Aborder la question du discours dans l’analyse contemporaine du politique en Afrique exige, de notre point de vue, de ne pas en saisir son objet qu’à partir du prisme occidentalo-centriste, mais d’interroger l’historicité de la parole publique en identifiant les modes de construction, de transformation, de transaction intemporelle et des fonctions sociales afin de produire du sens. D’autant plus que l’occidentalisation de la gestion de la démocratie de masse a profondément modifié les rapports entre les gouvernants et les gouvernés dans les sociétés africaines. Une telle étude couvre un large domaine et fait appel à un mix-paradigmatique parce qu’elle repose à la fois sur des systèmes particuliers d’organisation et de fonctionnement des sociétés. La parole est donc prise dans ses fonctions de médiateur entre le pouvoir et le lien social en Afrique. Pouvoir et lien social supposent de ce point de vue des concepts adjuvants tels que stratégies, interactions, politique, contexte.
En effet, en Afrique, la parole requiert une signification toute particulière qui ne coïncide pas avec le sens qu’elle prend en occident parce que les sociétés qui la portent ne bénéficient pas des mêmes systèmes d’organisation, des mêmes conditions de possibilité d’émergence du discours. Son analyse permet notamment de distinguer un certain nombre d’actants dont les identités sociales et discursives et les rôles actantiels débouchent sur des fonctions sociales, politiques et psychosociologiques. On dénombre notamment, les porteurs de la parole, les récepteurs de la parole, les lieux de la parole, l’objet de la parole, sa structuration et la manière dont elle atteint les récepteurs. La responsabilité discursive de chaque actant et les interactions qui caractérisent ces identités donnent donc au discours africain un caractère institutionnel.
L’institution discursive que constitue la parole en Afrique fait de celle-ci une action. Une action sur les hommes mais surtout sur ce qui touche à leur vécu, à leur quotidien. La parole guérit, exorcise, nourrit et cimente la cohésion sociale. Elle peut, dans un autre sens tout à fait contraire, détruire l’unité d’un peuple, d’une tribu et être source de guerre. Au vu de ces enjeux majeurs, la parole (publique) en Afrique représente un instrument qu’il faut manier avec parcimonie, de l’art ; les sociétés africaines ne la confient, pour ce faire, pas à n’importe qui.
Dans les sociétés mandingues par exemple, la parole est affaire de fins connaisseurs, les griots et les chefs. Certaines sociétés vont jusqu’à priver de parole (publique) certaines castes ou certaines catégories sociales. Ainsi chez les Bété ou les peuples forestiers ivoiriens, les femmes, les enfants et les célibataires ne participent pas aux réunions publiques. Celles qui se tiennent sur la place publique ou sous l’arbre à palabre et dont l’objet est de résoudre des problèmes tous aussi divers que cela concerne le développement du village, le foncier, les conflits entre tribus voisines ou même lointaines.
La responsabilité discursive dans la société se trouve de fait liée à la légitimité de la prise de la parole dans l’espace public. Le droit à la parole, sans y être exceptionnellement invité à la prendre, est contingent au statut que l’on possède dans la société. Ainsi, le célibataire ne participera ou ne se prononcera publiquement sur un sujet que s’il se prend une épouse, s’il perd le statut de célibataire. De même, un jeune homme de dix-huit ans qui est marié obtient les mêmes droits qu’un adulte qui est tout aussi marié. Le mariage chez les forestiers ivoiriens est une institution qui est gage de responsabilité aux yeux des pairs.
Par ailleurs, le statut de la femme en pâtit nécessairement dans l’Afrique ancienne mais revêt souvent un caractère qui pourrait être difficilement compréhensible dans certaines sociétés vu le paradoxe qui l’environne. Il y a deux catégories de femmes : les femmes mariées dans la tribu et les femmes natives de la tribu qui ne sont pas mariées et qui résident avec leurs congénères. Chez les Bété par exemple, les sujets de cette dernière catégorie sont invités à prendre part aux réunions publiques dont nous avons mentionnées les caractéristiques. Elles ont droit à la parole et leur parole est d’autant plus importante qu’elle porte en elle les germes de la sagesse que lui confèrent les représentations développées autour de la gent féminine.
En outre, l’analyse de la classe politique repose sur les enjeux soulevés par la crise ivoirienne. La crise provient du dysfonctionnement des anciens équilibres politiques. Notamment la mort de Houphouët-Boigny qui a cassé l’équilibre. Et à partir de là, il y a eu la guerre de succession des héritiers, qui s’est soldé par les coups d’Etat et les rébellions. Le premier enjeu demeure donc celui de la reconstruction du paysage politique. Mais on ne peut reconstituer le paysage sur du rien. C’est bien a partir d’une toute autre façon de penser la vie en société qu’on peut saisir la quintessence de celle-ci. il est évident que les mentalités des populations ivoiriennes a l’époque des indépendances sont différentes de celles de nos jours. On ne voit plus les choses de la même manière, par conséquent les équilibres politiques deviennent caducs. Naturellement dans les années 89-90, il y eut le multipartisme avec comme conséquence immédiate une nouvelle cartographie du système politique. Mais cela a échoué à inscrire la vie des populations au centre de la pratique politique. Parce que la classe politique dans son ensemble, que ce soient les différentes oppositions ou les différents régimes, tous, ils n’ont pas réussi a créer les conditions de l’émergence d’une confiance de la part des populations. Le nombre impressionnant de crises politiques et sociales, les innombrables victimes humaines et les dégâts matériels ont marqué à jamais le tissu social. Et donc quand on sort de la crise qui fait l’objet de notre étude, est-ce qu’il faut ignorer l’évolution chronologique du système politique alors que ses différents échecs ont entrainé la Côte d’Ivoire dans les crises successives. Que faire ?
Le système politique ivoirien ne saurait reposer sur les mêmes équilibres, c’est-à-dire qu’il faut reconnaitre la caducité des groupements politiques actuels et envisager la problématique du pouvoir politique dans une autre direction. Il faut tenir compte des nouveaux équilibres qui se sont formés pendant la crise. Ces équilibres ont façonné les imaginaires collectifs, ils se reflètent dans la société ivoirienne. L’harmonie de la société procède de la créativité et de la dynamique de celles et ceux qui animent la vie publique. Pour cela, nous convenons avec Foucault (1976 : 23-25) qu’il faut saisir la problématique du pouvoir en prenant soin d’observer cinq précautions de méthode. Pour lui, en effet, – il faut saisir les formes réglées et légitimes du pouvoir non pas en leur centre, dans ce que peuvent être ses mécanismes généraux ou ses effets d’ensemble mais dans les formes capillaires. – il faut étudier le pouvoir du côté de sa face externe. C’est-à-dire, là où il est en relation directe et immédiate avec ce qu’on peut appeler, très provisoirement, son objet, sa cible, son champ d’application. En d’autres termes, là où il s’implante et produit ses effets réels. – il ne faut pas prendre le pouvoir comme un phénomène de domination massif et homogène –domination d’un individu sur les autres, d’un groupe sur les autres, d’une classe sur les autres. Il faut plutôt le prendre dans sa circularité, dans les réseaux où il circule. Les personnes ne sont jamais la cible inerte ou consentante du pouvoir, ils en sont toujours les relais. Autrement dit, le pouvoir transite par les individus, il ne s’applique pas à eux. – il ne faut donc pas concevoir l’individu comme une sorte de noyau élémentaire, atome primitif, matière multiple et muette sur laquelle viendrait s’appliquer, contre laquelle viendrait frapper le pouvoir, qui soumettrait les individus ou les briserait. C’est-à-dire que l’individu n’est pas le vis-à-vis du pouvoir ; il en est, l’un des effets premiers. L’individu est un effet du pouvoir et il est en même temps, dans la mesure même où il en est un effet, le relais : le pouvoir transite par l’individu qu’il a constitué. – il se peut bien que les grandes machineries du pouvoir se soient accompagnées de productions idéologiques si bien qu’au point d’aboutissement des réseaux de pouvoir, ce qui se forme, ce sont des instruments effectifs de formation et de cumul du savoir, ce sont des méthodes d’observation, des techniques d’enregistrement, des procédures d’investigation et de recherche, ce sont des appareils de vérification. C’est-à-dire que le pouvoir, quand il s’exerce dans ses mécanismes fins, ne peut pas le faire sans la formation, l’organisation et la mise en circulation d’un savoir ou, plutôt, d’appareils de savoir qui ne sont pas des accompagnements ou des édifices idéologiques.
Il faut donc penser autrement car ce qui est en jeu dans l’analyse du pouvoir, ce ne sont pas l’édifice juridique de la souveraineté, les appareils d’État et les idéologies qui l’accompagnent. Il faut orienter l’analyse du pouvoir du côté de la domination (et non pas de la souveraineté), du côté des opérateurs matériels, du côté des formes d’assujettissement, du côté des connexions et utilisations des systèmes locaux de cet assujettissement et du côté, enfin, des dispositifs de savoir. Le dispositif de contrôle du processus de sortie n’a pas pris en compte cette dimension du pouvoir de gérer la vie des individus. CharlesToali Doctorant en Communication politique
Contribution à une autre manière de penser la politique en société. Je vous remercie pour le temps que vous avez pris à lire ce passage.