(Zaouli, septembre 2013) – Enseignante à l’Université Félix Houphouët-Boigny, au Département d’anglais de la Faculté de Lettres, Fatou Kéita est une figure marquante de la littérature ivoirienne. Auteure prolifique, elle a une bibliographie étoffée dans laquelle les livres pour enfants occupent une bonne place. Actuellement conseiller auprès du Président de l’Assemblée Nationale, «la grande fée des lettres ivoiriennes» s’est ouverte à ‘’Zaouli’’, de son art.
Interview réalisée par Foua Ernest de Saint Sauveur
Fatou Kéita, il y a des décennies que vous êtes entrée en littérature. En Côte d’Ivoire, vous en êtes une des figures emblématiques, mais beaucoup vous voient comme une écrivaine de littérature enfantine, spécifiquement. Ça vous agace ?
Je ne vois pas pourquoi je m’offusquerais de ce qu’on m’appelle “celle qui met des étoiles dans les yeux des enfants” ou encore que l’on dise : “Si les fées écrivaient, elles l’imiteraient!”. J’adore écrire pour les enfants et je crois que je le fais bien, alors? J’y trouve mon bonheur et je donne du bonheur. Comme je le dis souvent, l’écriture pour la jeunesse est un art qui n’est pas donné à tout le monde, alors que n’importe qui, avec un bon niveau de langue peut produire un roman ou un essai. Tout de même, et je crois que vous êtes bien placé pour le savoir, mes deux romans ont très bien marché, ici comme à l’international. Mon premier roman, ‘’Rebelle’’, est au programme des collèges et le deuxième, ‘’Et l’aube se leva’’, est également un grand succès de librairie. Je travaille sur un troisième roman. Finalement, les deux genres marchent bien pour moi. Les livres de jeunesse sont simplement plus visibles puisque j’en ai publiés beaucoup.
Comment expliquez-vous la prédominance d’ouvrages pour enfants dans votre bibliographie ? D’où vous vient cette motivation d’écrire pour les enfants ?
J’adore les enfants et leur milieu! J’aime leurs petites “bouilles” sympathiques et leurs paroles innocentes et souvent pleines de sagesse. J’aime les livres pour enfants et je me fais plaisir en même temps que je fais rire et sourire les gamins ! Quelque part, j’ai gardé mon âme d’enfant et crois que c’est ce qui me fait réussir dans ce domaine. (Comme les enfants, beaucoup d’adultes aussi apprécient mes livres pour la jeunesse. Ils trouvent que ce sont des histoires plaisantes à raconter !)
A l’Université Félix Houphouët-Boigny d’Abidjan, vous enseigniez autant à des adolescents qu’à des adultes ; et puis, au plan littéraire, vous écrivez pour les enfants. Est-ce qu’il y a deux manières distinctes de s’adresser à ces deux catégories d’individus ?
Je crois que tout est dans la manière de dire. On ne parle pas à un enfant comme on s’adresse à un adulte. Pour le choix des thèmes, ils peuvent être graves pour les enfants également. C’est surtout la façon de dire qui diffère, je pense. Moi, écrire pour les enfants me vient naturellement ; essentiellement, je crois, parce que je connais bien ces chérubins, je sais ce qui les fait rire, ce qui les remuent. Ecrire pour les adultes est plus dur en ce sens que les thèmes que j’aborde sont souvent difficiles. C’est sûrement parce que ces thèmes me font souffrir que j’en parle.
Comment se fait le choix des thèmes de vos livres, selon que vous décidez d’écrire pour les enfants ou pour les adultes ?
L’inspiration vient comme elle vient. Je ne sais pas expliquer comment. Une image, un événement, une parole, etc., peuvent servir de déclencheur ! En ce qui concerne le roman, l’être humain m’intéresse dans sa complexité. Je m’en étonne. Parfois, on désespère de l’Homme et cela m’interroge.
Dans votre lot de livres pour enfants, ‘’Le Petit Garçon Bleu’’ semble occuper une place spéciale, ne serait-ce que par le fait qu’il a connu des traductions à l’étranger…
‘’Le Petit Garçon Bleu’’ est un beau livre avec un thème fort, un thème universel, celui de la différence. C’est une histoire que l’on aime parce qu’elle est bien écrite, elle est émouvante. Elle ne laisse pas indifférent. Elle a été lue récemment en italien, lors d’un de mes séjours à Rome, et je peux vous dire que toute la salle était émue et moi de même ! Il m’est très spécial car c’est mon tout premier livre, mon livre porte-bonheur. Il a remporté deux prix internationaux. Le thème de la différence, m’interpelle et j’y suis très sensible puisque j’ai grandi avec un frère dans un fauteuil roulant et que ma petite-nièce de 5 ans, mon petit amour, est IMC (infirme moteur cérébral). Ce sont des accidents de la vie et il faut faire avec. Il faut aimer et respecter l’autre dans sa différence.
Quel regard portez-vous sur la littérature ivoirienne ?
Je pense qu’il y a des œuvres de très belle facture et c’est encourageant, mais je note également de nombreuses publications ces derniers temps qui font honte. Certains éditeurs devraient être plus regardants sur la qualité des écrits qu’ils publient. Il y va de leur crédibilité, il y va de l’intérêt des lecteurs et du respect qu’ils leur doivent. On ne devrait pas livrer n’importe quoi au public. Franchement, certains de ces écrits ne méritent pas d’être publiés. Dire à un auteur de revoir sa copie quand cela se justifie, c’est lui rendre service. Il faut rester humble quand on écrit, relire son texte mille et une fois pour l’améliorer et se faire relire. La langue française est difficile et il faut la maîtriser un tant soi peu, pour prétendre écrire. Cela dit, il faudrait aussi que ces éditeurs fassent leur travail correctement au lieu de publier n’importe quoi.
Avez-vous le sentiment que chez nous, en Côte d’Ivoire, la culture reçoit les attentions qu’elle devrait recevoir des autorités ?
Ça commence enfin à venir! Il ne faut pas que je sois ingrate puisque j’ai été décorée plusieurs fois. Je suis Commandeur dans l’Ordre du Mérite Culturel et également dans l’Ordre National. L’actuel Ministre de la Culture, Maurice Bandaman, a beaucoup fait pour les écrivains, il faut le reconnaitre. Mais, tout de même, aucun président n’a reçu un écrivain comme on a reçu l’athlète Murielle Ahouré, le footballeur Didier Drogba, le chanteur Asalfo, etc. Les footballeurs sont gâtés quand ils remportent un match ! Ils jouent pour la nation, nous dit-on. Certes, mais nous aussi nous écrivons pour la nation et même pour le monde entier, et nos livres nous survivrons !
Vous assumez actuellement la fonction de Conseiller auprès du Président de l’Assemblée Nationale. Avec quelles motivations avez-vous accepté cette responsabilité ?
Le Président de l’Assemblée avait un souci, celui de faire lire les gens, de donner le goût de la lecture aux uns et aux autres. L’écrivain que je suis ne pouvait qu’accepter ce challenge. J’ai donc décidé de commencer par tenter de faire lire les Honorables en premier. J’ai donc proposé ce projet de bibliothèque à l’Assemblée Nationale. J’ai demandé la participation des écrivains à cette aventure et beaucoup y ont adhéré en offrant, comme je l’avais suggéré, un livre dédicacé pour démarrer cette belle entreprise et ainsi “contraindre” l’hémicycle à lire et à donner ainsi l’exemple. Tout le monde y gagnera : les lecteurs, les écrivains, l’industrie du livre, le pays ! Je m’attelle à ce projet et je sais qu’il portera fruit.
Si vous n’aviez pas été écrivain, à quel autre art serait allé vos faveurs ?
Réalisatrice. J’aurais aimé réaliser des films. Il y a d’ailleurs un bon moment que je souhaite faire de mes albums de beaux films d’animation. Mais cela viendra…
Interview réalisée par Foua Ernest de Saint Sauveur