Par Africanewsquick | Le Forum des Directeurs de publication de Côte d’Ivoire (FORDPCI) a organisé un atelier de formation des Directeurs de publication, le vendredi 26 septembre 2014, à l’immeuble Sarulu à Marcory Zone. Cet atelier qui avait pour thème «Prérogatives et obligations du Directeur de publication au regard de la la loi sur la presse en Côte d’Ivoire » a été parrainé par Mme Rosalie Botti (présidente de COCOVICO et du ROESAO, membre de la CDVR) et animé par le Président du Conseil national de la presse (CNP), Raphaël Oré Lakpé. Pas de Prérogatives, rien que des obligations pour les DP.

Raphael_Lakpé

A l’occasion de la dernière assemblée générale de vos pairs de la Conférence des Directeurs de publication de de Côte d’Ivoire (CNDP-CI), j’indiquais que ce sont les informations que les directeurs de publication autorisent à paraître qui forgent l’opinion publique et orientent le jugement de chaque lecteur.

C’est dire l’importance de la fonction de Directeur de publication dans notre société et la lourde responsabilité qu’implique ce pouvoir qu’il détient.

J’indiquais aussi que les directeurs de publication sont les garants du respect des règles universelles du journalisme dans leurs rédactions respectives.

Cela est également valable pour vous de la FORDPCI, car la clé de la prévention des délits de presse perpétrés dans bien des journaux est entre vos mains.

C’est pour ces raisons que nous ne pouvons parler de « Prérogatives et obligations du directeur de publication» sans nous plonger dans son environnement, à savoir l’entreprise de presse et sa rédaction, sans évoquer l’étendue de sa responsabilité dans l’accomplissement de sa tâche et en explorant les privilèges et contraintes liés à la fonction.

Mais avant, permettez que nous nous essayions à la définition des notions clés du thème soumis à notre analyse.

Alors, selon le Petit Robert, le terme « prérogatives » se définit comme un avantage dû à une fonction, un état. C’est un honneur, un pouvoir, un privilège lié à une fonction. Quant à l’obligation, elle se définit toujours selon le Petit Robert comme un lien de droit en vertu duquel, une personne peut être contrainte de donner, de faire ou de ne pas faire quelque chose. C’est en quelque sorte, un engagement, un serment qui enchaîne l’individu.

Il procède de ces définitions que parler des prérogatives et des obligations du directeur de publication, c’est s’interroger sur les avantages et les contraintes qui sont liées à la fonction de directeur de publication.

Mais qu’est ce qu’un directeur de publication ? Le directeur de publication est, selon la loi française, la personne chargée, au sein d’une entreprise de presse, de rendre public le journal, l’ouvrage, ainsi que tout écrit. C’est surtout le responsable du contenu. Il répond en matière pénale des diffamations par voie de presse. On dira simplement que le directeur de publication porte en principal, la responsabilité pénale de la publication.

L’environnement du Directeur de publication

Une entreprise de presse est une organisation qui regroupe des journalistes et une administration afin de les faire participer à la création de l’édition d’un quotidien ou un périodique.

Elle est dirigée par un manager appelé éditeur qui supervise les tâches administratives et financières ainsi que la production de ses publications.

Il délègue la gestion de la production de la publication au directeur de publication dans le respect de l’orientation intellectuelle du journal, c’est-à-dire la ligne éditoriale et des délais de livraison. Cette gestion implique la détermination des exemplaires à produire ainsi que la nature, la qualité et la quantité des sous produits de la publication appelés articles de presse.

La loi N°2004-643 du 14 décembre 2004, portant régime juridique de la presse ne donne pas de définition du Directeur de publication quand bien même cette fonction y est abondamment citée contrairement à la fonction d’éditeur de presse.

Mais la pratique journalistique universelle voudrait que le Directeur de publication soit le patron de l’équipe rédactionnelle. Il intervient dans la rédaction comme un super rédacteur en chef.

La loi ivoirienne le positionne à la fois comme le responsable de la direction éditoriale du journal et le représentant de la direction managériale auprès de la rédaction. Il a donc une charge éditoriale et une charge managériale.

Le directeur de publication, en théorie, reçoit les projets d’articles que lui apporte le rédacteur en chef qui lui-même les a collectés auprès des chefs de service ou de rubrique afin de les peaufiner, de les parachever.

Dans certaines rédactions, le directeur de publication dirige la conférence de rédaction, réunion au cours de laquelle les journalistes se retrouvent pour arrêter le menu (sujets, les angles, le format) mais aussi pour critiquer la dernière édition. Elle permet aussi d’envoyer les reporters en mission.

Pour arrêter la version définitive de l’édition, le directeur de publication doit surtout contrôler le travail de ses collaborateurs. A savoir relire et vérifier les articles, puis valider le journal avant sa transmission à l’imprimerie.Il est donc censé avoir lu tous les articles avant parution.

Statut du Directeur de publication

Il faut dire que la loi sur la presse n’a pas défini un statut particulier du directeur de publication en Côte d’ Ivoire. Il lui est juste demandé d’avoir la nationalité ivoirienne, de jouir de ses droits civils et civiques. Ce qui signifie que le directeur de publication en Côte d’ Ivoire doit être ivoirien, majeur et avoir un casier judiciaire vierge c’est-à-dire, ne pas avoir fait l’objet d’une condamnation judiciaire. C’est donc une fonction qui requiert une moralité éprouvée.

Cette délimitation n’est pas fortuite parce que le Directeur de publication est déclaré civilement responsable par la loi. Cela signifie qu’il répond des dommages causés au public, soit par son fait soit par le fait de ses collaborateurs. Etant entendu que toute activité professionnelle est susceptible d’engendrer des dommages.

Aussi, face aux risques de dommages préjudiciables à autrui, le Directeur de publication doit prendre toutes les dispositions nécessaires pour éviter leur éventuelle survenue. Dans le cas contraire, il assume ses responsabilités, et subit la sanction qui s’impose.

Prérogatives et obligations du Directeur de publication

Dans la loi ivoirienne, le Directeur de publication intervient bien avant la mise en place de l’équipe rédactionnelle, avant même l’existence juridique du titre.

Aussi, dans le cadre des formalités en vue de la naissance juridique d’un titre de presse, la loi oblige le Directeur de publication à remplir les formalités de déclaration du titre auprès du Procureur de la République dans le ressort duquel se trouve le siège de son journal.

Dans ce dossier, devront figurer des renseignements sur son identité complète, son casier judiciaire ainsi qu’un engagement écrit signé de lui, à respecter la convention collective annexe des journalistes professionnels et professionnels de la communication. La déclaration de publication faite, le récépissé de parution délivré par le procureur, porte le nom du directeur de publication.

En tant que responsable du contenu, c’est lui qui répondra des contentieux liés au contenu du journal.

Il veille au respect de la distinction entre l’information et la communication publicitaire dans les colonnes du journal et s’assure que sa rédaction compte des journalistes professionnels dont obligatoirement le rédacteur en chef, le rédacteur en chef adjoint ou le secrétaire général.

A l’endroit de ses collaborateurs, les journalistes et professionnels de la communication, le Directeur de publication doit savoir garantir la liberté d’accès à l’information publique, la liberté de traitement de l’information ainsi que le droit à la protection des sources.

Toutefois, il doit savoir recadrer ses collaborateurs lorsqu’il s’agit du respect des lois et règlements de la République, des droits et libertés d’autrui ainsi que des règles déontologiques de la profession.

En rapport avec les lecteurs, le Directeur de publication doit veiller à la bonne application des règles du droit de réponse prévues aux articles 57 et suivants de la loi sur la presse.

En l’occurrence, il doit veiller à l’insertion des réponses dans les délais et conditions prévus par la loi. Il se souviendra que toute réaction et commentaire à un droit de réponse sont interdits. Il en est de même de l’interdiction de publier un droit de réponse dont son journal n’est pas destinataire.

C’est donc pour toutes ces raisons que le Directeur de publication est l’interlocuteur privilégié du Conseil national de la presse (CNP).

Les paradoxes de l’exercice de la fonction de Directeur de publication

La fonction de Directeur de publication, telle que prévue par la loi sur la presse suscite des interrogations au regard des deux principaux paradoxes qui l’entourent.

Le premier c’est que le Directeur de publication n’a pas l’obligation statutaire d’être journaliste professionnel. Le deuxième résulte du conflit de compétences entre la fonction de Directeur de publication et celle d’éditeur.

Contrairement au droit français qui place le Directeur de publication dans la position du propriétaire du journal sinon à tout le moins de son représentant légal, le droit ivoirien situe rigoureusement parlant, le Directeur de publication dans le rôle d’employé ou d’élément extérieur à la rédaction sauf lorsqu’il y a fusion entre la personne du directeur de publication et celle de l’éditeur. Ainsi, il a été donné au CNP de constater pour ce qui concerne la Côte d’Ivoire, que bien de journaux de taille relativement modeste ont pour Directeur de publication le fondateur de la publication, tandis que les grands journaux sont animés par des Directeurs de publication, employés, ou étrangers à la rédaction.

Au-delà, il faut retenir, sur cet aspect, que la loi de 1991 sur la presse était beaucoup plus favorable au Directeur de publication en ce qu’il était obligatoirement, un associé, actionnaire de la société éditrice du journal. Cette approche avait pour avantage de placer le Directeur de publication au cœur de l’activité. Ce qui pouvait constituer une source de motivation et d’intérêt dans l’accomplissement de ses missions.

Cette disposition n’a pas été prise en compte dans la loi de 2004 sur la presse qui a ainsi dilué la contenance de la fonction de directeur de publication. Et c’est avec beaucoup de peine que le CNP a vu des directeurs de publication remerciés par les éditeurs, conformément aux lois sociales certes, mais sans aucune véritable protection de la loi sur la presse.

Ces licenciements ou changements de statut créent régulièrement des conflits entre le directeur de publication et l’éditeur sur la propriété du titre.

Outre cet aspect, il nous semble plus qu’opportun que le Directeur de publication soit un journaliste professionnel expérimenté.

Il gagnerait même à être spécialisé comme éditorialiste car en tant que principal animateur de l’équipe rédactionnelle, il est le premier en charge du respect de la ligne éditoriale.

Sans expérience, en journalisme, comment pourrait-il animer au mieux une conférence de rédaction, comprendre les propositions d’articles des journalistes, choisir l’angle des articles à réaliser, savoir relire les articles proposés par les rédacteurs et les retravailler éventuellement.

S’il n’est pas un professionnel comment peut-il valablement assumer ses responsabilités éditoriales et en répondre devant les juridictions ?

Si par extraordinaire le Directeur de publication ne devrait pas être un journaliste, il devra justifier de solides connaissances en la matière et être très cultivé.

S’agissant de l’éventualité de conflit entre le Directeur de publication et l’éditeur sur la propriété du titre, il faut noter qu’il est du fait du législateur lui-même qui dans son silence ou ses hésitations, a créé des contradictions.

En effet, il paraît tout à fait paradoxal que le directeur de publication signe une lettre d’engagement à respecter la convention collective annexe des journalistes au sein d’une entreprise dans laquelle il est lui-même un employé. Or, l’application de la convention collective est une activité de gestion financière que ne saurait assumer un employé. Un tel engagement relève, en principe, de la compétence du gérant de la société ou du représentant légal.

Ensuite, le récépissé délivré par le parquet porte le nom du directeur de publication. Or, une fois que toutes les démarches effectuées auprès du Procureur de la République, le directeur de publication est ramené, dans bien de cas, au rang d’un simple employé de l’entreprise. Il retombe, si l’on peut s’exprimer ainsi, dans l’anonymat.

Au regard de ce qui précède, nous estimons que le directeur de publication doit bénéficier d’un meilleur statut que celui conféré par la loi de 2004 sur la presse. Le débat mérite d’être mené dès maintenant et c’est à cela que je voudrais nous engager tous autant que nous sommes.

Merci de votre aimable et soutenue attention !