J’avais 18ans lorsque j’ai été forcée à me marier. Mon époux, Bernard avait alors déjà une première femme.
Il avait 36 ans et était marié depuis 10 ans. Sa femme, Isabelle n’avait pas pu enfanter.
Craignant qu’il ne meure sans aucune descendance, sa mère lui proposa de lui trouver une seconde épouse.
C’est ainsi que je fus échangée contre quelques chèvres et une quarantaine de litres d’huile de palme pour rejoindre la concession de celui qui allait devenir mon époux.
Je n’avais aucun avis à donner. Mon père était le chef du foyer et ses instructions étaient des ordres.
Il m’a dit ce jour là
-Virginie, tu iras en mariage chez Bernard la semaine prochaine. Sois prête !
Le ciel me tombait sur la tête. J’étais si jeune, innocente et naïve.
Je n’arrivais pas à croire que mon père ait accepté cette transaction.
Je fus ainsi donnée en mariage. Bernard me dit dès le premier jour
-Voici ma femme. Tu la respectes et tu n’auras aucun problème dans cette maison.
Isabelle m’a regardée. Elle était plus grande que moi avec une grosse poitrine. Son air doux adoucissait ses traits sûrement abîmés par les journées passées au soleil.
Elle me prit contre sa poitrine et me serra très fort
-Ne pleure pas! Tout ce que fait notre seigneur est bon.
J’étais sur la défensive et prête à haïr le monde entier.
Je ne voulais pas voir mon mari dont je fuyais la présence.
Isabelle me dit
-Virginie, tu ne pourras pas fuir longtemps. Crois-moi !
Et elle avait raison.
J’avais décidé de vivre comme une prisonnière dans cette maison. Je ne voulais pas de ce mariage. J’avais déjà un petit ami qui avait promis de m’attendre.
Je savais que j’allais être malheureuse toute ma vie. Ma première nuit avec Bernard fut un calvaire. Isabelle me prit dans ses bras pour me consoler.
-Je ne l’aime pas, lui ai-je dit.
-Tu n’as pas besoin de l’aimer. Respecte-le, c’est tout.
Elle croyait que c’était si facile. Je vivais dans une maison où je me sentais si seule. Seules les lettres de mon petit ami Paul me donnaient du sourire. Je savais que j’allais m’enfuir un jour. J’attendais le bon moment.
Malheureusement, je suis tombée enceinte. Impossible de partir dans ces conditions. Isabelle accueillit la nouvelle avec beaucoup de joie. Bernard esquissa à peine un sourire. Isabelle était la seule à la maison à préparer la venue du bébé. Je haïssais cet enfant qui venait contrecarrer mes plans. J’avais peur que Paul me laisse tomber. Je ne dormais plus assez. Je pleurais toutes les nuits. Isabelle a essayé durant de longs mois d’apaiser ma souffrance. Même si elle ne disait rien, elle devinait qu’un mal intérieur me rongeait.
Paul et moi avions prévu de nous enfuir après la naissance du bébé.
J’ai donné naissance à une petite fille un jour ensoleillé de février.
Je l’ai à peine regardée. Isabelle était folle de joie. Même Bernard s’est deridé à la vue de sa fille.
Isabelle s’est occupé de tout.
Nous sommes revenues à la maison. Isabelle veillait sur ma fille la nuit car je refusais de m’en occuper.
Elle le faisait sans se plaindre et sans rien dire à Bernard qui ne se rendait compte de rien.
Trois semaines plus tard, j’allais retrouver mon amoureux transi. Je savais que les choses allaient s’améliorer pour moi. J’avais abandonné ma fille à Isabelle. Je ne lui ai rien dit.
Paul attendait. Il semblait si heureux. Enfin, on allait vivre notre vie.
Durant des semaines, j’ai vécu la période la plus atroce de ma vie. Paul buvait et me battait. Il me rappelait à chaque fois qu’il était celui qui m’avait sorti du calvaire. Que j’étais sa propriété. Il était mon maître et mon sauveur. Je ne reconnaissais plus mon amoureux. Je ne voulais pas abandonner. J’avais déjà tout sacrifié pour lui. Je savais que ma famille m’avait sûrement déjà reniée après ce que j’avais fait.
Un an plus tard, je me suis réveillée aux urgences à l’hôpital.
Une infirmière m’a demandée:
-Avez-vous une famille? Cet homme aurait pu vous tuer. Partez avant qu’il ne soit trop tard mademoiselle.
J’ai pleuré. J’ai appelé Isabelle au téléphone.
Elle m’a posé une seule question.
-Où es-tu ?
Elle est venue me chercher toute seule, m’a regardée et m’a dit:
-Certaines leçons ne s’apprennent qu’avec les coups et l’expérience. Maintenant, tu as compris certaines choses, veux-tu venir avec moi ou non??
-Il va me chasser, ai-je hurlé.
-Je me charge de lui, a-t-elle répondu.
Je n’ai jamais su ce qu’elle lui avait dit. Bernard n’a rien dit. Ma fille avait grandi. Elle marchait déjà. Elle appelait Isabelle maman.
Isabelle lui a dit
-Appelle-la aussi “maman”!
J’ai pleuré.
Je regrettais tant de choses. Isabelle m’a dit ceci:
-Les regrets sont comme des piqûres d’insectes. Plus tu grattes, plus tu as mal. Avance Virginie!
J’ai rejoint la chambre conjugale honteuse. Bernard n’a rien dit. Une sorte de rituel s’est établi à la maison. Tout marchait comme sur les roulettes. À la question de savoir où j’étais passé pendant un an, Isabelle répétait inlassablement la même réponse: Virginie était se soigner après la naissance du bébé. Elle va mieux, elle est revenue.
C’est la même chose qu’elle avait dite à ma famille. Mes parents ont accueilli mon retour avec gratitude. Ils rendaient grâce à Dieu pour ma guérison.
Un jour, Bernard revint du travail et me dit qu’il ne m’aurait jamais acceptée si Isabelle n’avait pas insisté. Il savait que j’avais été avec un autre homme. Je lui ai dit que je ne l’aurais jamais épousé si j’avais eu le choix. Il m’a donné une gifle qui m’a fait valser à l’autre bout de la pièce.
Isabelle est entrée à ce moment-là et s’est tenue devant lui.
-Un homme, un vrai, ne bat pas une femme. Tu n’es pas l’homme que j’ai épousé. Celui-là ne tape pas sa femme. Celui-là sait pardonner et avancer. Celui-là a un grand coeur. Celui-là comprend que tout le monde peut se tromper. Celui-là sait que chacun a droit à une seconde chance.
Bernard s’est mis à pleurer. Il m’a demandé pardon. Je lui ai également demandé pardon d’avoir été si ingrate.
Je crois que nous avons changé les bases de notre foyer ce soir-là.
J’acceptais enfin d’être son épouse..
Les choses ont changé. La maison est devenue plus gaie. Nous formions une famille non conventionnelle.
Isabelle était la plaque tournante. Elle a poussé Bernard à m’envoyer à l’école.
J’ai eu trois autres enfants qu’elle a bercés.
J’ai pu obtenir un poste de secrétaire dans une entreprise plus tard. Isabelle veillait sur les enfants, les déposait à l’école, les reprenait le soir, leur faisait à manger, et les berçait.
Nous étions dans un jardin un jour lorsque mon fils Bernard Junior dit B.J, est tombé et s’est blessé.
Il a couru vers Isabelle:
-Maman, j’ai mal !
J’ai compris ce jour-là qu’Isabelle était une mère!
Durant des années, la paix, le respect et l’amour régnaient entre nous. Même si nous avions des périodes de difficultés, Isabelle faisait toujours le premier pas pour aplanir les choses.
Elle m’a prise dans ses bras lorsque j’ai perdu ma mère.
-Je suis là Virginie ! Tu n’es pas seule !
Oui, j’avais Isabelle, Bernard et les enfants.
Isabelle me demandait si peu. Même lorsque je lui remettais une partie de mon salaire, elle me disait:
-Mettons de côté pour les enfants. Ils en auront besoin pour leurs études.
C’est ainsi qu’elle a fait voyager Bernard Junior pour aller étudier en Europe.
B.J m’a appelée un matin:
-Maman Virginie, j’aimerais avoir maman Isabelle près de moi pour ma sortie de l’école si ça ne te dérange pas. J’ai eu droit à un seul billet d’avion pour faire venir un parent!
J’ai pleuré de joie. Maman Isabelle est celle qui doit être près de toi mon fils!
Même si les enfants avaient su après des années que j’étais celle qui les avais mis au monde, ils n’avaient pas cessé de considérer Isabelle comme leur mère!
Isabelle a pu ainsi voyager pour être près de B.J.
Ma première fille s’est mariée et c’est Isabelle qui était près d’elle.
Isabelle est tombée malade un jeudi. Je n’oublierai jamais ce jour. Je revenais de la ville lorsque je l’ai vue courbée entrain de vomir.
Je l’ai immédiatement emmenée à l’hôpital.
Durant des jours, j’ai veillé sur elle. Son état s’empirait. Je priais. Je ne voulais pas qu’elle parte.
Elle est entrée dans le coma un matin. J’ai alerté les enfants.
B.J a pris le premier avion..
Il est arrivé et a crié:
-Lève-toi maman! Lève-toi !
Il a hurlé. Il voulait qu’on la transfère en Europe mais son état n’était pas stable.
Tous les enfants étaient à son chevet. Personne ne voulait bouger. Jusqu’à ce jour où elle ouvrit enfin les yeux.
-Emmenez-moi à la maison. Je veux ma famille autour de moi pour la fin.
Contre l’avis des médecins, nous l’avons emmenée avec nous. Nous savions que C’était la fin.
Isabelle a regardé Bernard et lui a sourit. Il s’est jeté à ses pieds.
-Je t’aime. C’était pour le meilleur et pour le pire. Tu ne m’as donné que le meilleur..
Elle a souri et dit:
-Je t’ai toujours aimé. Tu as été un bon mari et un bon père.
Elle m’a regardée et dit:
-Viens Virginie, n’oublie pas de maintenir cette famille soudée. La femme est la fondation sur laquelle repose la paix d’une famille. Je sais que tu l’as compris depuis trente ans déjà. Je suis heureuse d’avoir tout partagé avec toi. Tu m’as donné la possibilité d’être mère et je te remercie pour tout. Merci d’avoir un si grand cœur Virginie.
B.J s’est jeté dans ses bras. Il pleurait. Je n’ai pas pu m’empêcher d’éclater en sanglots.
Isabelle n’était plus !
Nous lui disons aurevoir aujourd’hui.
Les enfants sont là.
Bernard est là.
Je suis devant sa dépouille.
Je me baisse pour l’étreindre une dernière fois. Je m’écroule. Je ne pourrais pas continuer sans elle.
B.J vient me soulever.
Ma fille me chuchote à l’oreille
-L’échographie de ma grossesse a montré que c’était une fille maman. Nous l’appellerons Isabelle. Nous lui parlerons de sa grand-mère. Nous lui parlerons de la femme merveilleuse qu’elle a été. Relève-toi maman et aide-moi à garder Isabelle vivante !
J’ai enfin souri.
Isabelle était là pour toujours à travers sa petite-fille qui naîtra.
Ernestine MBAKOU