Un regard audacieux et lucide au nom de la nécessité d’un renouvellement

acafou

A Zacharie Acafou, l’Afrique des lettres de ces dernières années doit beaucoup. Cet universitaire est un lecteur et chroniqueur littéraire à l’affut de toutes les nouveautés dans les librairies. Publiés dans l’hexagone ou sur le continent noir, la plupart des livres passent à son étamine. Il a été tel le bâton de l’éducateur qui par amour guide et redresse, telle une lueur mystique qui permet la découverte des discrets trésors voilés aux yeux du non-initié. Plusieurs années à éplucher des livres donnent forcément du coffre et de l’audace. Ainsi publier un essai portant sur la littérature africaine est l’aboutissement normal du parcours de ce passionné du livre.

« Littérature africaine d’expression française : un grand cadavre à la renverse suivi de Chroniques » son ouvrage, est à la fois un témoignage et une interrogation sur la production littéraire des Africains. Il articule deux livrets qui se complètent et s’éclairent mutuellement. Le premier est une réflexion, une exégèse sur la littérature africaine d’expression française et le second un recueil de chroniques dans lequel l’auteur propose sa lecture d’une brochette de livres d’origines africaine. De ces 55 chroniques se révèlent la passion d’un homme pour les lettres de son terroir et la rigueur du regard d’un analyste « maître de ses émotions ». De ce fait, la seconde phase de son ouvrage peut être considérée comme la justification de la pertinence du regard que l’essayiste porte sur la littérature africaine dans le premier.

Zacharie Acafou en s’engageant à penser cette littérature poursuit le travail des devanciers dans le domaine. Il met à porter d’yeux le cheminement de la production littéraire africaine avec ses différentes étapes et ses grands traits. A chaque tournant d’une aventure comme celle de la littérature africaine, il faut des pauses, pour jauger du chemin parcouru. Ces brefs arrêts sont l’œuvre des essayistes et autres exégètes dont le rôle est de dresser un bilan, un diagnostic et même proposer une thérapie. C’est dans cette voie qu’il faut inscrire le livre de l’essayiste ivoirien.

acafou-livreCet ouvrage pose de fécondes problématiques tout en suscitant des pistes de recherches qui pourraient contribuer au renouvellement de cette littérature. De la lancinante question de langue aux rapports « ambigus » que la production littéraire africaine entretient avec les littératures coloniales en passant par les théories de Jacques Chevrier sur ce qu’il a appelé « la migritude », Zacharie Acafou avec une audace louable bouscule des convictions établies, et porte « la cognée dans le bois mort ». Certes la question du rapport des créateurs africains et la langue n’est pas nouvelle, mais sous la plume d’Acafou elle prend une dimension plus lucide et plus pressante : « Les écrivains africains d’expression française » doivent porter « un regard différent sur la langue, en la réinventant constamment, afin de créer leur propre langue d’écriture ». Il faut « faire fonctionner la langue française de façon à ce qu’elle décrive le plus juste possible, l’environnement immédiat de l’écrivain » (P 63)

En outre, alors que les prix glanés par les écrivains africains semblent être le signe de la vitalité et de l’originalité de leurs œuvres, l’auteur de cet essai nous oblige à porter sur elles un regard plus critique et plus profond. Il faut que la littérature africaine d’expression française, sans se renier, s’ouvre aux vents du monde. L’écrivain africain, semble nous dire l’auteur, dans un contexte de mondialisation n’a certes pas besoin de pervertir son art, mais il doit pouvoir sortir de son cocon pour bitumer toutes les thématiques au-delà des frontières et des nationalités : « Le monde ouvert aujourd’hui à maints niveaux ne permet-il pas un écrivain malien, congolais, ivoirien ou centrafricain d’écrire sur des réalités françaises, belges et chinoises ? » (p83). Cet essai se veut une exhortation, un appel à la verticalité et à la responsabilité renouvelée. Et cela passe par un refus des « jeux de ressemblance » entre la littérature africaine et la littérature coloniale. Nécessaire est pour les écrivains africains d’être « des fendeurs de brousse » c’est-à-dire de rompre avec les complexes inhibitoires.

En tant que discours littéraire sur des discours littéraires le livre d’Acafou s’oblige à un être un livre bien écrit. Il est certes bien documenté et bien argumenté, mais dans le jeu démonstratif, ce livre offre des phrases dont la structure varie très peu donnant l’impression que l’auteur a du mal à formuler autrement sa ses idées. En voilà juste quelques morceaux choisis : « si cette littérature a connu d’abord…. » (p 12), « si les années 1960 ont vu naître… » (p 12), « s’il existe des littératures camerounaises, togolaises… » (p16), « si le titre interrogatif… » (17) « si en 1974, la Révolution française… » (p21), « si plusieurs écrivains ont largement contribué… » (p37), « s’il conforte le concept de négritude avec des œuvres littéraires… »(p39) « si la lecture de l’ouvrage d’Edward Said… » (p 54), « si l’affirmation de Kossi Efoui… » (p 55) « …si des générations entières ont donc… »( p 56), « si évidemment, cet argument… » (p 58), « si pour des raisons économiques… » (p 59) « si l’enjeu identitaire… » (p 71), « si nous pouvons, à bien des égards… » (p 73), « si depuis des décennies… » (p76), « si une bonne majorité des écrivains… » (p 78), « si les récits de voyage ont longtemps… » (p 79), « si des pays d’Asie… »(p 79) « si la littérature coloniale s’est inscrite… »(p 80), « s’il est de franchise d’affirmer… »(p 81), « si porter dans son écriture littéraire… »(p 83), etc.

Zacharie Acafou a certes  eu recours à l’expression de la condition par mesure de prudence et de précaution, mais il n’en demeure pas moins que la récurrence d’une telle formulation finit par ennuyer.

Littérature africaine d’expression française : un grand cadavre à la renverse suivi de Chroniques est le premier essai de Zacharie Acafou, chercheur et critique littéraire ivoirien.

Macaire ETTY

Z. Acafou, Littérature africaine d’expression française : un grand cadavre à la renverse ? ,  Mary Bro Foundation Publishing, essai, Londres, 2015, 260 pages.