Les dentistes du XVIe siècle, qui officiaient sur les foires et places publiques, savaient rassurer les personnes qui avaient mal aux dents et qui devaient les faire arracher; ils leur faisaient croire qu’elles ne sentiraient aucune douleur, que tout se passerait bien, etc.
Mais il était difficile de faire confiance à ces arracheurs de dents, d’autant qu’ils se servaient d’une tenaille ou d’une pince pour “soulager” les pauvres patients. En d’autres termes, ils ne disaient pas la vérité. De ces mensonges éhontés naquit l’expression “mentir comme un arracheur de dents”. De nos jours, les plus grands menteurs ne sont plus les arracheurs de dents mais certains politiciens qui, pour se tirer d’affaire, racontent des choses qui n’ont rien à voir avec leurs actes passés ou présents.
C’est le cas du ministre français des Affaires étrangères. Le 7 octobre 2020, devant la Commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale, Jean-Yves Le Drian, qui donnait la position du gouvernement français sur la candidature anticonstitutionnelle de Ouattara, évoquait sans sourciller “un processus démocratique en Côte d’Ivoire” et estimait qu’apprécier la nouvelle Constitution serait de l’ingérence. Je n’insisterai pas sur le “processus démocratique” qui a exclu certains candidats, qui n’est ni transparent ni consensuel. Je voudrais, en revanche, m’attarder sur l’ingérence dont la France prétend se garder en Côte d’Ivoire. Nous aurions cru Le Drian s’il avait eu le courage et l’honnêteté de confesser que son pays soutient Ouattara dans son projet insensé de se représenter parce que c’est la France qui l’a mis au pouvoir en 2011 après avoir massacré des milliers d’Ivoiriens et parce que ce régime dictatorial et sanguinaire lui permet de piller les richesses des Ivoiriens. Il lui suffisait de déclarer qu’on ne lâche pas un régime qui enrichit la France et protège ses nombreux intérêts au lieu de se prévaloir d’une pseudo-neutralité car la France est mal placée pour parler de non ingérence dans les affaires africaines. Pour dire les choses autrement, tous les pays européens peuvent parler de non ingérence, sauf la France car comment appeler le transfert des pourparlers inter-ivoiriens de Lomé à Marcoussis en janvier 2003, l’intervention militaire française qui fit 64 morts en novembre 2004 et des milliers de morts en 2010-2011 ? Si les drigeants français ne se mêlent pas de ce qui se déroule loin de leur pays, pourquoi le voyou et inculte Sarkozy intima-t-il à Youssouf Bakayoko l’ordre de proclamer des résultats provisoires hors-délai et dans le quartier général (QG) de Alassane Ouattara et pourquoi ordonna-t-il au président Laurent Gbagbo de quitter le pouvoir dans 3 jours ? Si la France est contre l’ingérence, pourquoi arma-t-elle en 1997 Denis Sassou Nguesso pour le réinstaller au pouvoir au Congo-Brazzaville et pourquoi contesta-t-elle, fin décembre 2018, l’élection de Félix Tshisekedi ? N’est-ce pas de l’ingérence quand Emmanuel Macron demande que le pouvoir soit “rendu aux civils”, que “des jalons [soient] posés pour le retour à l’ordre constitutionnel” et que le président malien et son Premier ministre soient libérés ? Enfin, un pays qui possède et conserve des bases militaires dans certains pays africains ne fait-il pas pire que s’ingérer ?
La Russie est intervenue en Georgie, en Ukraine et en Syrie et elle a toujours assumé ses actes. La France, elle, n’a jamais voulu reconnaître ses coups tordus en Afrique : esclavage, colonisation, massacres, génocide des Tutsis, assassinat d’opposants, viols de mineurs, soutien à des rébellions armées, etc. Pire encore, elle n’a de cesse de faire porter le chapeau aux Africains. Pour elle, les Africains ne doivent s’en prendre qu’à eux-mêmes si leurs pays sont mal en point à tous points de vue 6 décennies après l’avènement des “indépendances”. Toujours dans le déni ou l’auto-justification, les Français n’éprouvent pas encore le besoin de faire comme les Britanniques. En juin 2013, en effet, le Royaume-Uni non seulement reconnut sa responsabilité et présenta ses excuses pour la violente répression des Mau-Mau (Kenya) mais accepta de verser, via l’avocat de 5 anciens Mau-Mau qui avaient porté plainte devant la Haute Cour de justice de Londres, 23, 5 millions d’euros à 5 228 plaignants (https://www.lemonde.fr/…/justice-pour-les-mau-mau…). Le sentiment anti-français qui monte en Afrique francophone n’est point une vue de l’esprit et ce n’est ni l’arrogance ni l’hypocrisie des autorités françaises qui fera baisser la tension entre Paris et ses ex-colonies. Ce n’est pas non plus en pratiquant une ingérence à géométrie variable que la classe politique française aura des relations sereines avec les peuples africains qui ont compris le jeu de l’ancienne puissance colonisatrice. Autrement dit, tout se passe comme si l’indignation et l’ingérence françaises étaient sélectives, comme si les sanctions contre la dictature et la mauvaise gouvernance étaient prises à la tête du client. Laurent Gbagbo aurait commis le dizième des violations des droits humains de Ouattara que cela aurait déjà provoqué une levée de boucliers de la fameuse communauté internationale.
Bref, le mot “ingérence” sonne faux dans la bouche de Jean-Yves Le Drian pour la simple raison que son pays ne s’est jamais privé de s’immiscer dans les affaires des Africains. La vérité est que Monsieur Ouattara ayant permis à la France de gagner beaucoup d’argent en Côte d’Ivoire ces 10 dernières années, il est hors de question, pour elle, de se prononcer sur sa candidature illégale, tout comme il est malvenu de pointer ses atteintes aux droits de l’homme.
Quiconque a lu “Un pompier-pyromane. L’ingérence française en Côte d’Ivoire d’Houphouët-Boigny à Ouattara” s’apercevra aisément que la France n’a jamais été impartiale ni désintéressée en Éburnie. En 2002, elle fit semblant de s’interposer. En réalité, elle avait choisi le camp de la rébellion, laquelle rébellion sera traitée, 4 mois plus tard, sur un pied d’égalité avec le gouvernement ivoirien à Marcoussis. Même chose pendant l’élection présidentielle d’octobre 2010 bien que Claude Guéant eût assuré que la France n’avait pas de candidat. Au Kenya, en 2007, la Grande-Bretagne, plutôt que d’envoyer des troupes dans le pays, laissa les deux camps kenyans trouver un accord. Résultat : la crise kenyane fit moins de victimes que celle des Ivoiriens.
Les hommes politiques français peuvent continuer à louvoyer et à mentir si cela les enchante mais ils devraient savoir que nous ne sommes pas dupes de leur duplicité ni de leur parti pris et que, nolens, volens, leur sous-préfet sera dégagé sous peu.
Jean-Claude DJEREKE