Les grands-parents de sa femme n’avaient encore jamais vu un Noir quand il les rencontra en 1997 dans leur village du Sud de la France. Dix-sept ans plus tard, le Togolais Simon Worou y est le premier maire d’origine africaine du département français de l’Aveyron.
“Il m’arrive quelque chose de formidable”, dit ce “pilier” d’1,85 m, né à Lomé il y a 43 ans.
Les enfants des environs qu’il entraîne au rugby lui lancent des “coucou, Simon!”, des voisins lui tapent sur l’épaule, le chambrent, en guise de “félicitations à Monsieur le maire” de Sainte-Juliette-sur-Viaur, 577 habitants…
En 1997, Simon découvrait pour la première fois ce village, ses deux clochers, ses vieilles fermes en pierres brunes, et ses collectes de lait de brebis pour le fromage roquefort.
“Je faisais mes études de sous-officier dans l’armée de l’Air française, à Rochefort (ouest) et j’étais invité chez les parents de ma (future) femme. Ses grands-parents n’avaient jamais vu un “black” de leur vie… Puis mon beau-père – un agriculteur très ouvert – m’a demandé d’aller jouer au rugby dans le village voisin de Cassagnes-Bégonhès. Et j’ai été épaté de l’accueil, adopté”.
– L’intégration par le rugby –
“Les coups durs, il en a pourtant connu sur le terrain quand les supporters lui lançaient des “rasta”, “mange ta banane”, “sale nègre””, se souvient Olivier Rebois, son entraîneur de rugby à partir de 2000 et son ami.
Le racisme, Simon dit aussi l’avoir “senti un peu dans le boulot” quand il prenait tous les emplois du coin – dépeceur de cochons à l’abattoir en journée et portier de bowling en soirée – avant de gérer une équipe chargée de la propreté à la mairie de Rodez.
L’homme n’a pas tout à fait oublié qu’en 2002 la mairie de Sainte-Juliette avait refusé son dossier de mariage, présumé “blanc” parce qu’on le soupçonnait d’épouser sa fiancée “pour les papiers”… Le couple était allé se marier dans la commune d’à côté.
Mais la confiance l’a emporté et on est vite passé du “il est où le Noir?” à “il est où Simon?”, dit-il.
Au coeur de Sainte-Juliette, une ancienne agricultrice de 80 ans le dit spontanément: “Il est du coin, maintenant! Il est marié à une dame d’ici, habite une ancienne grange retapée, son fils va à l’école communale. Qu’est-ce que vous voulez, il ne faut pas être raciste! Il faut tenter. Il est bien gentil, assez jovial et quand il a fait le tour de toutes les maisons, moi je l’ai trouvé bien”.
Résultat: la liste sans étiquette qu’il conduisait en tant qu’ancien conseiller municipal a réuni 62% des voix dès le premier tour des élections municipales en mars. Il a récolté 222 voix – sur 357, une partie des villageois ayant, tout de même, rayé son nom.
Au restaurant “Au parfum d’Aveyron” où il émiette du pain dans sa soupe et boit du vin rouge avec sa charcuterie, Simon savoure “la reconnaissance” que l’élection lui offre et se dit “Aveyronnais, un point c’est tout”. “Des électeurs du FN (Front national, extrême droite) viennent boire une bière à la maison, ça ne me dérange pas. J’aime l’humain. Beaucoup. Quels que soient ses a priori, ses appartenances”, dit ce militant au Parti socialiste.
– L’armée après le séminaire –
A Lomé, l’adolescent cherchait déjà toutes les voies d’intégration par le collectif: au petit séminaire dès ses 11 ans avec l’idée de “faire curé”, puis dans l’armée française qui recrutait dans son pays, jusqu’à devenir sous-officier. “On était une génération sans perspective. On avait soif de connaître autre chose”, dit-il. Le Togo vivait alors sous le règne de Gnassingbé Eyadema – au pouvoir pendant 38 ans jusqu’à sa mort en 2005 – et dont le fils Faure Gnassingbé préside aujourd’hui le pays.
Il tenta bien – une fois – de revenir à Lomé, mais ne tint pas plus d’une semaine dans un camp de l’armée de l’Air: “J’avais fait un effacement total du Togo dans ma tête”.
Monsieur le maire dit aujourd’hui “cacher sous un grand sourire” qu’il est anxieux de bien faire. Vingt-cinq ans après l’élection du Togolais Kofi Yamgnane à la mairie d’une commune de Bretagne, dans l’ouest de la France.