(Lider) – Dans une interview d’une densité remarquable accordée au quotidien camerounais Le Jour, le Pr. Mamadou Koulibaly, président de LIDER, fait un tour d’horizon des problématiques africaines. Déplorant le fait que le personnel politique ivoirien pense quasi unanimement qu’il n’y a pas de place pour la vérité en politique, il démontre la gestion autocratique du pouvoir par Ouattara, dénonce le syndicalisme ethnique et tribal des partis politiques et réitère son plaidoyer pour la sortie du franc cfa, la réforme foncière et l’ouverture des frontières en Afrique.
Vous êtes plutôt régulier au Cameroun ces derniers temps. Vous étiez déjà là une première fois il y a quelques semaines. Peut-on savoir pourquoi ?
MK : La première fois, j’étais invité pour une conférence organisée par la Fondation Paul Ango Ela de géopolitique en Afrique Centrale (Fpae). Le professeur Mathias Owona Nguini m’invitait pour présenter une conférence sur l’émergence en Afrique. Cette fois, je suis là pour des enseignements organisés par LibreAfrique.org, une Ong internationale de formation universitaire. J’ai quitté l’Assemblée nationale et j’ai repris mes enseignements à l’université depuis un an. Je donne mes cours à la faculté et dans le cadre de voyages d’études. Je renoue avec le monde universitaire comme professeur. Ce sont des amis libéraux qui m’ont demandé de venir encadrer des jeunes Camerounais, une trentaine environ, réunis au monastère du Mont Fébé pour parler de la liberté d’entreprise, de la création d’emploi, de croissance économique, des défis et des perspectives pour le continent.
Nous avons lu sur internet l’interview que vous avez accordée à Rfi dans laquelle vous parliez de la situation en Côte d’Ivoire, notamment de la comparution de l’ancien président devant la Cour Pénale Internationale (Cpi) et vous vous étonniez de l’absence de l’actuel président de l’Assemblée Nationale et de l’actuel chef d’Etat. Nous aimerions comprendre pourquoi ?
MK : La logique de la Cpi concernant les conflits en Côte d’Ivoire et ailleurs, a pour principes de ne pas poursuivre tous ceux qui sont soupçonnées de crimes. La Cpi dit qu’elle choisit des personnes qu’elle juge comme responsables au plus haut niveau et ensuite, elle essaye d’établir leur culpabilité pour enfin les juger. En Côte d’Ivoire, il y a eu conflit entre deux camps opposés, et ce pendant plus de 10 ans. Ça n’était pas une guerre civile, mais une guerre partisane. Jusqu’à présent, la Cpi s’est contentée de mettre aux arrêts le chef d’un seul camp. Les responsables et les chefs de l’autre camp n’ont pas été arrêtés. Il y a de quoi s’étonner. Surtout quand on sait que la justice interne en Côte d’Ivoire est au service de la vengeance. Je suis étonné et je continue de m’interroger. Est-ce que la justice internationale est au service de la vengeance ou au service du droit ? Si elle est au service du droit, il serait bien, pour la morale et la politique, que les premiers responsables des deux camps puissent se retrouver devant la Cpi et que les enquêtes puissent porter sur les crimes commis par ces deux camps. D’autant plus que les commissions nationales et internationales ont déjà établi que les deux camps sont responsables de ces crimes. Si cela n’est pas fait, la Cpi se discrédite.
Mais M. Gbagbo est accusé de crimes contre l’humanité et crimes de guerre. Que reproche-t-on à M. Alassane Ouattara et M. Guillaume Soro ?
MK : M. Gbagbo était le président de la République et chef d’Etat en exercice au moment de la crise. La question que la Cpi se pose est de savoir si, oui ou non, il a orchestré des crimes contre le camp de ses adversaires ? Est-ce qu’il a payé des gens, est-ce qu’il a envoyé des gens pour aller tuer ? La dernière fois qu’ils ont traité la question, les juges ont demandé au procureur : Donnez-nous les preuves de culpabilité pour Gbagbo, mais n’oubliez pas celles qui culpabilisent aussi les adversaires de Gbagbo. La question était de savoir ce que faisait le camp anti-Gbagbo au moment où ce dernier était soupçonné de commettre des crimes ? Que faisaient les hommes de Ouattara ? Une commission d’enquête nationale mise sur pied par Ouattara lui-même a établi que ses hommes sont aussi responsables des crimes contre l’humanité, de crimes de sang et de crimes économiques. Cette commission nationale a été mise sur place par Ouattara et jusqu’à présent, les conclusions de son rapport n’ont pas été tirées. Les grandes Ong internationales qui se battent pour les droits de l’homme, que ce soit Human Rights Watch ou Amnesty International, ont établi que les crimes commis en Côte d’Ivoire ne sont pas les faits d’un seul camp. Je me fonde sur toutes ces conclusions pour dire que la Cpi, qui est là non pas pour seulement juger les gens, mais également pour établir le droit, corriger les injustices et faire en sorte que les victimes soient compensées du point de vue du droit, ne peut pas fermer les yeux sur ces questions éthiques. Je me demande pourquoi jusqu’à présent, malgré toutes les enquêtes, il y n’y a qu’un camp qui soit inquiété. Peu importe ce qui va arriver après, que les enquêtes disent que Gbagbo est innocent n’enlèvera rien au commentaire que je fais. Que les enquêtes nous disent qu’il est coupable ne changera rien au principe de justice qui se pose à moi.
Est-ce que vous pensez que la non-comparution de l’autre camp pourrait être une source d’instabilité pour la Côte d’Ivoire ?
MK : D’abord, la première conséquence serait sur le plan moral. La non comparution de l’autre camp, sur le plan moral, tendrait à laisser croire au monde entier et surtout aux Africains, que la Cpi s’est mise au service de la vengeance du camp qui est au pouvoir en Côte d’Ivoire. Deuxièmement, si la Cpi ne punit qu’un seul camp pour le compte de l’autre, il n’y a pas de raison pour que ce camp, qui se voit ainsi investi de privilèges de crimes impunis, ne commette pas de nouveaux crimes à la prochaine élection, puisqu’il sait qu’il n’en découlera aucune sanction. La Cpi aura été un vecteur de promotion de l’impunité et la crainte est qu’en 2015, le camp Ouattara commette de nouveaux crimes. Or, en 2015 il est évident que l’opposition ivoirienne, tous ceux qui pensent que Ouattara ne devrait pas avoir un second mandat, vont se présenter contre lui. Si la justice internationale veut que la démocratie soit instaurée en Côte d’Ivoire, il y a des raisons de corriger ce qui se passe en ce moment. C’est beaucoup moins la réconciliation qui est en jeu, que la justice. Si on ne veut plus de démocratie en Côte d’Ivoire, on peut maintenir le statu quo, mais il ne faut pas venir ensuite dire que les Africains ne sont pas matures pour la démocratie, quand toutes les incitations les encouragent à faire autre chose.
A propos de démocratie, il y a eu des élections législatives quelques temps après. Quel est le regard que vous posez sur l’état de la démocratie en Côte d’Ivoire?
MK : Il y a eu des élections, mais il n’y a pas eu démocratie. Il y a eu des élections, au sens où des candidats de différents partis politiques se sont affrontés lors des joutes électorales. Mais la démocratie, ce n’est pas que les élections. La démocratie c’est l’Etat de droit. Est-ce que la liste électorale était mise à jour ? Non. Est-ce que la commission électorale était légitime et légale ? Non. Est-ce que les conditions qui avaient été proposées pour des élections inclusives, transparentes telles qu’elles ressortent de la résolution 2062 du conseil de sécurité des Nations unies ont été respectées ? Non. Est-ce que la constitution et les lois ont été respectées ? Non. Mais comme le président Ouattara peut faire tout ce qu’il veut sans que quiconque dans le monde ne lui fasse des reproches, il a fait ce qu’il voulait. De là à dire qu’il y a démocratie en Côte d’Ivoire il y a un pas que l’on ne franchira pas. On ne peut pas dire qu’on est en démocratie.
Pensez-vous qu’on puisse concilier la nécessaire réconciliation des Ivoiriens et la recherche de la vérité ? En ce moment, il y a cette volonté de réconcilier les Ivoiriens après tous les événements qui se sont produits. Mais en même temps, il y en a qui pensent qu’il faut privilégier la vérité. D’après vous, quelle est la bonne formule ?
MK : Je pense qu’on ne peut pas faire de réconciliation sans justice et sans vérité. On ne peut obtenir la justice sans vérité. Qui a fait quoi pendant cette crise? Si cette vérité est établie, si les bourreaux sont connus, les victimes connues, les coupables aussi et que la justice, se fondant sur ces vérités, sanctionnent les uns et soulage et répare les autres, les victimes auront le sentiment que leurs peines ont été entendues par la société. Elles auront le sentiment que la Côte d’Ivoire, l’Afrique et le monde ont bien pris acte de leurs souffrances et ont corrigé les conséquences de cette souffrance. Maintenant, il revient à la société, une fois cette correction faite, de gracier les bourreaux ou de leur pardonner. En ce moment-là, bourreaux et victimes peuvent entrer ensemble dans la réconciliation. Mais si le bourreau a le sentiment qu’il n’a rien fait, il va se complaire dans l’impunité et l’arrogance. Si la victime a le sentiment qu’elle a été violée dans ses droits et dans la propriété mais qu’ensuite, personne ne s’est intéressé à son cas, elle restera longtemps dans une logique de frustration, de vengeance, de haine, qui sont sources de nouveaux conflits et de nouvelles crises à venir. Je pense qu’il faut commencer par la vérité. Mais en Côte d’Ivoire, le personnel politique, les partis politiques et leurs leaders, estiment que la vérité n’a pas sa place en politique. Il y a une quasi-unanimité là-dessus sauf à LIDER. Nous refusons cette option.
Dans cet environnement, comment est-ce que le parti politique dont vous êtes le président, Liberté et Démocratie pour la République, déploie ses activités ?
MK : Dans un premier temps, nous avons commencé par dire au gouvernement qu’il faut que nous ayons un cadre de dialogue. Il faut que le gouvernement et l’opposition se parlent. Et ce cadre de dialogue a été mis en place il y a déjà un peu plus d’un an, en avril 2012. Les partis de l’opposition et les partis du gouvernement se réunissaient et travaillaient en priorité absolue sur un statut de l’opposition. Pour que le gouvernement ne confonde pas, en Côte d’Ivoire, les opposants à des assaillants, à des putschistes, à des terroristes, mais que l’opposant soit reconnu comme opposant et qu’on respecte son statut qui est de critiquer le gouvernement, de proposer des alternatives, de challenger les détenteurs du pouvoir à la prochaine élection pour prendre en main la gestion du pouvoir. Sans ce statut, l’opposition ivoirienne est présentée comme un groupe qui insulte le président Ouattara, qui veut sa place. L’opposition n’est pas un groupe, mais une position politique qui consiste à ne pas être d’accord avec le gouvernement du pays et à se constituer en alternative. On ne peut pas construire une démocratie s’il n’y a pas une opposition. Ce statut a été rédigé, adopté par les membres du cadre permanent du dialogue, mais le président Ouattara y a mis un veto. Il préfère réunir les députés en session extraordinaire pour leur demander de lui attribuer les pleins pouvoir, leur demander de ratifier des textes vieux de 50 ans. Il préfère les réunir pour modifier le statut de la famille plutôt que de donner un statut à l’opposition. Nous avons aussi travaillé, dans ce cadre-là, au financement des partis politiques. Parce qu’il est incompréhensible que depuis les accords de Marcoussis, il était prévu que les partis politiques obtiennent des financements, que dont Ouattara lui-même a bénéficié dans l’opposition; à savoir 500.000.000 de francs Cfa par an pour le financement de son parti et qu’une fois au pouvoir, il verrouille le système et qu’il se finance tout seul, puisqu’il reste encore président de son partie, parfaite violation de la Constitution. Il se finance, il finance son parti et sa coalition au pouvoir et il étouffe l’opposition en se disant : Si ces individus manquent d’argent, ils seront obligés de se mettre à genou devant moi. Nous avons jugé qu’il faut mettre en place un système nouveau et juste de financement des partis politiques. Le président Ouattara a mis un véto là-dessus. Nous avons aussi, dans le cadre de ce dialogue avec le gouvernement, discuté des perspectives des prochaines élections. Nous sommes tombés d’accord que la commission électorale en place avait fini son mandat avec les élections législatives. Conformément aux accords de sortie de crise, le président Ouattara a été prié de changer la commission électorale et de faire établir soit une commission administrative indépendante, constituée de personnes qui seraient issues de la société civile, il a refusé. Nous lui avons suggéré de mettre en place une commission alternative, qu’on ne qualifierait plus d’indépendante, mais qui serait constituée des partis de l’opposition à 50% et des partis au gouvernement à 50%, il a encore refusé. Il a fait les élections municipales et régionales avec la même commission électorale totalement forclose. Et sans une véritable commission électorale, il est difficile d’envisager des élections transparentes dans l’avenir, parce que celle qui est en place n’a pas, depuis sa mise en place, pu organiser une seule élection qui ne se soit terminée par la violence, les morts d’hommes, la tricherie, la contestation des résultats et des conditions du vote. En outre, dans le cadre des discussions avec le gouvernement, nous avons souhaité que la liste électorale puisse être mise à jour avant d’aller aux élections municipales et en vue de préparer les élections présidentielles de 2015. La liste électorale actuelle avait été confectionnée en 2009 pour les élections de 2010. Entre 2009 et 2015, de nombreux jeunes auront atteint l’âge de voter. En Côte d’Ivoire, on vote à partir de 18 ans. Depuis les massacres, nous lui avons dit de prendre le temps calmement d’enregistrer sur les listes tous ces jeunes qui vont voter en 2015, de corriger la liste électorale en enlevant le nom de ceux qui sont morts, d’y intégrer les vivants qui ont été exclus des précédentes listes. Ainsi, à 40 mois des élections il y a moins de pression pour que les listes sont mises à jour. Nous lui avons dit de ne pas attendre sept mois avant les élections pour confectionner une liste dans la précipitation et sous la pression du temps et des tensions politiques. Le président Ouattara a mis le veto là-dessus. Devant tous ces refus, nous ne savons plus quoi faire. On se réunit au Cpd, de temps à autre, juste pour la photo de famille. Les décisions qui y sont prises avec les différents premiers ministres, les travaux des commissions qui ont été mises en place sont adoptés à l’unanimité et restent sans suite dès qu’elles arrivent chez Ouattara et cela malgré la bonne foi affichée des premiers ministres. A titre personnel, nous lui avons fait part de la nécessité d’appliquer la loi qui donne un statut à l’ancien président de l’Assemblée nationale et aux anciens présidents d’institution. Ils ont demandé que nous fassions des dossiers, ce qui a été fait. Au final, il a mis le pied dessus. Le président Ouattara ne fonctionne pas comme un démocrate, mais plutôt comme un autocrate. Mais il prétend avoir avec lui le soutien de la «communauté internationale». Qu’est-ce qu’on peut y faire ? LIDER continue son plaidoyer et son implantation aussi bien dans le pays qu’à l’extérieur de la Côte d’Ivoire.
Ceci ressemble à une impasse et justement, qu’envisagent les leaders de votre parti devant cette situation de blocage ?
MK : Nous lui ferons savoir dans les jours qui viennent que si les textes qui sont déjà arrangés, le statut de l’opposition, le financement des partis politiques extraparlementaires, la mise à jour de la liste électorale, la révision de la commission électorale et l’application de la loi sur le statut des anciens présidents d’institutions ne sont appliqués, nous ne verrons plus pourquoi nous irons perdre notre temps dans des réunions avec le gouvernement. En dehors des photos de famille qui donnent le sentiment à l’opinion que le gouvernement et l’opposition discutent, rien n’avance en réalité. Il n’y a plus de bonnes raisons que nous continuions de participer à ce genre de réunion. Nous y perdons du temps que nous pourrions consacrer à l’implantation de LIDER à l’intérieur du pays. Nous pourrions consacrer ce temps à aller expliquer aux populations pourquoi il faut sortir de la belligérance, pourquoi il faut rentrer maintenant dans la réconciliation, mais dans un format qui n’est plus celui de Ouattara. Sa réconciliation, il faut qu’il la fasse avec ses adversaires. Nous, notre réconciliation c’est d’amener les Ivoiriens à prendre conscience qu’il ne sert à rien de militer dans des partis politiques pour des raisons ethniques ou tribales et qu’il y a des urgences sur des questions de gestion de la terre en milieu rural, de l’emploi des jeunes, sur les questions électorales et sur celles de la nationalité mal traitées par le gouvernement, qu’il nous faut régler.
Est-ce la raison pour laquelle vous avez choisi de partir du Fpi ?
MK : C’est un autre débat qui n’a vraiment plus d’importance à mes yeux. Les dirigeants du Fpi ont jugé que je ne leur servais plus à rien et moi j’ai jugé que je pouvais toujours servir la Côte d’Ivoire et l’Afrique.
Vous parliez tantôt de l’installation du parti à l’intérieur du pays. Est-ce que vous ne pensez pas plutôt qu’il fallait commencer par avoir une affiche nationale pour avoir un électorat fort et discuter avec le gouvernement ? N’est-ce pas votre fragilité qui fait en sorte que le camp Ouattara refuse de vous recevoir ?
MK : Le parti n’a que deux ans et nous n’avons pas encore une couverture nationale complète. Nous sommes certes en progression constante, mais loin d’avoir des bases un peu partout. Peut-être que vous avez raison : Ouattara n’aime et n’est impressionné que par les partis qui peuvent se présenter à lui avec des bases partout, c’est possible. Notre gros désavantage, nous dit-on, c’est que nous ne sommes pas un parti politique fondé sur une base ethnique ou tribale, ce qui n’est pas le cas des autres. Ça donne l’impression que comme Koulibaly n’est pas adossé à un groupe tribal ou comme il n’est pas leader d’un groupe régional, son parti est faible. C’est peut-être notre grosse faiblesse, mais aussi notre principal combat : faire en sorte que les partis en Côte d’Ivoire ne soient pas des syndicats d’ethnies ou de tribus. Chaque fois qu’un homme politique dit qu’il y a du monde derrière lui, il pense à sa base dite sociologique, c’est-à-dire tribale, ethnique, clanique, régionale. LIDER n’est le porte-parole d’aucun groupe ethnique, d’aucun village en particulier. Nous, nous voulons un parti fondé sur cette nouvelle vision de la Côte d’Ivoire moderne dans laquelle on ne fait pas la politique pour son ethnie, mais pour toutes les populations. Notre engagement est idéologique. Nous avons identifié les problèmes transversaux des populations et nous venons pour rassembler et moderniser le pays avec la politique. Les autres utilisent la politique afin de diviser pour régner. Nous ne voulons pas de règne, mais de la prospérité pour les habitants de ce pays.
Nous avons parcouru les différentes revendications que vous avez adressez au gouvernement dans le cadre du statut de l’opposition, son financement, la commission électorale, la question des listes électorales. C’est à peu près les mêmes questions qui reviennent ici au Cameroun. Finalement, quelle est la solution ? Parce qu’ici au Cameroun aussi, il y a comme un blocage du pouvoir en place face à ces revendications qui sont récurrentes. Pour l’intellectuel que vous êtes, quelle peut être la solution pour sortir de ce blocage ?
MK : La première solution pour l’intellectuel, c’est le plaidoyer. Quand je viens au Cameroun, j’identifie bien la similitude des problèmes. Il faut continuer de plaider. Il ne s’agit pas du problème des Ivoiriens ou du problème des Camerounais, il ne s’agit pas des problèmes des gouvernements et des opposants. Il s’agit des problèmes de l’élite africaine tout court. Est-ce que nous sommes prêts, en tant qu’élite, de passer de la phase du multipartisme instauré dans les années 90, à la phase de la démocratie, qui rend nos peuples capables de nous demander des comptes et qui nous oblige à rendre compte à notre peuple ? C’est plus un problème pour nous qu’un problème entre nous et d’autres. Jusqu’à présent, je n’ai pas de réponse et j’avoue que le plaidoyer doit continuer. Il faut que nous puissions être nombreux dans tous les pays à le faire, ce n’est pas le problème d’un seul pays, mais le problème des élites africaines. Mais en même temps, ceci concerne le politique que je suis aussi. Est-ce que les élites peuvent accepter ce plaidoyer s’il n’y a pas une contrainte suffisamment forte sur elles qui les amènent à l’accepter ? Est-ce que les élites sont arrivées au respect des droits de l’homme sans qu’il n’y ait eu de fortes contraintes sur elles ? Il me semble que nous devons organiser des plaidoyers, non pas pour faire la politique et pour gagner des élections, mais pour donner des droits à nos populations. Des droits pas politique seulement, mais des droits de propriétés, afin que les populations aient des intérêts à défendre. Si nous admettons qu’il n’y a pas d’actions sans intérêts, si nos populations ont des droits de propriété sur leurs terres, si elles sont capables de dire, moi je vote pour tel parti politique ou bien pour ceux qui vont défendre ma propriété, alors en ce moment-là, les élites seront bien obligées de respecter les droits des populations. Il ne s’agira plus de droits politiques, mais plutôt de droits économiques, des droits de survie. Je suis agriculteur, je suis paysan, j’ai cinq hectares de terres. Si vous arrivez à faire le cadastrage des terres du Cameroun, de Côte d’Ivoire et d’ailleurs et que vous me donnez le titre foncier sur mes cinq hectares, je pourrai désormais, avec mes titres fonciers, par les moyens de l’hypothèque, accéder au crédit bancaire pour faire des investissements agricoles. Et quand le vote arrivera, je vais choisir l’homme politique qui est capable de faire en sorte que les taux d’intérêt sur mon crédit bancaire soient favorables à la rentabilité de ma terre. Je choisirai le parti dont la politique fera que les prix des produits agricoles arrangeront mon agriculture. Je voterai pour que les politiques économiques améliorent le rendement de mon titre foncier, de mon patrimoine, de mes revenus, de ma retraite. Quand nous n’offrons pas ces opportunités à nos parents paysans et cultivateurs de terres, nous n’écoutons que notre égo. Je veux être président, je veux être ministre, je veux le pouvoir, à la limite je serais prêt à écouter et à avoir plus peur d’un bailleur de fonds, créancier quelconque et lointain qui me prête de l’argent, que du peuple qui est juste à ma porte et pour lequel je prétends travailler mais que je traite comme mon esclave. Parce que le bailleur de fonds a des intérêts à défendre, je suis prêt à m’engager à protéger ses intérêts, mais pas les intérêts du peuple qui lui n’a pas de propriété, n’a pas de titres fonciers. Nous devons donner la propriété privée des moyens de production à nos populations, démocratiser la propriété pour démocratiser les Etats et donner leur envol à nos pays.
La question de la redistribution des terres semble être l’une de vos préoccupations qui revient à chaque fois que vous prenez la parole. Comment cela va se passer ? Vous pensez que l’Etat doit rétrocéder des terres ?
MK : Absolument. Il n’y a pas de raison qu’après les indépendances, l’Etat post colonial reprenne les prérogatives de l’Etat colonial. Je peux bien comprendre qu’avant les indépendances, les territoires du Cameroun, de Côte d’Ivoire, de RDC, du Sénégal ont été propriété de la couronne de France ou de Belgique. Nous étions propriété des empires coloniaux, nos terres, nos sous-sols, nos rivières, nos forêts, nos montagnes l’ont également été. Mais, au moment des indépendances, l’Etat colonial français s’est retiré et l’Etat moderne africain s’est mis en place. Le premier devoir du colon a été de nous rendre notre pays par un jeu de transfert de compétence. Le premier devoir de nos Etats aurait été de dire : «Comme le colon est parti en nous laissant nos terres, maintenant, populations du pays, venez récupérer vos terres. Vous avez 300.000 à 500.000 km² de terres. Moi, l’Etat post colonial, je fais le cadastrage de toutes les terres avec les géomètres, je fais le lotissement des brousses du pays. De la même façon que les villes de Douala, d’Abidjan, de Bamako sont loties, de la même façon les terres en milieu rural du Cameroun, de Côte d’ivoire, du Mali et d’ailleurs devraient être loties. On va faire des servitudes, des routes, des remembrements. On fait des précisions de vos droits sur vos lopins de terres et on vous les rend». Au lieu de dire simplement «de la rivière à la colline c’est ma terre», on dira avec des coordonnées précises «voilà les bornes de mon champ». Evidemment, pour aller dans mon champ, je ne serais plus obligé de passer dans le champ du voisin. Dès que le cadastrage est fait, une fois que les titres fonciers sont élaborés, il faut qu’on les donne directement aux propriétaires à titre gracieux, parce que nos Etats, depuis 50 ans, ont suffisamment exploité les propriétaires de ces terres là pour ne pas avoir l’outrecuidance de leur demander aujourd’hui de payer quoi que ce soit ! L’Etat fait un guichet unique, où les ministères des eaux et forêts, de l’agriculture, de la justice, des finances et de la sécurité sont représentés et où l’on signe tout de suite le titre foncier. On passe dans chaque village pour faire une audience populaire, chaque villageois est capable de dire voilà mon lopin, on se met d’accord et les titres sont attribués. Cela va mettre en branle une dynamique dans la population, créer des emplois pour faire les routes, stabiliser les pays. On n’aura plus besoin de se battre pour des lopins de terres, mais chacun sera propriétaire d’un titre foncier et puis chacun aura la liberté de commercer avec ces terres. L’on mettra en place un système de marchés hypothécaires. L’Etat lui-même va gagner énormément d’argent, même s’il se contente de prendre un impôt foncier de 1 franc Cfa par m² par an. Ainsi, sur un hectare soit 10 000 m², c’est 10.000 francs Cfa que le propriétaire payera comme impôt. Ceux qui ont 50 hectares paieront plus. Et si l’on multiplie cela par 200.000 hectares, l’Etat s’en sort avec 2.000 millions supplémentaires de recettes fiscales, cela apparaît dans son budget et donne des moyens supplémentaires pour le remboursement de la dette, la construction d’infrastructures, le financement de l’éducation et de la santé. Pour un pays qui fait 400 000 km², vous n’avez qu’à faire vos calculs de conversion en hectares, puis en m² et en francs cfa pour apercevoir le gigantesque capital qui dort dans nos différents pays et qu’il nous faut réveiller de toute urgence. Evidemment, cela va demander que l’Etat accepte de faire des guichets uniques, que les magistrats et les ministres chargés aillent partout dans le pays. Finis les conflits fonciers, finis les accaparements des terres. Aujourd’hui par exemple, l’Etat se dit propriétaire de toutes les terres. Quand un gros investisseur international arrive et propose 30 milliards de francs Cfa pour la création de 200 000 hectares de riz dans le nord, le sud et l’est du pays, c’est l’Etat qui décide de mettre à la disposition de 200 000 hectares à l’investisseur étranger. Mais les 200 000 hectares qu’on met à sa disposition appartiennent aussi aux gens qui habitent le territoire. Comment est-ce que l’on gère le conflit entre l’investisseur étranger, qui vient avec 30 milliards, et la famille paysanne qui est dans la brousse et qui a les 30 hectares de terres que l’Etat lui arrache pour les mettre à la disposition de l’investisseur étranger? C’est une affaire de morale, c’est une affaire d’éthique, de liberté. Si nous arrivons à régler ce problème économique, alors cette famille-là, avec son titre foncier, pourra demander des comptes non pas, sur le plan ethnique, pour son cousin qui est député, non pas pour le président qui est de la même région que lui, mais simplement parce que qu’elle pourra voir les rendements du maïs semé sur sa terre. Le paysan qui prend un crédit bancaire pour faire son champ de maïs se sent concerné par le taux d’intérêt que l’Etat fixera et qui l’arrangera ou pas. Nos paysans vont devenir des entrepreneurs agricoles sur leurs terres. Ils pourront défiler et manifester comme des exploitants, pas pour soutenir un parti politique parce que le leader est venu leur donner des tee-shirts, mais pour soutenir une politique favorable à leurs intérêts, à leur patrimoine foncier, à leur épargne sur le marché financier. C’est une politique agrégée, complète et tous les pays développés passent par là. Souvenons-nous : la propriété, c’est l’envol.
Restons en économie pour parler de la question de la souveraineté monétaire. Est-ce que votre position à évolué aujourd’hui avec tout ce qu’il y a eu comme crise financière mondiale ? Restez-vous sur la même position ?
MK : Ma position reste la même, c’est celle des autres qui est en train d’évoluer. A l’époque, je le disais, mais je semblais prêcher dans le désert. Aujourd’hui, j’entends la commission de la Cedeao et celle de l’Union africaine dire que bientôt, il va falloir que les pays africains évoluent vers des monnaies sous-régionales. C’est une évolution considérable. Si le Cameroun, le Gabon, le Tchad et autres doivent aller vers une monnaie unique, intégrée en Afrique Centrale, se signifie que le franc Cfa qui devrait disparaitre. Si, au niveau de l’Afrique de l’Ouest, le Nigeria, le Ghana, la Côte d’Ivoire doivent aller vers une monnaie unique, ce ne sera pas avec le franc Cfa. On évolue, mais cette évolution reste encore lente, parce que les pays qui utilisent le franc Cfa ont peur de l’aventure. Ils se disent : «On va renoncer à une branche qu’on tient pour une branche qui nous promet la monnaie d’Afrique centrale, d’Afrique de l’ouest. Nous ne voulons pas lâcher la proie pour l’ombre. Qu’est-ce qu’on va devenir ?» Ce qu’il faut pour l’évolution monétaire, c’est d’expliquer que les procédures existent, la Cour internationale de Justice existe à La Haye, même si les Africains connaissent mieux la Cour pénale. Nous avons signé des accords de coopération avec la France dans les années 60, qui établissent le compte d’opérations, les accords de coopération monétaire, le pacte colonial. Aujourd’hui, de nombreuses personnes au Cameroun, au Gabon, au Tchad, en Guinée Equatoriale, au Sénégal, en Côte d’Ivoire, aussi bien des chefs d’Etat que des nouvelles générations de citoyens, trouvent incompréhensibles ces accords de coopération. Ce que je fais maintenant, c’est de leur expliquer que, si ces accords ne sont plus évidents pour nous tous, il y a la procédure de dénonciation qui existe. La dénonciation des traités internationaux, la dénonciation des conventions internationales, des accords internationaux. Vous prenez un avocat et vous vous plaignez devant la Cour internationale de justice, vous dénoncez ces accords et vous vous libérez de ces accords léonins et puis vous organisez une monnaie africaine qui serait commune à la Côte d’Ivoire et au Cameroun, à l’Afrique de l’ouest et du centre, qui serait gérée par une banque centrale indépendante des Etats, des politiques nationales, qui va se fonder sur des économies qui sont relativement performantes aujourd’hui. Je me bats pour convaincre de plus en plus d’Africains que cela est possible et faisable. C’est ce que je plaide maintenant. Je crois que de plus en plus des gens commencent à se dire oui, on doit pouvoir faire autre chose, alors qu’il y a 20 ans, elles se disaient choquées par ces propositions. Les idées avancent bien.
Nos pays semblent tournés vers l’émergence qui est devenu un concept. Au Cameroun c’est 2035, au Gabon c’est 2025. Pour vous, quelles sont les conditions pour que nos pays accèdent à l’émergence, en dehors de la demande du cadastrage et de la rupture avec les monopoles locaux ou étrangers ?
MK : Ce sont des conditions nécessaires pour la vie en société. Si on veut être émergent, il faut d’abord savoir que l’émergence passe par les marchés des capitaux. C’est la première étape. Si vous n’avez pas de marché de capitaux, des marchés financiers, vous ne pouvez même pas prétendre à l’émergence. Parce que le fond du concept de l’émergence, c’est d’abord l’émergence des marchés financiers. Quand on dit qu’un pays est émergent, c’est qu’il a pu faire émerger des marchés financiers. Deuxièmement, c’est que ce pays a pu mettre en place l’économie de marché. Si nous voulons aller à l’émergence, mettons en place la structure de l’économie des marchés et créons des marchés des capitaux dans nos pays. Les marchés de capitaux sont des marchés dans lesquels les gens peuvent venir déposer leurs épargnes et où l’on prête ces épargnes aux personnes qui souhaitent faire des investissements. Dans les pays africains, il n’y a pas de marchés de capitaux, il n’y a pas de marché financiers. Or, l’émergence est aussi le travail des investisseurs directs étrangers. Un investisseur direct étranger qui vient avec 1 milliard, 200 milliards de francs Cfa ou 50 millions de dollars, il faut qu’il trouve des partenaires d’affaires, des partenaires financiers, des personnes avec lesquelles il se mettra en accord pour investir en joint-venture. C’est à ça que sert un marché financier. A côté de ces deux marchés, il y a la justice, la sécurité et un Etat de droit, tout ceci bien sûr avec la ferme volonté mettre de l’ordre au sein des populations et qu’elles ne soient plus des esclaves pour nos Etats qui manipulent les tribus et les ethnies, mais qu’elles deviennent des individus indépendants et de plus en plus libres.
Vous proposez très souvent l’ouverture des frontières…
MK : Je pense que l’émergence dans nos pays n’est pas possible si nous maintenons nos frontières telles qu’elles sont aujourd’hui. Pour aller d’un pays à un autre, il y a des tracasseries, des modalités inutiles et des formalités compliquées mais pas favorables à l’émergence. Et qui dit émergence, dit échanges libres, commerce libre, libre circulation des biens, des capitaux et des marchandises. Mais si nous avons des procédures de cartes de séjour, de visas, des procédures de circulation et d’implantation pour nos populations, alors que nos chefs d’Etats eux n’ont pas ces contraintes, cela rend l’émergence plus incertaine. Les chefs d’Etat vont de capitale en capitale sur des tapis rouges. Nous avons fait l’intégration des Etats, des sommets des chefs d’Etats, mais nous n’arriverons jamais à faire l’intégration des peuples s’il n’y a pas de libre circulation de ces peuples. Si on veut faire l’intégration des peuples, il faut lever toutes les barrières causées par les frontières. Quand on est dans une union monétaire et qu’on veut une union douanière et économique, les populations doivent pouvoir circuler sans entraves entre les pays membres de cette union. Nous en sommes encore un peu loin en Afrique, d’où mon plaidoyer continuel.
Vous ne pensez pas que l’ouverture de ces frontières exposerait nos économies encore faibles ?
MK : Au contraire, ces ouvertures vont sauver nos économies. Remarquez que nous ne sommes pas fermés par rapport aux économies européennes, elles peuvent tout faire dans nos différents pays si elles le veulent. Nous sommes souvent fermés à nos voisins immédiats. Nous avons trop de barrière entre nous. La puissance de l’économie chinoise, de l’économie américaine, de l’économie européenne vient d’abord du marché que ces économies constituent. Si nous avons nos populations de 20 millions un peu partout et que nous nous disons qu’ensemble, nous avons un marché de 400 millions en Afrique par exemple, cela ne peut être vrai que si ces hommes et ces femmes sont librement en mouvement dans le territoire. Si chacun est maintenu captif dans son enclos national, ce n’est pas du tout un marché, c’est un parc. On ne peut pas garder ces barrières là parce qu’elles sont totalement incompatibles avec l’émergence.
Depuis déjà 50 ans, il y a ce discours sur le bien-fondé de l’intégration. Récemment encore, il y a eu des regroupements dans la zone Cemac où de nouveaux engagements ont été pris. Est-ce qu’on va vraiment y arriver un jour ? Qu’est ce qui fait blocage ?
MK : Si on reste sur les anciens schémas, on n’y arrivera pas, parce qu’il s’agit de superpositions d’entités nationales. Chaque pays se dit indépendant et se montre jaloux de sa souveraineté nationale. Si on reste dans cette logique, jamais on n’y arrivera. Les Africains se sont dit qu’il fallait suivre les modèles de l’Union européenne. Les Européens ont créé l’Union, on a nous aussi créé nos Unions. Ils ont créé la monnaie unique, certains Africains francophones disent qu’on a déjà créé notre monnaie unique, pendant que d’autres savent qu’elle reste encore à créer. Les Européens ont créé une commission de l’Union, on a créé la commission de la Cemac, celle de la Cedeao, celle de Uemoa et celle de l’Union Africaine. Ils ont créé un parlement, on a aussi un semblant de parlement communautaire en Afrique. Mais quand vous voyez les articulations et les contenus de ces commissions et parlements, vous vous rendez compte que si les appellations sont pareilles, les contenus sont différents. Pour changer la logique de ces intégrations, il faut commencer par voir la base institutionnelle qu’il y a derrière. L’Union européenne a été créée sur la base des traités que tous les pays, selon leurs Constitutions, ont consulté leurs peuples avant la ratification. Il y a eu des référendums pour l’application du traité de Maastricht. Combien de pays africains ont fait un référendum pour adopter les différents traités dont vous parlez ? Aucun. L’Union européenne a été créée sur la base de la démocratie. Ne peut être membre de l’Union que les Etats qui montrent qu’ils sont désormais tournés vers la démocratie. C’est ainsi que la Grèce, l’Espagne, le Portugal ont été obligés de passer par les étapes de démocratisation avant de rejoindre l’Union. Cette condition existe-t-elle dans nos Unions ? Prendre l’appellation c’est bien, mais le contenu est plus important. Le parlement européen existe. Nous faisons un parlement africain, mais combien de fois y a-t-il eu élection dans les pays africains pour désigner nos députés qui vont siéger dans les parlements internationaux ? Jamais. En Europe, il y a des élections claires qui distinguent le parlement national du parlement européen. Ces deux élections permettent de mettre en place les instances qui vont décider des questions nationales et celles communes aux pays de l’Union. On n’a pas ce type d’élections en Afrique. La commission de l’Union européenne co-gère l’Union avec le parlement. En Afrique, les commissions sont hyper puissantes par rapport aux parlements. Et quand l’Union européenne dit quelque chose, les pays s’y conforment parce que les peuples vont adhérer. Ici, que ce soit en Afrique centrale, en Afrique de l’ouest ou à l’Union africaine, les commissions, les sommets des chefs d’Etats peuvent dire des choses, mais aucun pays ne s’y conforme. Si nous voulons donner de la force à nos décisions, nous serons obligés de suivre ce que nos peuples voudront. Si nos peuples n’ont rien, ne sont propriétaires de rien, ils ne peuvent pas avoir de voix ; s’ils n’ont pas de voix, nous allons continuer à signer des accords pour ne pas les respecter et les populations en souffriront. Et comme nous n’arriverons pas à lutter contre le chômage, à avoir des infrastructures nécessaires pour fournir de l’eau et de l’électricité aux populations, à construire des infrastructures sanitaires, nous resterons toujours comme nous sommes et le monde n’aura pas beaucoup de considération pour nous.
Interview réalisée par Jules Romuald Nkonlak et Claude Tadjon |
Source : Le Jour – Cameroun (23 octobre 2013)