Quand sortit la chanson “Président, on dit quoi ?” dans laquelle Yodé et Siro font le triste constat que, sur “plus de 60 ethnies que compte notre pays, “depuis le rez-de-chaussée jusqu’au dernier étage, du gardien au directeur, ce sont seulement les Bakayoko ou bien les Coulibaly qui mangent”, il se trouva des gens pour pousser des cris d’orfraie ou pour appeler le gouvernement à porter plainte pour diffamation. Qui sait si d’autres ne s’apprêtaient pas à lancer une fatwa contre les deux “impertinents” ? Une chose est sûre : les plus hargneux étaient ceux qui se sont récemment ralliés à Monsieur Ouattara après l’avoir traité de tous les noms d’oiseaux et sans avoir jamais démontré que les choses qu’ils critiquaient n’existent plus. S’ils étaient un brin intelligents, ces fanatiques du RDR comprendraient que Ouattara, en nommant Hamed Bakayoko à la place de Gon Coulibaly, vient de les désavouer.
Yodé et Siro avaient donc raison de dénoncer le rattrapage ethnique dont les dégâts sont aussi considérables que ceux de l’apartheid en Afrique du Sud et qui indiscutablement met le RDR en porte-à-faux avec le vivre-ensemble dont il n’a cessé de nous rebattre les oreilles car on n’aide pas un peuple à vivre ensemble en promouvant et en enrichissant une seule ethnie et une seule religion. Je suis certain que Daniel Kablan Duncan et Marcel Amon Tanoh, qui ont fait les frais du tribalisme de Ouattara, seraient parmi les premiers à témoigner que le vivre-ensemble cher au RDR n’est qu’un slogan creux. Patrick Achi, dont le profil était de loin meilleur que celui de Bakayoko pour le poste de Premier ministre, ne serait pas d’un avis contraire s’il avait la possibilité de dire ce qu’il pense vraiment sans crainte de représailles.
Malheureusement, le rattrapage ethnique n’est pas le seul talon d’Achille du président reconnu et installé par la communauté dite internationale. On lui reproche aussi de ne pas tenir ses promesses alors que respecter sa parole est un principe sacro-saint dans une Afrique où la parole a encore plus de poids que l’écrit. Pour le dire autrement, l’homme ne vaut rien en Afrique s’il est incapable de faire ce qu’il a promis de faire. Bédié, Soro, Duncan et Amon Tanoh ont rompu avec Ouattara parce que les promesses que ce dernier leur avait faites n’ont pas été honorées. Thabo Mbeki, l’ancien président sud-africain qui persuada Laurent Gbagbo de permettre à Ouattara de prendre part à l’élection présidentielle dans notre pays, semble en avoir fait, lui aussi, l’amère expérience puisqu’il déclarait en mars 2012 : “Alassane Ouattara est un homme qui n’a ni foi en l’honneur ni parole d’honneur. Je serai toujours surpris de la distance qu’il est prêt à parcourir dans le seul but de contenter ceux qu’il y a cinquante ans mettaient son peuple dans les chaînes de l’oppression… Je n’ai pas assez de mots pour vous dire le dégoût que m’inspire cet homme.” Et Mbeki d’ajouter : “ Heureusement que la vie des hommes n’est qu’une petite étoile filante dans l’histoire du monde. La Côte d’Ivoire se retrouvera un jour.”
Telle est également ma conviction. Je suis convaincu que notre pays se relèvera mais il ne se remettra pas debout de sitôt si nous avons des comportements irrationnels et offensants pour les victimes de la guerre injuste faite à notre pays par la France, c’est-à-dire si nous sommes prompts à baiser la main du bourreau, si nous sommes les premiers à féliciter ou à remercier ceux qui gardent injustement des milliers d’Ivoiriens en exil et en prison, si nous nous jetons facilement dans les bras de ceux qui sont responsables de la mort prématurée de plusieurs pro-Gbagbo en bloquant ou en vidant leurs comptes, si nous allons à la chasse aux parrainages citoyens après avoir soutenu qu’ils ne sont pas exigés par la Constitution, si nous nous bornons à dire que Ouattara n’a pas le droit de briguer un troisième mandat ou si nous prenons pour argent comptant les fausses promesses de ce dernier.
Lorsque les partisans de Ouattara affirment que leur parti gagnera au premier tour, un tel avertissement doit être pris au sérieux. Une opposition, qui irait en rangs dispersés à une telle élection a peu de chances de la remporter car, en plus de la fraude et de la violence, le RHDP laissera voter les nombreux étrangers qu’il a fait enrôler. Sauf à vouloir légitimer un pouvoir qui a fait trop de mal aux Ivoiriens, les opposants devraient plutôt songer comme Mme Danielle Boni-Claverie à une transition politique. Celle-ci, il revient à l’opposition de l’imposer. Comment ? D’abord, en ne laissant plus Ouattara mener le bal ; ensuite, en initiant des actions pacifiques pour paralyser le pays. Le boycott des produits français (n’oublions pas que c’est avec l’accord tacite de la France que Ouattara malmène et dépouille les Ivoiriens) et la désobéissance civile font partie de ces actions pacifiques. Mais l’opposition souhaite-t-elle s’engager dans cette voie ? Désire-t-elle vraiment libérer le pays de 10 ans de dictature et de pillage ?