On a dit aux militants du FPI que Laurent Gbagbo, injustement détenu à La Haye (Pays-Bas) depuis le 30 novembre 2011, serait libéré en 2017 et qu’il fallait se préparer à l’accueillir. Malheureusement, la “prophétie” ne se réalisa pas. Au début de cette année 2018, on entonna le même refrain: “Il sera là bientôt et c’est avec lui que nous irons à la reconquête du pouvoir.”
Ainsi, il n’est pas demandé aux militants d’engager la lutte pour la liberté et la justice comme dans les années 1990 mais d’attendre Gbagbo. Or “attendre” signifie compter sur l’action de quelqu’un. Celui qui attend n’attend plus rien de lui-même; il attend tout d’un autre (Dieu ou un autre homme). Il se croise alors les bras, se tourne les pouces, n’entreprend rien, s’installe dans l’inaction et l’immobilisme. Effectivement, entre 2011 et aujourd’hui, le parti se borna à faire le service minimum (2 à 3 tournées à l’intérieur du pays, quelques meetings, des points ou conférences de presse pour condamner ceci ou cela), ne mena aucune action d’envergure susceptible de bousculer le régime, de le faire reculer, de le contraindre à lâcher du lest ou de montrer à la face du monde, comme lors du 5e sommet Union africaine-Union européenne à Abidjan (29-30 novembre 2017), que le régime est anti-démocratique et liberticide. Même les camarades, qui furent arrêtés et embastillés après le Congrès de Mama (Hubert Oulaye, Sébastien Dano Djédjé et Justin Koua) ou après une marche de protestation à Yopougon (Samba David), on ne fit rien pour qu’ils sortent vite de prison. Parce qu’il fallait attendre Gbagbo, les malheureux camarades étaient obligés de purger leurs peines de 3 ou 4 ans. Seul le satrape, content ou fatigué de les voir souffrir, pouvait décider du jour de leur élargissement. Certains moururent dans ces prisons infectes. Les plus chanceux en sortirent très affaiblis ou avec des maladies. Tout ceci arriva parce qu’on nous demanda d’attendre Gbagbo, attendre qu’il sorte de prison et se joigne à ceux qui l’attendent depuis 2011 pour “aller à la reconquête du pouvoir”, pour battre le pavé, pour affronter la dictature de Ouattara, pour faire ce que nous aurions dû faire sans lui, comme s’il ne s’était pas assez sacrifié comme ça, comme s’il n’avait pas donné suffisamment de son sang et de sa sueur, comme s’il avait encore la force de faire ce qu’il fit il y a 3 décennies.
Non, il ne fallait pas dire: “Attendons Gbagbo” mais “menons la lutte comme à l’époque où Houphouët affirmait arrogamment que le multipartisme était une vue de l’esprit et jetait en prison les étudiants qui réclamaient simplement de meilleures conditions de vie et de travail car il ne me semble guère normal qu’un parti attende tout et dépende à ce point de son leader qui a pourtant conseillé d’enjamber son corps et de continuer le combat s’il lui arrivait de tomber. Je trouve inacceptable que, sans Gbagbo, le FPI manque de stratégie et d’idées. J’ai du mal à admettre que les Refondateurs aient été incapables d’exploiter les situations qui, à un moment ou à un autre, provoquèrent la colère et la révolte des populations (enfants enlevés et assassinés, étudiants arrêtés et incarcérés, fonctionnaires chassés de leur travail, baisse du prix du cacao et de l’hévéa, augmentation du prix des denrées de première nécessité, quartiers précaires rasés, familles délogées, etc.) pour inquiéter le pouvoir. Je ne comprends pas pourquoi ils n’appelèrent jamais le peuple à boycotter les produits français (Orange, Canal plus, etc.) ou à occuper la rue dans toutes les villes jusqu’à la chute de ce régime sectaire et totalitaire.
Le parti s’est-il résigné à son sort? A-t-il abdiqué? A-t-il renoncé au combat? A-t-il abandonné son rêve de gouverner la Côte d’Ivoire autrement? Les enfants de pauvres ont-ils cessé de croire qu’ils peuvent et doivent améliorer la vie d’autres enfants de pauvres? Ces questions, on ne peut pas ne pas les poser quand le FPI d’aujourd’hui donne l’impression que le prisonnier Gbagbo est son seul espoir. Or Gbagbo pourrait ne pas être libéré avant 2020. Car ceux qui l’ont envoyé à la Haye ont plus d’un tour dans leur sac; ils savent faire passer le temps; ils peuvent trouver toutes sortes de prétextes pour faire durer le procès, le temps que Ouattara finisse son second frauduleux mandat.
Bien sûr que mon vœu est que Laurent Gbagbo sorte de prison le plus tôt possible, cette année ou début 2019 mais, s’il ne sort pas, allons-nous attendre comme Vladimir et Estragon attendant Godot qui ne viendra jamais ou bien avons-nous un plan B? Autrement dit, on fait quoi si le “chef” ne bénéficie pas d’un non-lieu? De quels moyens le parti usera-t-il pour contraindre Ouattara à faire droit aux justes revendications de l’opposition (arriver à un consensus sur les listes électorales, le découpage électoral, la composition de la CEI, la sécurisation des électeurs et des candidats, la crédibilité du Conseil constitutionnel, etc.)? Au cas où Ouattara acceptait finalement de soutenir Bédié en 2020 et que les deux hommes se remettent ensemble, comment le FPI compte-t-il les affronter et les battre? Diriger, c’est anticiper. Voilà quelques questions sur lesquelles il serait bon de commencer à réfléchir au lieu d’attendre que Gbagbo sorte de prison. Si mes questions ont pu blesser quelqu’un, je m’en excuse d’avance mais telle n’était pas mon intention. Mon but était simplement de contribuer à la recherche de solutions capables de sortir le FPI de l’impasse dans laquelle il se trouve et qui n’empêche nullement nos valeureux camarades de nous quitter les uns après les autres.
Jean-Claude DJEREKE