En Afrique, il y a des présidents qui, non contents d’affamer et d’appauvrir leurs peuples, les empêchent de s’exprimer, de manifester et de se réunir. Il suffit de critiquer leur gouvernance pour être embastillé ou bien pour que votre famille ait des ennuis. Quand l’on cherche à savoir pourquoi les “hommes de Dieu” (pasteurs, prêtres et évêques) ne dénoncent pas ouvertement toutes ces atteintes aux droits de l’homme, certains d’entre eux répondent qu’ils pratiquent la diplomatie, c’est-à-dire qu’ils rencontrent le dictateur et lui parlent en privé. L’un d’entre eux estime même que moins le médiateur est bruyant, plus la médiation a de chances de réussir. Discrétion rimerait donc avec efficacité, selon lui. Or le dictateur que nous avons et que cet homme de Dieu est déjà allé rencontrer en catimini avec ses confrères ne cesse de faire souffrir les populations à qui il a été imposé un jour d’avril 2011 à la suite d’un contentieux électoral qui ne concernait en rien la France. Vrai ou faux, le dictateur aurait récemment décidé qu’aucun Ivoirien ne devrait être actionnaire dans le capital de MTN-Côte d’Ivoire. De ce qui précède, il résulte que la fameuse diplomatie ne marche pas toujours.
Je n’ai rien contre la diplomatie. Je ne suis point opposé au fait que pasteurs, prêtres et évêques, nuitamment, rencontrent les décideurs et discutent avec eux des problèmes de la nation mais est-ce la seule façon de faire ? Jésus, leur Maître et Seigneur, comment agissait-il ? La réponse à cette question se trouve dans la réplique de Jésus après que Caïphe, le grand-prêtre, l’eut interrogé sur ses disciples et sa doctrine : «J’ai parlé ouvertement à tout le monde ; j’ai toujours enseigné dans les synagogues et dans le temple, où les Juifs se réunissent constamment, et je n’ai rien dit en secret. » (Jean 18, 19-20)
Parler ouvertement, c’est prendre à témoin tout le monde (opinion nationale et internationale), c’est empêcher celui à qui on a parlé de déformer le message. Le problème que j’ai avec la diplomatie ou l’action souterraine, c’est qu’aucun témoin (oculaire et auriculaire) n’étant présent à la rencontre entre les deux parties, il est difficile de savoir si le partisan de la diplomatie a vraiment dit aux autorités ce qu’elles devaient entendre. Et d’un.
De deux, je suis pleinement d’accord avec le cardinal Fridolin Ambongo, archevêque catholique de Kinshasa (RDC) lorsqu’il affirme que « le devoir de réserve ne s’applique pas à un prêtre ou à un évêque. Le devoir de réserve concerne les diplomates ». Le 18 février 2023, s’adressant au nouvel évêque de Yamoussoukro, il faisait remarquer qu’un évêque ne doit pas avoir peur de parler et de prendre position, qu’il est un prophète, qu’il doit jouer un rôle de veilleur et d’éveilleur des consciences. Un homme de Dieu ne peut pas se contenter de prier et de percevoir quêtes, dîmes et offrandes quand ses fidèles sont exploités, malmenés, muselés, terrorisés quotidiennement par un régime qui, s’il avait un peu de jugeote, comprendrait que rien n’est éternel sur cette terre et que la roue de l’Histoire tourne.
Enfin, je pense que pratiquer la diplomatie n’exclut pas de parler ouvertement et clairement (« Notre Constitution que vous êtes censé protéger et respecter vous interdit de briguer un 3e mandat » plutôt que « la candidature du chef de l’État à un 3e mandat n’est pas nécessaire »). Sous Gbagbo, les Jacob Ediémou Blin, Salomon Lezoutié, Siméon Ahouanan critiquaient ouvertement et régulièrement. Aujourd’hui, ils sont devenus muets comme des carpes alors que notre pays ne s’est jamais autant mal porté que sous le régime Ouattara. Rencontrent-ils Ouattara en secret pour lui parler de la souffrance des Ivoiriens ? Craignent-ils que, en se prononçant publiquement, ils pourraient déclencher le courroux du régime ? Lors de son voyage à Kinshasa, le pape François a parlé haut et fort aux pays occidentaux (“Cessez d’étouffer l’Afrique ! Elle n’est pas une terre à dévaliser”) sans que le Ciel ne lui tombe dessus.
L’Afrique est en lutte pour sa vraie indépendance en Centrafrique, au Mali, au Burkina. Comment les hommes de Dieu contribuent-ils à cette lutte ? Pourquoi les entend-on si peu ? Le Dieu au nom de qui ils parlent serait-il pour l’esclavage et l’oppression ? D’après un proverbe camerounais, “la bouche qui mange ne parle pas”. Ceci expliquerait-il cela (leur silence) ?
Jean-Claude DJÉRÉKÉ