Jésus disait à ses disciples qu’ils connaîtraient la vérité et que la vérité les rendrait libres (Jn 8, 32). Ce qui préoccupe l’intellectuel exotique ou pseudo-intellectuel, ce n’est ni de connaître la vérité ni de résoudre les problèmes que lui imposent la vie et les relations avec autrui mais de « s’intégrer dans les circuits où se stockent et se redistribuent les biens rares, les honneurs et les plaisirs » (Fabien Eboussi, « Lignes de résistance », Yaoundé, Clé, 1999).
Le philosophe camerounais avait créé ce concept d’intellectuel exotique pour se gausser de ces Africains qui se gargarisent de titres ronflants : professeur agrégé, professeur titulaire, maître de conférence, docteur, etc. Pour Eboussi, ces titres sont creux car ceux qui y sont attachés ne sont connus que par leurs étudiants, n’ont de publication que leur thèse de doctorat, sont les premiers à chanter la gloire des dictateurs, à trouver à des médiocres des qualités qui n’existent point, ne sont capables ni « d’inquiéter qui que ce soit en quoi que ce soit » (Pierre Bourdieu), ni de prendre position sur des sujets aussi importants que le franc CFA, les bases militaires françaises en Afrique, l’ingérence de la France dans nos affaires internes, le tribalisme, le détournement des fonds publics par des vauriens, etc.
Feu Norbert Zongo, assassiné parce qu’il enquêtait sur la mort d’un chauffeur du frère de Blaise Compaoré, les appelait « la race des égoïstes myopes » parce qu’ils laissent prospérer le mal et le faux « pourvu que leur salaire tombe, pourvu qu’ils n’aient pas d’ennuis, pourvu que rien n’arrive à leur famille, pourvu que rien n’entrave leur carrière ».
Écrire sur Ruben Um Nyobè et ses camarades qui luttaient pour la vraie indépendance et accepter, 37 ans plus tard, que le pays qui les massacra vous octroie 50 millions d’euros pour le lancement d’une fondation pour la démocratie en Afrique (une démocratie qu’Emmanuel Todd et d’autres penseurs européens jugent morte en Occident), ce n’est pas seulement manquer de cohérence mais tuer doublement le Mpodol et trahir l’Afrique combattante.
Enseigner la philosophie et être philosophe sont deux choses différentes. Le philosophe et l’intellectuel authentique en général résistent « aux séductions de l’intégration, refusent de se renier » devant des billets de banque, se caractérisent par la simplicité et le courage de parler haut, fort et clair, acceptent de subir « tracas, ratonades et privations » pour que triomphent la justice et la liberté, ne font pas partie des « adorateurs du sexe, de l’argent, du vin et du sang », se battent pour que l’Afrique soit debout, ne se laissent ni distraire ni berner par n’importe quel petit bonimenteur français.
Jean-Claude DJEREKE