(Le Figaro, 8 Août 2013) – François Hollande va dissoudre. Nicolas Sarkozy, qui a appris la nouvelle de la bouche de Bernadette Chirac, commence à s’organiser. Jean-Louis Borloo aussi.
PAR PHILIPPULUS
L e lendemain matin de cette scène chez Nicolas Sarkozy et Carla Bruni, il était déjà 11 h 15 lorsque le réveil de Jean-Louis Borloo sonna. Le président de l’UDI se demanda en un millième de seconde où il était, quand il était et qui il était. Mais sa chambre lui apparut et il reconstitua bien vite le fil de son existence et de ce début de journée. Il leva une main, qui, quatre minutes plus tard, localisa le téléphone portable posé sur la table de chevet. Il mit l’appareil devant ses yeux, les ouvrit, et compta le nombre de SMS reçus depuis 4 h 30 du matin, heure à laquelle il s’était endormi. 22. Mais le nom du dernier expéditeur attira son attention. C’était Claude Chirac. Son pouce appuya sur l’icône et le message s’ouvrit. Ce qu’il lut acheva de le réveiller. « Hollande va dissoudre. Si tu t’y prends bien, tu as un boulevard et tu es premier ministre dans six semaines. Mais prends pas 300 plombes pour te demander si t’en as envie ou non. Je t’embrasse. C.C. »
Jean-Louis Borloo prit une douche glacée car il avait besoin de reprendre ses esprits. Tandis que l’eau glissait de sa tête jusqu’à ses pieds, il parlait tout seul : « Je récapitule. Il faut que je prenne de vitesse tout le monde. Et d’abord Sarko. Ce qui est bien, c’est qu’il ne doit pas encore le savoir. Cela dit, dès qu’il le saura, il va tout faire exploser. En même temps, Fillon et Copé vont pas regarder passer le train. »
En s’habillant, Jean-Louis Borloo repensait à ce jour de 2014 où François Hollande l’avait reçu dans son bureau de l’Élysée. Il lui avait annoncé son intention de modifier le mode de scrutin législatif et d’instaurer la proportionnelle intégrale. Comme jadis François Mitterrand.
– Tu vois Jean-Louis, lui avait dit le président, Mitterrand avait raison en 1986. La France est faite pour la proportionnelle. Le scrutin majoritaire, c’est le gaullisme, les grandes idées à la noix qui écrasent les petites. D’ailleurs, Chirac pense la même chose ! La France, c’est le pays des 300 fromages, il faut qu’ils soient tous représentés ! Ségolène et son Chabichou du Poitou ne me démentiraient pas ! Et puis moi, faire la synthèse des fromages, ça me plaît bien !
– À propos, elle va bien, Ségolène ?, avait répondu Jean-Louis Borloo, pour meubler un peu.
– Oui, mais ce n’est pas le sujet, avait poursuivi le président. Le sujet, c’est la proportionnelle, qui sera votée dans les deux mois. Je ne te cache pas que vu l’état de déliquescence du pays, ce mode de scrutin pourrait me servir. Et, pourquoi pas, te servir ? Avec la proportionnelle, tout le monde a sa chance. Te rends-tu compte ? Mélenchon, Marine, Duflot, Bayrou, toi ! Et moi ! Puisque je suis président !
À ce moment précis, le chef de l’État, geste fort rare chez lui, avait adressé un clin d’œil à Jean-Louis Borloo.
Le président de l’UDI, qui tentait pour la quatrième fois de nouer sa cravate, songeait à ce clin d’œil présidentiel. « Ben voilà, nous y sommes ! Il va dissoudre ! En gros, le FN va faire 20-21 %, l’UMP peut-être 20, le PS 17 ou 18 maximum. Mon UDI pourrait faire 12 ou 13 et l’autre zouave du MoDem (il parlait de François Bayrou) va triompher péniblement à 7 ou 8. Il va encore nous dire qu’il est le premier alors qu’il sera le dernier ! Hollande ne va pas nommer Sarkozy à Matignon, ce serait un comble ! Pire que Mitterrand-Chirac ! Copé ? N’y pensons pas ! Fillon ? Cet idiot a été premier ministre cinq ans, il déclinera, comme Chirac en 1993. Quoique. On sait jamais avec lui. Enfin, normalement, non. Ben il ne reste plus que moi ! Bayrou va nous faire son numéro mais son MoDem fait rire jusqu’à ses chevaux de Bordères ! Je vais proposer une grande alliance centristo-socialisto-humanisto-bidule et ça devrait le faire. »
Tout en imaginant son proche avenir de premier ministre, Jean-Louis Borloo fut pris d’un doute. « Pépère (il parlait du président) a plus d’un tour dans son sac. Il faudrait tout de même que je l’appelle pour savoir où il veut aller. »
Renonçant à nouer sa cravate, il s’assit sur son lit pour réfléchir et alluma une cigarette électronique, dont il ne se séparait plus depuis deux ans. Il allait téléphoner à François Hollande mais ne savait trop ce qu’il allait lui dire. Il se mit à réfléchir intensément. « Ou bien je joue à celui qui ne sait rien et je le laisse venir, ou bien je mets les pieds dans le plat d’entrée de jeu en lui disant que je veux Matignon quoi qu’il arrive », pensa-t-il en enlevant ses chaussures. Il déboutonna les boutons de sa chemise et s’allongea sur le lit. « Voyons voyons. Je pourrais aussi ne pas l’appeler et attendre qu’il m’appelle pour m’annoncer la nouvelle. S’il m’appelle, c’est qu’il a une idée en tête à propos de moi. Donc, je joue le surpris et je pose mes conditions ! C’est ça la solution ! »
Jean-Louis Borloo enleva sa chemise, qui l’embarrassait. Il se remit dans son lit en pantalon et releva la couette jusqu’à son cou. « Oui, mais s’il ne m’appelle pas, je fais quoi ? », se dit-il soudain, tout en se retournant dans son lit.
Les heures passaient, Jean-Louis Borloo réfléchissait toujours et la nuit de février commençait à tomber. La vérité oblige à dire que l’ancien ministre s’était rendormi et que son sommeil fut entrecoupé de rêves plaisants et de cauchemars terrifiants. Ses songes l’avaient transporté à Matignon, où il était premier ministre et redressait la France. Il portait beau et inspirait la crainte. Ses ministres l’appelaient « Jean-Louis le Terrible » et plus personne n’osait ironiser sur sa coiffure. Mais ses rêves l’avaient aussi entraîné dans un scénario fort contrariant, où ce n’était pas lui le premier ministre, mais François Bayrou. Dans ce cauchemar-là, qui l’avait réveillé en sursaut, il avait vu le président du MoDem et nouveau premier ministre qui, le recevant à Matignon avec trois huissiers à chaîne autour de lui, lui avait lancé sur un ton badin. « Jean-Louis, ton truc c’est plutôt les transports ? Le canal Rhin-Rhône, la ligne TGV Paris-Bordeaux-Toulouse ? Top la ! Tu seras ministre des transports ! Ça te rajeunira ! Elle est pas belle la vie ? » Et le premier ministre Bayrou était parti d’un rire sonore qui n’en finissait pas de résonner dans les oreilles du ministre des Transports Borloo.
Il était 18 heures. Il faisait nuit noire et Jean-Louis Borloo était maintenant tout à fait réveillé. Il avait repris une douche et était parvenu victorieusement au bout de son combat contre sa cravate. « Bon, ma décision est prise. J’appelle Hollande ! »Mais il fut saisi d’un ultime doute. « Ou si je lui envoyais un SMS ? C’est bien aussi le SMS ! Ça a un petit côté ni vu ni connu ! En même temps on n’est pas candidat à Matignon par SMS. Non, je l’appelle ! » Six heures et quarante-cinq minutes après avoir appris la nouvelle annoncée par Claude Chirac, Jean-Louis Borloo passait donc à l’offensive. Il eut un petit sourire et lâcha : « Attention, ça va dépoter ! Action ! » Il prit son portable, éclaircit sa voix et entendit le portable présidentiel sonner.
À l’Élysée, dans son bureau du premier étage, François Hollande vit le nom de Jean-Louis Borloo s’afficher sur son téléphone. Il ne put s’empêcher de sourire. « Ça va plus vite que je ne pensais… »
– Bonjour Jean-Louis ! Que me vaut cet appel ? répondit le président d’un ton dégagé.
– François, ne biaise pas, on me dit que tu vas dissoudre…
– Ah oui ? Qui te l’a dit ?
– Euh, quelqu’un…, dit Jean-Louis Borloo, qui n’avait pas prévu cette réponse.
François Hollande esquissa un nouveau sourire et murmura : « Les nouvelles vont vite… » .