Par Alléba Charles TOALI

Le champ politique est moins le fait d’une rationalité que le résultat de processus sociaux, et notamment d’un ensemble d’interactions entre les innombrables acteurs qui y participent. De ce point de vue, il ne saurait être vu comme un fait naturel mais il faut le voir dans les conditions de production et de reproduction des doxas qui dessinent sa trame.

L’intelligibilité du champ politique procède de la matrice sociale qui le fait fonctionner. Et ce cadre ne se résout pas seulement aux partis ou groupements politiques, mais aussi à la société. La pratique politique implique une relation directe à une population extérieure, celle qui, en démocratie, donne la légitimité aux acteurs politiques. Celle pour laquelle la politique est légitime. Le pouvoir du peuple par le peuple et pour le peuple.

L’acte que vient de poser le RHDP, ce mercredi 2 septembre 2020, en investissant le politique et la politique dans un lieu de culte (la cathédrale Saint-Paul d’Abidjan) est manifestement symptomatique des rapports entre les gouvernants et les gouvernés. Il pose la problématique de l’immixtion du religieux dans le débat politique et vice versa. Les politiques pensent que le débat politique se porterait mieux si le religieux se mêlait seulement de ce qui les concernait, mais ces derniers se demandent à l’inverse si les choses n’iraient pas mieux pour les populations si les politiques évitaient aux populations toutes les souffrances qui marquent le corps social depuis bientôt 25 ans.

Je pense que ce type de divergences qui devrait être le travail des uns et des autres est un fait banal. Et cela pour deux raisons qui me paraissent essentielles pour comprendre la sociologie de ces interactions. Le personnel politique est contraint de travailler avec une foule de couches de la société car celles-ci apportent d’autres conceptions de la lecture qui est faite de la pratique politique. Ces organes de la société n’ont certes pas directement prise avec la politique, mais leur légitimité réside dans le souci de leur présence dans la société. Ce sont des animateurs de sensibilités sociales qui concourent au bien-être des populations. En ce sens le discours des membres d’autres sphères de la société devrait être une matière première nécessaire à la production politique.

La deuxième raison repose sur le fait que les représentations soulevées justifient les pratiques qui ne se comprennent que par référence à l’univers de l’institution politique et du reste de la société. En ce sens, la volonté de refuser le caractère quasi naturel du cantonnement de la pratique politique au seul champ politique et de l’appréhender comme des élaborations sociales est justifiée. De plus, cela permet de casser ce mythe ou cette évidence du politique qui paraît incontestable.

Dans la politique ivoirienne, le discours du religieux n’est pas nouveau. Toutes les confessions ont, à certains moments de l’historiographie politique, apporté ce qu’elles qualifient de conseils exprimés à travers des opinions. Ainsi, des musulmans se sont prononcés dans le champ politique au plus fort de la crise sociopolitique de 2002 à 2010. Des chrétiens en ont fait de même. Des leaders des églises évangéliques se sont signalés dans le débat politique à travers différents axes de discours: des révélations, des visions.

Qui plus est, en ce qui concerne le débat actuel du 3e mandat d’Alassane  Ouattara, nombres de religieux ont adopté des positions clivées. Certains ont soutenu l’idée du 3e mandat pendant que d’autres la réfutent et cela avec des arguments tous aussi divers que tranchés. Ce qui est en revanche réconfortant, c’est que toutes ces interventions ne posent pas de problématiques de l’intrusion d’une idéologie religieuse dans le champ politique. Elles se limitent pour l’instant sur un effort d’expression d’opinions d’acteurs religieux. Mais, attention, si rien n’est fait, ces clivages pourraient se traduire en programmes de société. Ce qui entamerait durablement le principe de laïcité dûment inscrit dans notre constitution.

Comme on le voit, la problématique de la neutralité du religieux dans le champ politique est encore une réalité en Côte-d’Ivoire. Cependant, certains réactions et commentaires suscités semblent ne pas comprendre les signes et messages véhiculés par les opinions des religieux. Pourquoi? Quels sont les facteurs qui expliquent cette immixtion de certains responsables religieux dans le débat politique? Cela ne traduirait-il pas un malaise de la pratique politique qui nécessite qu’on adopte une lecture distanciée de ce fait social?

Autant d’interrogations qui interpellent tout le monde, les intellectuels, les politiques et même les populations sur le malaise profond que vit la société ivoirienne dans son entièreté.