«Si Blé sort, ce qu’il va faire»
(L’Inter, 29 octobre 2013) – Il s’était imposé un devoir de réserve qu’il a cru bon de rompre depuis quelques jours, convaincu que ses éclats de voix pourraient faire avancer le dossier de son client, Charles Blé Goudé. Me N’dri Claver, son avocat principal, se confie, pour la première fois à un journal, en l’occurrence L’inter. Dans l’interview qui suit, il dénonce une opacité dans l’affaire Blé Goudé et interpelle les autorités ivoiriennes sur les conditions de détention de son client.
Maître, quelles sont les dernières nouvelles de votre client charles Blé Goudé ?
Nous n’avons pas de nouvelles de notre client depuis le 2 août 2013 dernier, où il nous a été accordé de le voir dans les bureaux du doyen des juges d’instruction en charge de ce dossier, et depuis, nous n’avons aucune nouvelle de monsieur Charles blé Goudé.
Qu’est-ce que les autorités judiciaires vous rétorquent-elles pour justifier le refus de vous voir rencontrer votre client ?
Ce que les autorités judiciaires nous disent? Faudrait-il d’abord qu’elles nous répondent. L’affaire Charles blé Goudé est assez originale sur bien de points. Nous sommes en tant qu’avocat habitué aux dossiers qui font l’objet d’information devant un juge d’instruction. Dans ce type de dossier, la personne qui fait l’objet de mandat de dépôt est conduite dans une maison d’arrêt. En ce lieu, elle a le droit de recevoir la visite de ses avocats. C’est la première fois que je vois un tel isolement d’un détenu. C’est la première fois que j’assiste à de telles manœuvres. Je ne sais pas pourquoi M. Charles blé Goudé subit un tel traitement particulier. Seules les autorités judiciaires peuvent nous expliquer.
Doit-on considérer que les droits de votre client sont violés ?
Je pense que c’est peu dire que de l’affirmer avec ces mots. Les droits de notre client sont effectivement violés. Ses droits élémentaires ne sont pas respectés depuis son arrestation le 17 janvier 2013. Dans une République qui se veut respectueuse des lois qu’elle s’est données, Charles blé Goudé devait non seulement se retrouver dans une maison d’arrêt mais il devait avoir la visite régulière de ceux qui sont chargés d’assurer sa défense c’est à dire ses avocats. M. Charles blé Goudé se trouve dans un isolement total. La situation qu’il subit n’a pas de référence textuelle. Dans de telles circonstances peut-on dire autre chose? Les droits élémentaires de notre client sont effectivement violés. Il est aujourd’hui un détenu sans droit pris en otage.
On entend dire qu’il est détenu dans des conditions extrêmement difficiles, qui ont fini par affecter son état de santé. Qu’en est-il de son état de santé ?
Pour ce qui est de l’état de santé de notre client à l’heure actuelle, je ne peux pas me prononcer de façon formelle. Je suis un avocat, et je tiens beaucoup compte des faits. En ce qui concerne les faits, je peux vous dire que la dernière fois où je l’ai vu de mes yeux c’était le 02 Août dernier. Je peux vous affirmer que j’ai vu un homme amaigri et qui donnait tous les signes de quelqu’un qui ne se sentait pas bien physiquement. Il nous a raconté les difficultés qu’il avait dans sa cellule. Il est couché à même le sol. Il n’a pas accès à l’information. Il se nourrissait une fois par jour dans un sachet de couleur noire dans lequel on lui apportait sa nourriture. Il voyait la lumière du jour selon le bon vouloir de ses geôliers. Vous pouvez à partir de ces faits vous faire une idée de la santé d’un citoyen qui vit un enfermement 24 heures sur 24 dans une cellule. Je pense qu’un condamné même a des droits. A plus forte raison, une personne bénéficiant de la présomption d’innocence. Notre requête va dans le sens de l’amélioration de ses conditions de détention. Ce n’est pas une faveur que nous demandons. Il faut que l’état conforme ses actions à la légalité. Ainsi, pourra-t-il reprocher aux autres leur mépris de la loi.
«Nous ne voulons pas d’arrangement politique»
Souhaitez-vous que Blé Goudé soit transféré à la MACA ?
Ce n’est pas une question de souhait. C’est une question qui tient du respect de la loi. Une personne placée sous mandat de dépôt doit être dans une maison d’arrêt. C’est ce que dit la loi. Cependant, si les autorités estiment que pour une question de sécurité, elles ne souhaitent pas le conduire à la MACA, il ne faut pas perdre de vue le respect de ses droits même dans le lieu aménagé pour la circonstance. N’oublions pas aussi que M. Charles blé Goudé a été ministre de la jeunesse de la République de Côte d’Ivoire dans le dernier gouvernement du président Laurent GBAGBO. Il mérite un peu d’égard.
Des informations qui nous parviennent laissent croire que contrairement à ce que vous dites, vous avez bel et bien accès à votre client, qu’il n’est pas détenu dans les conditions que vous décriez, qu’il est bel et bien dans une résidence protégée que vous connaissez bien. Que répondez-vous à cela ?
Nous avons appris que M. Charles blé Goudé est en résidence protégée. Nous avons dit d’abord que le terme de résidence protégée était assez original pour nous avocats, car nous n’avions pas trace de ses références textuelles dans la législation ivoirienne. Deuxièmement, ce qu’il faut dire c’est que le 02 août dernier, le concerné lui-même, c’est-à-dire M. Charles blé Goudé nous a affirmé en personne et à notre grand étonnement qu’il est à la DST. Dès cet instant, nous ne pouvons accorder du crédit qu’à la parole de celui qui vit lui-même cette situation. Ses affirmations sont d’autant plus vraies que ce jour-là, M. blé Goudé était avec M. Dibopieu qui nous a affirmé être le voisin de cellule de notre client à la DST. Lorsqu’on parlait de résidence protégée, nous étions dans la perspective que notre client était mieux traité. Mais, je vous ai dit un peu avant que je l’ai vu amaigri, et avec moi, les autres confrères. Il n’avait pas une bonne mine. Il faut améliorer ses conditions de détention si le tuer à petit feu n’est pas la volonté de ceux qui le maintiennent dans cet état.
Vous n’avez pas accès à votre client alors que vous êtes censé le défendre en cas de procès. Cela ne constitue-t-il pas un handicap pour vous ?
Mais absolument ! Jusqu’à présent nous disons que nous n’avons pas accès à notre client. Et nous ne voulons pas mettre au défi une quelconque autorité, on n’en a pas besoin. Si les avocats ont accès à leur client, ils ne diront pas qu’ils n’ont pas accès à lui. Quel intérêt aurions-nous à mentir? Cela n’a pas de sens pour nous. Nous ne faisons pas de politique, ça ne nous intéresse pas. Il serait grave pour des avocats d’ailleurs de mentir dans ce sens, c’est à dire de voir leur client, et d’organiser des conférences de presse pour dire qu’ils ne le voient pas. Notre intérêt n’est pas de discréditer une quelconque autorité. L’avocat est un surveillant de la loi. Notre intérêt, c’est que notre client soit mis dans des conditions idoines pour que force reste à la loi. En ce qui concerne la difficulté que vous évoquiez tout à l’heure, elle est fondée. En effet, comment défendre en toute connaissance de cause une personne à qui l’on n’a pas accès. Nous trouvons que ce n’est pas normal, et c’est ça que nous dénonçons.
Dites-nous Maître, comment fonctionne une instruction dans le système judiciaire ivoirien ?
Lorsque vous reprochez quelque chose à une personne, et que le parquet juge nécessaire de poursuivre cette personne, on ouvre une information, et on confie le dossier à un juge d’instruction qui reçoit la personne concernée. Le parquet peut demander que cette personne-là soit placée sous mandat ou pas. Mais c’est le juge d’instruction qui décide de placer cette personne ou pas sous mandat de dépôt. Si le juge d’instruction place la personne concernée sous mandat de dépôt, elle est conduite dans une maison d’arrêt. De là, le juge d’instruction fait extraire le détenu pour les nécessités de l’enquête, jusqu’à ce que ce juge décide à un moment donné que la détention de cette personne n’est plus nécessaire, alors on décide de la mettre en liberté provisoire en attendant éventuellement le jugement de la cause.
Est-ce que tout cela est circonscrit dans un délai ?
Le temps de détention est enfermé dans un délai. Mais, dans notre cas, lorsqu’il vous est reproché des infractions de la catégorie de crimes, la détention se renouvelle tous les quatre mois, mais sans délai. Cela veut dire que vous pouvez rester en détention pendant une période excessivement longue.
Au regard de tout ce que vous expliquez-vous, en tant qu’avocat principal de Blé Goudé, on pourrait dire que le dossier vous échappe. Qu’est-ce que vous savez de façon concrète sur ce dossier ?
Nous ne savons rien du dossier blé Goudé, sauf que blé Goudé est en prison et détenu à la DST. Sur le contenu du dossier à savoir quels sont les faits réels ? Je ne parle pas de faits sommaires, je parle de faits réels, nous ne savons rien. Il y a plusieurs infractions qui lui sont reprochées, mais nous n’avons pas les détails. Donc dire que le dossier nous échappe de ce point de vue, je conviens avec vous. Mais de toutes les façons, nous le saurons lorsque la procédure va se poursuivre.
Quelles sont justement, en tant qu’avocats, vos marges de manœuvre pour faire respecter tout ce que vous décriez ?
Dénoncez ! La voix des sans voix, la bouche de ceux qui n’ont point de bouche. C’est cela l’avocat. M. Charles blé Goudé se trouve réduit au silence, pris en otage. Il n’y a que la voix de ses avocats pour parler en son nom. Nous ne sommes pas militaires, ni hommes politiques, nous avons pour nous la connaissance de la loi et son application. Notre bouche reste notre instrument principal. Et nous parlerons afin que nul n’en ignore.
La cour pénale internationale (CPI) a levé récemment les scellés sur un mandat d’arrêt concernant votre client. Quel commentaire en faites-vous?
C’est un mandat inopportun qui cache certainement quelque chose. Parce que la CPI n’est pas une juridiction remplaçant les juridictions nationales. C’est une juridiction permanente pour mettre fin à l’impunité. Et cela ressort clairement de son préambule, à savoir lutter contre l’impunité. Or en ce qui concerne le cas Charles blé Goudé, il est poursuivi par la juridiction de son pays; mais bien plus, il est sous mandat de dépôt. Alors, nous ne comprenons pas le sens de ce mandat d’arrêt lancé par la CPI, étant entendu qu’il est déjà poursuivi par la juridiction nationale. C’est un mandat qui doit avoir ses raisons en dehors de la sphère juridique.
Plusieurs personnalités de l’ancien régime ont été libérées récemment, notamment Pascal Affi N’guessan le président du Front populaire ivoirien (FPI). On attendait la libération provisoire de votre client. Selon vous, qu’est- ce qui explique tout ce mystère autour du dossier Blé Goudé?
je ne sais pas. Ceux qui l’entourent de tant de mystères peuvent le dire. Peut-être sa force politique incontestable. Mais je pense que si c’est cette force politique qui fait peur, elle pourrait dans un sens être utilisée pour la réconciliation des ivoiriens. Vous savez que M. Charles blé Goudé est un homme de mobilisation. Nous pensons que cette capacité de mobilisation, dont nul ne peut douter aujourd’hui, au lieu d’en avoir peur, peut être utilisée pour que les ivoiriens se parlent. J’ai souvenance que lorsque M. Soro Guillaume devait être désigné Premier ministre, l’on avait peur de la réaction des jeunes. Mais il a fallu que blé Goudé dise une parole allant dans le sens de l’acceptation de cette nomination pour que la jeunesse suive. Je pense que cette capacité qu’il a, peut être utilisée pour une cohésion sociale.
A vous entendre, on pourrait dire que si Blé Goudé accepte cet arrangement politique de servir à la réconciliation, il pourrait recouvrer la liberté ?
Un arrangement politique pour nous, on n’en a pas besoin. Beaucoup d’hommes pensent que M. Charles blé Goudé est un destructeur, non, il est un constructeur. Il a un amour pour son pays la Côte d’Ivoire contrairement à ce qu’on veut faire croire. Il n’est pas besoin d’un arrangement politique pour quelqu’un qui s’insère déjà dans la réconciliation. Je suis sûr d’une chose: c’est que s’il sort, il essaiera d’une manière ou d’une autre de contribuer à la paix sociale en Côte d’Ivoire. On ne fait pas d’arrangement politique avec une personne prédisposée pour la paix. Il y a des actes forts qu’il a posés en Côte d’Ivoire, qui pour nous, ne doivent pas être oubliés. Nous nous rappelons encore de son geste de rassemblement de tous les présidents de la jeunesse des différents partis politiques au café de versailles en juin 2006 qui a permis de mettre fin à la violence meurtrière qui avait cours dans notre pays suite aux audiences foraines. Rappelons-nous, cette rencontre à Gagnoa en octobre 2008 où les hommes, les femmes, les enfants et les vieillards sont venus à la rencontre de Soro Guillaume sous la conduite de blé Goudé. Il y a eu ce geste fort de la rencontre entre Soro et la mère de Laurent Gbagbo à Gnaliépa toujours avec blé Goudé. Nous ne pouvons pas passer sous silence ce long cortège de véhicules des jeunes qui franchissaient la ligne de Bouaké. Les rencontres avec Wattao avec la jeunesse des Forces nouvelles qu’il a invitées dans son village à Kpô. Tout cela pour rassurer ceux qui étaient de l’autre côté, mais qui restaient ses frères. Blé Goudé ne mérite pas cet isolement de la part de ceux qui sont là. Ne soyons pas amnésiques, ayons de la mémoire.
Diriez-vous que Blé Goudé n’a aucune responsabilité dans tout ce qui s’est passé en côte d’Ivoire pendant la crise ?
De quel type de responsabilité parlez-vous? La détermination de la responsabilité pénale incombe au juge qui va connaître de l’affaire” Ministère public contre Charles blé
Goudé ” si après l’instruction le dossier était renvoyé devant une formation de jugement. Maintenant, il y a la responsabilité du citoyen dans une crise politique nationale. Sur ce point, c’est tout l’intérêt de la Commission Dialogue vérité et Réconciliation. En son temps, M. blé Goudé dira sa part de vérité.
L’expert onusien Doudou Diène fait des missions en côte d’Ivoire où il rencontre les acteurs politiques, et plaident pour la libération provisoire des détenus pro-Gbagbo, notamment l’ex-Première dame Simone. Mais, on a l’impression qu’il évite le dossier de votre client Blé Goudé, qui est tout de même une personnalité importante de l’ancien régime. Quel commentaire ?
Je ne connais pas son calendrier, son agenda. Je ne sais pas s’il a même formulé une demande de le voir, et que cela lui a été refusé par les autorités. En fait, je n’ai pas la maîtrise de l’environnement, et donc permettez que je n’aille pas au-delà, étant entendu que je ne cerne pas les contours de cette question.
Vous parliez tout à l’heure de réconciliation. Selon vous, quelles sont les conditions pour qu’on y arrive ?
La réconciliation est l’affaire de tous les ivoiriens. On en parle comme si d’autres personnes étaient contre. On parle de Dialogue, de vérité et de Réconciliation. Dialoguer donc se parler. Cela suppose que les acteurs soient présents, dont le président Laurent Gbagbo, le président Alassane Ouattara, le président Konan Bédié, Soro Guillaume, blé Goudé Charles et les ex-rebelles. Il faut qu’ils s’asseyent et discutent, c’est le sens du dialogue. Mais cette discussion ne doit pas être entourée de calculs politiciens. Il ne doit y avoir pour seul repère que l’amour de son pays et non l’amour de sa propre personne. Cela va dégager les horizons pour que nous accédions à la vérité et lorsque la vérité est là, la réconciliation peut se faire aisément. Mais tant que nous allons habiller ce projet de réconciliation avec des calculs politiciens, je pense que nous serons toujours dans une réconciliation de façade et non dans une réconciliation vraie. Il ne s’agit pas d’aller prendre les dénominations de certains pays comme l’Afrique du sud et ne pas agir exactement comme ce modèle. En Afrique du sud, les bourreaux ont été connus, ils ont reconnu qu’ils ont mal fait. Les victimes étaient là, et il y a eu une sorte de réparation des cœurs qui passe par le truchement de la reconnaissance de la faute et du pardon sincère. Je souhaite que cela se fasse pour la Côte d’ivoire, afin que mon pays que j’aime tant et qui a tant de potentialités puisse donner à l’Afrique et au monde entier les fruits de son travail. Mais avant convient-il que je souligne que la réconciliation doit être séparée de tout calcul politique. C’est le gage principal de son succès en Côte d’ivoire.
Avez-vous confiance en la justice ivoirienne si éventuellement il y avait un procès contre charles Blé Goudé ?
J’ai confiance, dans la mesure où je n’ai rien pour l’instant qui m’amène à douter de la justice en ce qui concerne le cas blé Goudé. Quand je parle de justice, je parle de tout l’appareil. Mais je parle surtout des magistrats qui sont appelés à connaître des dossiers et à rendre une décision. Ceux-là, je n’ai pas de raison de douter de leur conscience de la légalité. J’ai confiance en la justice de mon pays. Elle est critiquable comme tout appareil chargé de rendre la justice. Mais il demeure que j’ai confiance en cette justice. Même si la situation actuelle de blé Goudé me rend méfiant.
Si vous avez le ministre de la Justice en face de vous, que lui diriez-vous sur le dossier de votre client Blé Goudé ?
Je vais poser la question de savoir pourquoi est-ce que mon client se trouve toujours à la
DST et non dans une maison d’arrêt alors qu’il est placé sous mandat de dépôt. Alors je vais demander pourquoi cela ? Si on me répond que c’est pour des raisons de sécurité, alors je demanderai simplement que ses droits élémentaires de détenu soient respectés. Cela implique qu’il ait une couchette décente, qu’il puisse régulièrement se nourrir, qu’il puisse recevoir ses avocats, les membres de sa famille biologique et les membres de sa famille politique, la visite de son médecin personnel et qu’il puisse avoir accès à l’information. Je pense que dans un état de droit, ce n’est pas trop demander que de faire appliquer la loi.
Interview réalisée par
Hamadou ZIAO