république selon des critères tribaux ; l’on peut ainsi constater qu’en république du Congo, tous les secteurs socio-politico-économiques, civiles et militaires, sont, dans leur grande majorité, dirigés par des individus mbochis ou des cadres originaires du nord qui lui sont infantilement soumis. Cette injustice s’étend également sur l’éducation et la formations des congolais car les bourses d’études et de formation étant inéquitablement octroyées aux Congolais.
Le peuple congolais, dans sa grande majorité, subit silencieusement la terreur et la tyrannie d’un homme et ses sbires qui sont prêts à tout pour réprimer, par tous les moyens, y compris par l’élimination physique, toute forme de revendication des citoyens congolais opprimés.
Face à cette tyrannie qui n’est autre qu’une dictature, la fissure socioéconomique est palpablement criarde dans tous les coins du Congo, plus de 30% de la population active étant au chômage, les populations congolaises étant même privées de la simple eau potable.
Au regard de la situation du Congo, le bilan primaire et non-erroné qui pourrait être établi à vue d’œil, par n’importe quel observateur – même le plus naïf – serait le suivant :
- Manque d’eau potable, les populations se contentant de l’eau parfois insalubre des puits ou de pluie
- Manque d’électricité, délestages fréquents
- Système éducatif totalement en ruine
- Système sanitaire inadéquat
- Manque d’infrastructures de bases
- Manque d’emploi, etc.L’homme n’étant pas éternel, Denis Sassou Nguesso sera bien contraint de tirer sa révérence un jour ou l’autre, comme vient de le faire Mandela.
Quand arrivera ce moment, les congolais pourront-ils sincèrement dire que le Congo vient de « perdre le plus grands de ses fils » ?
Quel héritage Sassou Nguesso lèguera-t-il aux congolais ? Lui qui s’est évertué, toute sa vie, à semer et à entretenir la manipulation et la division des Congolais, à perfectionner l’art et la manière de soumettre et de traumatiser les mbochis et autres nordistes, en les obligeants à se sentir solidairement coupables de ses crimes personnels, à développer la culture du crime, de l’incivisme, de la corruption et de la cleptomanie, à dépénaliser TOUT crime au Congo, à officialiser et promouvoir la délinquance la plus notoire.
Quel héritage lèguera-t-il ?
Serait-ce son fameux discours tribaliste et criminel à l’endroit de ses mbochis dans lequel, les liant à ses propres crimes, il les condamnait à mort en déclarant :
« Je vais maintenant vous dire que la paix à laquelle vous croyez n’est que superficielle, votre paix ressemble au repos d’un prisonnier dans sa prison. La guerre que vous avez gagnée vous a seulement écarté du danger, mais ce danger continue à menacer, et aujourd’hui je constate que c’est même pire.
Je vous interpelle tous, pour notre survie, notre futur est noir… S’il m’arrivait de mourir à 11 heures, sachez qu’avant 15 heures, on ne parlera plus du nord tout entier. Tous nos villages seront brûlés, tous nos nordistes de Brazzaville comme ceux de Pointe-Noire mourront dans les 3 heures qui suivront ma mort.
Donnez-moi donc vos enfants, j’ai besoin d’hommes pour assurer votre survie. On ne peut pas toujours compter sur les troupes étrangères, nous devons compter sur nous-mêmes d’abord. Je lutterai aux côtés de mes enfants comme je l’ai toujours fait depuis juin 97.
Je ne fuirai jamais, je lutterai avec vous jusqu’à ma dernière goutte de sang.
Les jeunes hommes iront dans les casernes, les jeunes filles apprendront les armes ici sur place à Brazzaville. Je vous exhorte à plus de vigilance et de courage.
Je vous remercie…» ? Discours prononcé par Denis Sassou Nguesso le dimanche 21 mars 1999 à 9h, au dispensaire Marien Ngouabi situé au croisement Rue Ossio et avenue Talangaï, quartier Mikalou – Brazzaville, république du Congo.
Serait-ce plutôt son allocution aux prétendus « sages » de sa contrée à qui il disait : « Pour le reste, je sais que le pays nous appartient à nous tous, mais…. Je ne suis pas encore fatigué… Si un jour Dieu lui-même me dit que c’est le moment pour moi de m’assoir (d’abandonner le pouvoir et me reposer), moi-même, je vous le dirai à ce moment-là ! Pour l’instant, à cette place (de président de la République), il n’y a personne capable de me supplanter. Je vous le dis, cette personne à ce jour n’existe pas ! » Propos tenus par Denis Sassou Nguesso, 11 mai 2012, lors d’une réunion avec les « sages » mbochis
Quel héritage Denis Sassou Nguesso lèguera-t-il aux Congolais ?
Marie-Louise ABIA