Les Américains Rosa Parks et Martin Luther King contribuèrent à l’amélioration de la condition des Noirs aux États-Unis en s’opposant à la discrimination raciale ; la Pologne connut des changements démocratiques en 1990 parce que Lech Walesa et ses camarades du syndicat Solidarnosc avaient combattu pied à pied le régime communiste du général Jaruzelski ; le 28 septembre 1958, devant le général Charles de Gaulle, le Guinéen Ahmed Sékou Touré ne se gêna point pour déclarer que son pays “préfér[ait] la liberté dans la pauvreté à la richesse dans l’esclavage” ; le 21 avril 1982, après sa démission du gouvernement du colonel Saye Zerbo, le Burkinabè Thomas Sankara faisait cette mise en garde : « Malheur à ceux qui bâillonnent le peuple ! »
Tous ces hommes et femmes ont en commun d’avoir été des insoumis, d’avoir dit « non » quand les autres, tenaillés par la peur et la faim, conseillaient prudence et silence, d’avoir enfreint délibérément la loi pour faire triompher la liberté et la justice sociale. Au péril de leur vie, ils se dressèrent contre l’ordre établi parce que cet ordre leur semblait injuste et oppressif. C’est qu’ils avaient compris qu’exister, c’est résister : résister à toutes les ambiguïtés, à toutes les oppressions, à toutes les compromissions, à tous les immobilismes.
En 1990, la Côte d’Ivoire sortait d’un certain immobilisme avec l’avènement du pluralisme dans la foulée de la réinstauration du multipartisme que le premier président considérait comme une vue de l’esprit. Cette année-là, des hommes et des femmes se levèrent pour dire « non » à un « ordre étouffant établi par Houphouët, « non » à un régime qui n’autorisait qu’un parti politique (le PDCI), une presse unique (Fraternité Matin et Fraternité hebdo), un syndicat unique pour les travailleurs (l’UGTCI), un mouvement unique pour les étudiants (le MEECI), etc. Si Laurent Gbagbo et d’autres démocrates ivoiriens (feu Marcel Etté et René Dégni-Ségui entre autres) n’avaient pas été des insoumis, s’ils s’étaient résignés au statu quo, notre pays n’aurait pas renoué avec le multipartisme, le 30 avril 1990.
Par conséquent, ceux et celles qui sont perçus comme des insoumis ne devraient ni culpabiliser, ni baisser la tête. Ils devraient plutôt porter cette étiquette avec fierté, la voir comme un honneur qui leur est fait. Bref, ils n’ont ni complexe ni mauvaise conscience à avoir.
Comme Jésus dans les béatitudes, je dirais à leur sujet : “Heureux les insoumis ! Tôt ou tard, la patrie leur sera reconnaissante car ils ont résisté à ceux qui aiment la Côte d’Ivoire mais détestent ses enfants.”
Si nous voulons récupérer notre pays, si nous voulons que celui-ci soit maître de son destin, si nous voulons qu’il devienne libre et souverain, il nous faut des insoumis, c’est-à-dire des hommes et des femmes qui refusent toute compromission, tout larbinisme, tout griotisme et tout aplaventrisme. À ceux qui, au FPI, sont enclins à menacer et à ostraciser quiconque ne pense pas comme eux, il convient de rappeler la chose suivante : le grand Harris Memel-Fotê souhaitait que personne ne soit muselé dans le parti, prônait la “critique des élus, l’autocritique personnelle et collective et une amélioration ou une réactualisation du projet de société” (cf. Laurent Gbagbo, “Fonder une nation africaine démocratique et socialiste en Côte d’Ivoire”, Paris, L’Harmattan, 1998, p. 20), était persuadé que c’est uniquement cela, le fait de porter un regard critique sur son action et ses méthodes, qui ferait du FPI un parti fort et différent du RDR où les militants ont tendance à suivre comme des moutons de Panurge le dieu Alassane Ouattara.
Hier, ce dernier disait à qui voulait l’entendre qu’il viderait le FPI de sa substance et on vit certains cadres du parti mourir bizarrement pendant que le parti lui-même était divisé entre les “Gbagbo ou rien” et les autres soupçonnés de s’être écartés de la ligne du parti (lutter contre “toute forme de domination sur la Côte d’Ivoire et en Côte d’Ivoire”) et de travailler avec et pour le pouvoir mais jamais le FPI ne s’effondra.
Aujourd’hui, c’est le RHDP qui se vide tout seul. Chaque jour, certains “enfants de Konan” quittent le navire comme des rats. D’autres, sous prétexte de soigner la Covid-19 contracté on ne sait comment et quand, ont commencé à se mettre à l’abri en Europe.
Tous savent que tout cela risque de mal finir car un empire bâti sur le faux, le pillage et le crime n’a pas une longue existence. Tous répètent que le lion (surnom d’Amadou Gon Coulibaly) qui s’est couché pour de bon fut un grand serviteur de l’État mais, en leur âme et conscience, ils sont convaincus qu’il était sectaire, violent et intolérant.
Après le balayeur balayé (le général Robert Gueï avait été chassé du pouvoir par la rue en octobre 2000 après s’être proclamé vainqueur de l’élection présidentielle), nous avons maintenant les traîtres trahis. Quoiqu’ils aient décidé à un certain moment d’arrêter leur collaboration avec Ouattara, ces derniers ne peuvent être considérés comme des insoumis car un insoumis ne dit pas “non” pour protéger des intérêts personnels mais pour sauver ou préserver l’intérêt général ; il ne s’acoquine pas avec ceux qui dépècent le pays et bradent ses richesses ; il n’attend pas que ses objectifs soient contrariés pour se révolter et claquer la porte. Anaky Kobenan, Francis Wodié, Charles Konan Banny, Henri Konan Bédié, Soro Kigbafori, Marcel Amon Tanoh, Mabri Toikeusse et Daniel Kablan Duncan ont quitté Ouattara, non parce qu’ils avaient pris conscience d’avoir mal fait et d’avoir fait du mal au pays en le suivant, mais parce qu’ils n’ont pas obtenu ce qu’ils espéraient pour eux-mêmes et pour leurs familles. Je lis çà et là qu’ils ont abandonné Alassane Ouattara parce que ce dernier les aurait trahis, parce qu’il n’aurait pas tenu les engagements pris à leur égard mais Ouattara a-t-il jamais respecté sa parole ? A-t-il réalisé une seule promesse ? Il avait promis, par exemple, de s’installer à Yamoussoukro pour rendre effectif le transfert de la capitale politique. L’a-t-il fait ? Non ! A-t-il doté le pays de cinq universités flambant neuves comme il l’annonça pendant la campagne électorale de 2010 ? Non ! Au lieu de jouer les victimes sur le sort desquelles on devrait s’apitoyer, Duncan, Soro, Amon Tanoh, Mabri et les autres devraient se rendre compte que les premiers et vrais traîtres, ce sont eux-mêmes pour avoir soutenu ou aidé un individu qui, entre 1989 et 1993, nous avait déjà montré qu’il n’était ni compétent, ni honnête, ni démocrate, ni humain. Ces traîtres trahis ne devraient s’en prendre qu’à eux-mêmes. Cupides et ne pensant qu’à leurs intérêts, c’est à cause d’eux que l’Ivoirien est en train de devenir étranger dans son propre pays. Ailleurs, où le peuple ne badine pas avec l’amour et la défense de la patrie, ils auraient été purement et simplement fusillés, guillotinés ou pendus haut et court.
Le RHDP, cette secte qui voulait faire disparaître le PDCI et le FPI, se vide et sombrera bientôt comme le Titanic parce que “bien mal acquis ne profite jamais”. À mon avis, le naufrage du navire aurait eu lieu bien plus tôt et des morts inutiles auraient été évitées si le pays avait eu des insoumis et des insoumises, si les chrétiens n’avaient pas oublié que le Dieu qu’ils prient et invoquent leur demande de “mettre au pas l’oppresseur, de rendre justice à l’orphelin et de défendre la cause de la veuve” (Isaïe, 1, 17), si le peuple ivoirien s’était montré aussi courageux et aussi déterminé que celui du Mali qui a pris la rue les 5 et 10 juillet 2020 pour exiger la démission d’Ibrahim Boubakar Keïta accusé de n’avoir pas réussi à arrêter les violences djihadistes et intercommunautaires.