Un internaute, un cyberactiviste anti-Affi notoire dont nous taisons le nom, a publié il y a quelques jours un post incendiaire contre le président du FPI. Voici ce qu’il dit en substance: « Sous le fallacieux prétexte d’une nécessité non moins politicienne, de s’adresser, visiblement pour les besoins de sa cause, aux Secrétaires nationaux chargés des fédérations, le Président AFFI, selon le compte rendu de Notre Voie, quotidien officiel du Front Populaire Ivoirien du jeudi 21 août 2014, s’est autorisé de graves propos, entre autres, du type :
- Faut-il changer la ligne du parti ?
- Faut-il gérer le parti comme un syndicat ou tirer les leçons du passé ?
- Je sais les erreurs que nous avons commises et que nous ne devons pas répéter.
- Certains parmi nous croient dur comme fer que nous n’avons aucune responsabilité dans ce qui nous est arrivé.
- Nous devons avoir la force de reconnaître notre part de responsabilité dans la situation qui nous est arrivée.
- Le FPI est face à son destin ».
Et notre Analyste improvisé de conclure qu’il y a lieu pour tous d’apprécier ensemble « la gravité toute particulière de ces propos que rien, absolument rien, ne saurait justifier, ni excuser ». Pour lui, AFFI avouant clairement dans ses déclarations « les responsabilités» du FPI n’aurait fait qu’établir la responsabilité de Laurent GBAGBO dans les faits à lui imputés par la CPI. Poursuivant sur sa lancée, il se pose ensuite cette question, entre autres interrogations: “Que veut dire gérer le parti comme un syndicat?”. Nous allons donc tenter de lui répondre ici.
La différence entre une organisation syndicale et un parti politique est fondamentale; en un mot, la politique n’est pas du syndicalisme. Le syndicalisme est confronté aux conséquences des décisions en matière de fiscalité, de transports, de santé, d’éducation, de logement, d’emploi, de fonction publique, etc. et son action se situe dans la sphère des politiques publiques. Il lutte pour la défense des intérêts matériels et moraux de ses membres, l’amélioration de leurs conditions de vie et de travail.
C’est en fonction de ses préoccupations corporatives que très souvent les syndicats interfèrent dans les débats et affrontements politiques qui caractérisent le monde moderne. Ainsi, en France par exemple, les syndicats avaient protesté contre le 13 mai 1958, appelé à la grève contre la semaine des barricades et le putsch du quarteron de généraux en Algérie, CGT et CFDT avaient appelé après le 21 avril 2002 à faire barrage à Jean-Marie Le Pen. Sur le plan international, les prises de position sur l’Espagne de Franco, le coup d’État de Pinochet, la guerre du Vietnam, l’état de guerre en Pologne, l’Irak, relèvent de la solidarité constitutive du mouvement ouvrier. Le Léninisme, le Communisme, le Travaillisme, le Socialisme sont des idéologies nées du syndicalisme bien qu’ayant forgé leurs spécificités.
La politique va au-delà des intérêts d’une corporation, d’un groupe ou d’une entité donnée. Elle est principalement ce qui a trait au collectif, à une somme d’individualités et/ou de multiplicités. C’est dans cette optique que les études politiques ou la science politique s’élargissent à tous les domaines d’une société (économie, droit, sociologie, etc.). Dans une acception beaucoup plus restreinte, la politique, au sens de Politikè, ou d’art politique se réfère à la pratique du pouvoir, soit donc aux luttes de pouvoir et de représentativité entre des hommes et femmes de pouvoir, et aux différents partis politiques auxquels ils peuvent appartenir, tout comme à la gestion de ce pouvoir.
Que veulent donc ceux qui combattent Affi? Que le FPI fonctionne comme un syndicat? Que le parti se batte contre sa Direction pour des problèmes de postes des militants? Qu’il s’enferme dans une logique revendicative face au pouvoir en faisant planer des menaces de manifestations, grèves, marches, meetings et sit-in pour faire aboutir ses exigences? Qu’il engage un bras de fer avec la CPI pour exiger la libération de Laurent Gbagbo?
Contrairement à un syndicat qui ne vise pas à conquérir le pouvoir d’état, à édicter les règles générales de fonctionnement d’un pays au plan national et international, le FPI reste un parti politique qui lutte pour y accéder en vue de l’application de son programme de gouvernement et de la réalisation de son projet de société. Si donc aujourd’hui, il lutte pour la libération de Laurent Gbagbo et de tous les autres détenus, le dégel des avoirs, le retour des exilés et réfugiés, la restitution des biens, la constitution d’une CEI indépendante, équilibrée et consensuelle, il ne doit pas cependant perdre de vue les actions et objectifs qui fondent sa création.
D’une part, la libération de Laurent Gbagbo est un devoir et une impérieuse exigence. Mais comment le parti peut-il favoriser sa libération si nous radicalisons notre lutte sans aucune projection et sans perspectives? La Procureure de la CPI est en difficulté dans le dossier d’accusation, il y a des failles que la défense exploite pour démontrer l’innocence de notre président. Où serait donc le mal si Affi oriente les activités du FPI selon les instructions des Avocats pour faciliter leur travail en vue d’obtenir une liberté provisoire ou conditionnelle? Il nous faut multiplier les initiatives d’apaisement pour mettre la CPI en confiance. Les agitations, les gesticulations et les vociférations nuisent à notre cause. L’extrémisme ne peut que conduire le FPI à sa perte. C’est par des stratégies d’apaisement, des actions souterraines d’approche, d’explication et de lobbying que notre combat pourra aboutir.
D’autre part, la négociation avec le pouvoir en place est une nécessité et une source de solutions. La profonde dégradation que subit notre pays, la désastreuse situation que vivent les populations ivoiriennes depuis le 11 avril 2011 imposent au parti l’urgence d’établir un dialogue solide et constant avec le régime pour ensemble discuter des mesures idoines à prendre afin de conduire la Côte D’Ivoire à la paix et à la réconciliation. Il nous faut un dialogue franc et sincère avec les tenants actuels du pouvoir, mener avec eux des négociations constructives et sans compromission pour sortir définitivement de la crise. Engagé donc sur plusieurs fronts, le FPI ne doit pas se satisfaire de revendications comme un syndicat mais faire des propositions et rester conscient des motifs et objectifs qui fondent sa création. Non, le FPI ne peut prendre le risque de se trahir lui-même en fonctionnant comme un syndicat. Ni aujourd’hui, ni demain.
Océane Yacé, Politologue
Monaco ; oyace84@gmail.com