Avec une lucidité étonnante, Fidel Castro, 87 ans, retourne sur le « cas Mandela » et analyse l’hypocrisie occidentale, en se demandant : « Pourquoi prétend-on occulter que le régime d’Apartheid, qui a tant fait souffrir l’Afrique et a indigné la majorité des nations du monde, était le fruit de l’Europe coloniale et qu’il devint une puissance nucléaire grâce aux États-Unis et à Israël ? Un pays condamné ouvertement par Cuba, qui soutenait les colonies portugaises en Afrique luttant pour leur indépendance »
Peut-être que l’Empire a cru que notre peuple n’honorerait pas sa parole quand, en ces jours incertains du siècle dernier, nous affirmons que même si l’URSS venait à disparaître, Cuba continuerait à lutter.
La Seconde guerre mondiale a éclaté quand, le 1 er septembre 1939, le nazisme envahissait la Pologne et s’abattait comme la foudre sur le peuple héroïque d’URSS, qui donna 27 millions de vies pour sauver l’humanité de cette boucherie brutale qui coûta la vie à plus de 50 millions de personnes.
La guerre est, d’autre part, la seule activité tout au long de l’histoire que le genre humain n’ait jamais été capable d’éviter ; ce qui emmenait Einstein à répondre qu’il ne savait pas à quoi ressemblerait la Troisième guerre mondiale, mais que la quatrième se jouerait à coups de bâtons et de pierres.
Selon les données disponibles pour les deux principales puissances, États-Unis et Russie disposent de plus de 20 000 ogives nucléaires. L’Humanité devait savoir que, trois jours après l’arrivée au pouvoir de J.F.Kennedy aux États-Unis, le 20 janvier 1961, un bombardier B-52 américain, dans un vol de routine, qui transportait deux bombes atomiques avec une capacité destructrice 260 fois supérieure à celle utilisée à Hiroshima, subit un accident qui précipita son crash. Dans de tels cas, des équipements automatiques sophistiqués appliquent des mesures qui empêchent l’explosion des bombes. La première toucha le sol sans problème ; la seconde, sur les quatre mécanismes, trois échouèrent, et le quatrième, dans un état critique, n’a pas fonctionné non plus ; la bombe par pur hasard n’a pas éclaté.
Aucun événement présent ou passé dont je me rappelle ou j’ai entendu parler n’a eu autant d’impact sur l’opinion publique mondiale que la mort de Mandela ; et non pour son opulence mais pour la qualité humaine et la noblesse de ses sentiments et idéaux.
Tout au long de l’histoire, jusqu’à il y a à peu près un siècle et demi de cela avant que les machines et les robots, pour une dépense minimale en énergie, s’occupent de nos modestes tâches, il n’existait aucun des phénomènes qui aujourd’hui touchent l’humanité et régissent la vie de chacun : hommes et femmes, enfants et anciens, jeunes et adultes, agriculteurs et ouvriers, manuels et intellectuels. La tendance dominante est de s’installer dans les villes, où la création d’emplois, les transports et conditions élémentaires de vie, exigent d’énormes investissements au détriment de la production alimentaire et d’autres formes de vie raisonnables.
Trois puissances ont déposé des objets sur la Lune. Le même jour que Nelson Mandela, enveloppé dans le drapeau de son pays, était inhumé dans la cour de l’humble demeure où il est né il y a 95 ans, un module sophistiqué de la République populaire de Chine atterrissait sur le sol de notre Lune. La coïncidence entre les deux faits est pur hasard.
Des millions de scientifiques recherchent des matières et radiations sur la terre et dans l’espace ; on sait ainsi que Titan, un des satellites de Saturne, continent 40 fois plus de pétrole que ce que notre terre en contenait quand on a commencé son exploitation il y a 125 ans de cela, alors qu’au rythme actuel de consommation il sera épuisé dans moins d’un siècle.
Les sentiments fraternels de fraternité profonde entre le peuple cubain et la patrie de Nelson Mandela sont nés d’un fait qui n’a même pas été mentionné, et dont on n’a pas dit un mot pendant toutes ces années ; Mandela car c’était un apôtre de la paix qui ne désirait blesser personne. Cuba, parce qu’il n’a jamais réalisé aucune action à la recherche de gloire ou de prestige.
Quand la révolution a triomphé à Cuba, nous fumes solidaires des colonies portugaises en Afrique, dès les premières années ; les Mouvements de libération sur ce continent mettaient en échec le colonialisme et l’impérialisme, après la Seconde guerre mondiale et la libération de la République populaire chinoise – le pays le plus peuplé du monde – après le triomphe glorieux de la Révolution socialiste russe.
Les révolutions sociales ébranlaient les fondations du vieil ordre des choses. En 1960, on comptait déjà 3 milliards d’habitants. Dans le même temps, grandissait le pouvoir des grandes firmes trans-nationales, presque toutes américaines, dont la monnaie, soutenue par le monopole de l’or et une industrie intacte loin des fronts de bataille, devint maître de l’économie mondiale. Richard Nixon brisa unilatéralement le lien entre sa monnaie et l’or, et les entreprises de son pays partirent à la conquête des principales ressources et matières premières du monde, qu’ils acquirent avec le papier vert.
Jusqu’ici, rien qu’on ne connaisse pas déjà.
Mais pourquoi prétend-on occulter que le régime d’Apartheid, qui a tant fait souffrir l’Afrique et a indigné la majorité des nations du monde, était le fruit de l’Europe coloniale et qu’il devint une puissance nucléaire grâce aux États-Unis et Israël, un pays dont Cuba, qui soutenait les colonies portugaises en Afrique qui luttaient pour leur indépendance, a condamné ouvertement ?
Notre peuple, qui avait été cédé par l’Espagne aux États-Unis après la lutte héroïque qui a duré plus de 30 ans, ne s’est jamais résigné au régime esclavagistes qui lui fut imposé pendant près de 500 ans.
De la Namibie, occupée par l’Afrique du sud, partirent en 1975 les troupes racistes soutenues par des chars légers avec des canons de 90 mm qui pénétrèrent sur plus de 2 000 km jusqu’aux abords de Luanda, où un bataillon des forces spéciales cubaines – aéroportées – et d’autres troupes également cubaines à bord de chars soviétiques qui se trouvaient sur place, sans équipage, purent les contenir. Cela se produisit en novembre 1975, 13 ans avant la bataille de Cuito Cuanavale.
J’ai déjà que nous ne faisions rien en quête de prestige ou de quelque bénéfice. Mais c’est un fait bien réel que Mandela a été un homme intègre, révolutionnaire profond et radicalement socialiste, qui avec un grand stoïcisme a supporté 27 années de confinement solitaire. Je ne cessai jamais d’admirer son honnêteté, sa modestie et son énorme mérite.
Cuba a rempli ses devoirs internationalistes rigoureusement. Il défendait des points-clés et entraînait chaque année des milliers de combattants angolais au maniement des armes. L’URSS fournissait l’armement. Toutefois, à l’époque, nous ne partagions pas l’idée de notre conseiller principal soviétique. Des milliers d’Angolais jeunes et bonne santé étaient constamment incorporés dans les unités de l’armée émergente. Le conseiller principal n’était, toutefois, pas un Joukov, un Rokossovski, un Malinovski et tous ces généraux qui firent la gloire de la stratégie militaire soviétique. Son idée fixe était d’envoyer des brigades angolaises avec les meilleures armes sur le territoire où était censé se trouver le gouvernement tribal de Savimbi, un mercenaire au service des Etats-Unis et de l’Afrique du sud. C’était comme envoyer les forces qui combattaient à Stalingrad à la frontière de l’Espagne phalangiste qui avait envoyé plus de 100 000 soldats lutter contre l’URSS. Cette année-là, il se produisit une opération de ce type.
L’ennemi perçait les lignes des forces des brigades angolaises, touchées à proximité de l’objectif où elles avaient été envoyées, à 1 500 km de Luanda. Elles étaient chassées par les forces sud-africaines qui prenaient la direction de Cuito Cuanavale, vieille base militaire de l’OTAN, à 100 km de la 1ère brigade de chars cubains.
A ce moment critique, le Président d’Angola sollicita le soutien des troupes cubaines. Le Chef de nos forces au sud, le Général Leopoldo Cintra Frias, nous remit la demande, ce qui était habituel. Notre réponse ferme fut que nous apporterions notre soutien si toutes les forces angolaises sur ce front se mettaient sous commandement cubain, au sud de l’Angola. Tout le monde comprenait que notre demande était un pré-requis pour faire de cette base historique le champ de bataille idéal pour frapper les forces racistes d’Afrique du sud.
En moins de 24 heures, la réponse d’Angola était arrivée, positive.
On décida l’envoi immédiat d’une Brigade de chars cubaine jusqu’au point de ralliement. D’autres se trouvaient sur la même ligne, vers l’Ouest. L’obstacle principal était la boue et l’humidité de la terre pendant la période des pluies, un terrain qu’il fallait inspecter mètre par mètre pour le déminer. A Cuito, fut envoyé également le personnel pour occuper les chars sans équipages, ainsi que les canons qui leur manquaient.
La base était séparée du territoire qui se trouve à l’est par le puissant rapide fleuve Cuito, sur lequel se trouvait un solide pont. L’armée raciste l’attaqua désespérément ; un avion téléguidé bourré d’explosifs réussit à le toucher et à le rendre inutilisable. Les chars angolais en retraite qui purent se déplacer traversèrent le fleuve par un pont plus au Nord. Ceux qui ne se trouvaient pas dans les conditions adéquates furent enterrés, avec leurs armes dirigées vers l’Est ; une bande dense de mines anti-personnelles et anti-chars transformèrent la ligne en un piège mortel de l’autre côté du fleuve. Quand les forces racistes reprirent leur avancée et se heurtèrent à cette muraille, toutes les pièces d’artillerie et les chars des brigades révolutionnaires tirèrent depuis les points localisés dans la zone de Cuito.
Un rôle spécial était réservé aux chasseurs MIG-23 qui, à près de 1 000 km/h et à près de 100 m d’altitude, étaient capables de distinguer si l’artilleur était noir ou blanc, et tirait sans cesse sur ces derniers.
Quand l’ennemi usé et immobilisé dut battre en retraite, les forces révolutionnaires se préparèrent pour l’assaut final.
De nombreuses brigades angolaises et cubaines se déplacèrent à toute vitesse et à bonne distance vers l’Ouest, où se trouvaient les seules grandes allées d’où les sud-africains lançaient leurs actions contre l’Angola. L’aéroport était à près de 300 km de la frontière avec la Namibie, occupée totalement par l’armée de l’Apartheid.
Tandis que les troupes se réorganisaient et se ré-équipaient, il faut décidé en toute urgence de construire une piste d’atterrissage pour les MIG-23. Nos pilotes utilisaient le matériel aérien livré par l’URSS à l’Angola, dont les pilotes n’avaient pas du temps nécessaire pour suivre l’instruction nécessaire. Les pertes furent importantes, parfois occasionnées par nos propres artilleurs. Les sud-africains occupaient toutefois une partie de la route principale qui conduit du bord du plateau angolais en Namibie. Sur les ponts enjambant le puissant fleuve Cunene, entre le sud de l’Angola et le nord de la Namibie, commencèrent entre-temps les tirs de canons de 140 mm, dont la portée dépassait les 40 km. Le problème principal résidait dans le fait que les racistes sud-africains possédaient, selon nos calculs, entre 10 et 12 armes nucléaires. Elles avaient été testées, en mer ou dans les eaux gelées du sud. Le président Ronald Reagan l’avait autorisé, et parmi le matériel livré par Israël on trouvait le dispositif nécessaire pour faire exploser la charge nucléaire. Notre réponse fut d’organiser le personnel dans des groupes de combat de pas plus de 1 000 hommes, qui devaient se déplacer de nuit sur une vaste portion du territoire, et dotés de véhicules blindés anti-aériens.
Les armes nucléaires d’Afrique du sud, selon des rapports fiables, ne pouvaient pas être chargés sur des avions Mirage, elles nécessitaient des bombardiers lourds de type Canberra. Mais en tout cas, la défense anti-aérienne de nos forces disposait de roquettes qui pouvaient frapper et détruire des objectifs aériens situés à plusieurs dizaines de kilomètres de nos troupes. Additionnellement, un barrage de 80 millions de m3 d’eau situés sur territoire angolais avait été occupé et miné par des combattants cubains et angolais. L’explosion de ce barrage aurait eu un effet équivalent à celui de plusieurs armes nucléaires.
Cependant, une centrale hydro-électrique qui utilisait les forts courants du fleuve Cunene, avant d’arriver à la frontière avec la Namibie, était utilisée par un détachement de l’armée sud-africaine.
Quand sur le nouveau théâtre d’opération les racistes commencèrent à tirer avec des canons de 140 mm, les MIG-23 frappèrent durement ce détachement de soldats blancs, et les survivants abandonnèrent leur poste laissant y compris certaines traces critiques envers leur propre commandement. Telle était la situation quand les forces cubaines et angolaises avancèrent vers les lignes ennemies.
Je savais que Katiuska Blanco, auteur de plusieurs ouvrages historiques se trouvaient sur place, avec d’autres journalistes et reporters. La situation était tendue mais personne ne perdit son calme.
C’est alors que parvinrent les nouvelles que l’ennemi était prêt à négocier. On était parvenu à mettre fin à l’aventure impérialiste et raciste ; sur un continent qui dans 30 ans aura une population supérieure à celle de la Chine et de l’Inde réunies.
Le rôle de la délégation de Cuba, à l’occasion du décès de notre frère et ami Nelson Mandela, sera inoubliable.
Je félicite le camarade Raul pour sa prestation brillante et, en particulier, pour la fermeté et la dignité dont il avait fait preuve quand il a salué le chef du gouvernement des Etats-Unis et il lui dit en anglais :« Monsieur le président, je suis Castro ».
Quand ma santé limita mes capacités physiques, je n’ai pas hésité une seule seconde à exprimer ma préférence sur qui, à mon avis, devait assumer ma responsabilité. Une vie est une minute dans l’histoire des peuples, et je pense que celui qui prend aujourd’hui une telle responsabilité doit avoir l’expérience et l’autorité nécessaire pour faire le bon choix face à un nombre croissant, quasi infini, de variantes.
L’impérialisme aura toujours plusieurs cartes en main pour faire main basse sur notre île, dut-il la dépeupler, la priver de jeunes hommes et jeunes femmes, en lui offrant les miettes des biens et ressources qu’il pille dans le monde.
Qu’ils parlent maintenant, les porte-paroles de l’empire, sur comment et pourquoi a surgi l’Apartheid.
Source : solidarité-internationale