« Je ne conteste pas Ouattara, mais au nom de la paix, je ne peux pas admettre que Gbagbo soit en prison à La Haye »
(Le Nouveau Réveil, 12 décembre 2013) – Président du mouvement de l’Union des patriotes pour la libération totale de la Côte d’Ivoire, cadre du Fpi, Eugène Djué, est l’un des proches de l’ex régime déchu qui a embouché la trompette de la réconciliation, au lendemain du 11 avril de 2011. Mais cela fait quelques mois qu’il s’est éclipsé. Dans cette interview, il revient sur ses actions et non sans interpeller ses camarades militants sur certaines de leurs attitudes qui écorchent la paix et la réconciliation.
Le Nouveau Réveil: Eugène Djué, au lendemain du 11 avril qui a marqué la fin de la crise postélectorale, l’on vous a senti très actif dans le processus de réconciliation. Vous étiez l’une des premières personnalités du régime déchu à avoir approché le nouveau pouvoir pour entamer des actions de réconciliation et de paix avec les jeunes miliciens. Mais après, vous êtes retiré de la scène politique. Qu’est-ce qui s’est passé ?
Eugène Djué: Je voudrais faire deux rectificatifs avant tout propos. N’appelez plus ces jeunes là, des miliciens, mais plutôt de ex combattants. Ensuite, vous dire que je n’ai pas disparu de la scène politique. J’ai juste changé de démarche. Ces derniers mois, je n’étais pas très présent dans la presse pour des convenances personnelles. Je crois que, par ce silence, je respectais la mémoire des nombreuses victimes de la crise postélectorale. En plus, je pense que c’est dans cette discrétion que je pourrai être plus efficace. C’est ce que j’ai essayé de faire, donc ce n’est pas un retrait de la scène politique comme on peut le penser. Il faut préciser que la Côte d’Ivoire a traversé une situation inédite. Une situation dont malheureusement, beaucoup de personnes n’ont pas encore pu apprécier la gravité. De ce fait, elles n’ont pas compris les actions que nous avons menées ça et là.
Au lendemain du 11 avril, il faut savoir que le pays était exposé à tout. Un régime venait de s’écrouler et un autre régime tentait de s’installer, dans ce contexte assez difficile que tout le monde connaissait. Suite à cette crise profonde que venait de connaître la Côte d’Ivoire, il s’est créé un vide dangereux, alors que vous savez que la nature a horreur du vide. Il fallait très rapidement se mettre au dessus de toutes les contingences, les frustrations, pour aborder la situation de façon politique et agir. J’avoue que je me suis appuyé sur la déclaration du président Gbagbo qui disait et je cite’’. La phase militaire est terminée, il faut faire face à la phase civile’’ ; ce qui voulait dire qu’il fallait que nous nous rencontrions politiquement pour résoudre ce problème. J’ai décidé de m’engager, pensant que tous mes amis étaient là et qu’après la déclaration, nous allions nous rencontrer pour qu’ensemble nous engagions cette phase que venait d’indiquer le président Laurent Gbagbo qui s’imposait à nous, si on ne voulait pas tous mourir. C’est pourquoi, j’ai fait une déclaration, le 13 avril, et je suis ensuite sorti, le 14 avril, pour prendre langue avec les jeunes combattants de Yopougon ; et ensuite, avec les combattants des Frci avec qui nous avons discuté pour vider les poches de résistance et de combats qui existaient à Yopougon et dans plusieurs quartiers. Ceci, pour éviter que la situation se dégrade. Je dis que nous avons eu raison, quand vous regardez ce qui se passe aujourd’hui en Centrafrique. La situation aurait duré et cela se serait élargi à d’autres communes et continué à faire dégrader la situation qui allait encore causer d’autres morts. Pour moi, si c’était à refaire, je le ferais. Je suis heureux d’avoir pu contribuer à limiter les dégâts. Des gens nous disent que, malgré cela, les exactions ont continué. Mais, nous disons aussi que, grâce à notre action, nous avons limité les dégâts, les morts. Et ce qui a fondé notre action. Quand j’ai rencontré le commandant Cherif Ousmane, il m’a dit ceci’’ : « Marechal, vous devez savoir que quand on fait la guerre, c’est pour qu’il y ait le moins de mort possible. Que devons nous faire pour que les fusils s’arrêtent, les tueries s’arrêtent et que les jeunes de Yopougon déposent les armes et qu’on les sécurise’’ ?
Vous disiez tantôt que vous pensiez que vos camarades étaient là. Est-ce à dire que certains de vos amis vous ont combattu dans cette démarche ?
Non, ce n’est pas ce que je voulais dire. Le 13 avril, je ne savais pas que tous les camardes des mouvements de soutien au président Laurent Gbagbo étaient sortis du pays. La rumeur nous donnait tous morts. Mais comme j’étais vivant, je pensais aussi qu’ils étaient tous vivants. Mais, c’est après que j’ai su qu’ils étaient tous hors du pays.
Quel bilan, pouvez vous faire de toutes ces actions que vous avez menées depuis ce 13 avril 2011 jusqu’à ce jour ?
Pour dresser un bilan, il faut d’abord savoir quels étaient nos objectifs en nous engageant dans cette voie. Le premier objectif était de créer l’accalmie, faire cesser la violence pour qu’une fois la situation clarifiée, nous puissions mener des débats politiques. Ce premier objectif a été rapidement atteint entre le 13 avril et le 29 avril 2013. Nous avons pu, sur l’ensemble du territoire d’Abidjan, réussir à normaliser la situation en faisant cesser les tirs. Ensuite, les jeunes combattants avaient posé quelques exigences avant de déposer les armes. Ce que moi, j’appellerais plutôt des préoccupations. Certains avaient demandé un cessez le feu pour qu’ils partent. Mais, nous avons demandé qu’ils se fassent identifier pour qu’on les suive. Finalement, certains ont refusé et, nous les avons laissé partir. Tous ceux, qui ont pu se faire identifier, valaient environ 3000 à 3500. L’objectif était de les suivre. Ensuite, pour qu’ils soient pris en compte dans le processus Ddr (Désarmement, démobilisation et insertion). Nous avons donc pour sécuriser ces jeunes que nous avons cantonnés, au camp de la Bae à Yopougon. Après cette démarche, il faut dire qu’une situation floue s’est déclarée, alimentée par des attaques, des violences. Les dénonciations calomnieuses, les délations, aidant, certains de ces jeunes ont été pris et jetés en prison. Nous nous sommes battus pour que certains sortent, mais pour d’autres, nous n’avons pas encore pu parce que nous n’avons pas suffisamment d’informations pour défendre leur cas. Aujourd’hui, on peut donc dire qu’il y a eu des objectifs à court terme qui ont été atteints. Les objectifs à moyen et à long termes, comme leur réinsertion dans le processus Ddr, nous les suivons. Nous disons que nous enregistrons un bilan positif de notre action. Ce qu’il faut retenir, c’est que si nous n’étions pas intervenu, il aurait eu un drame à Yopougon.
Mais malgré ces actions que vous venez de décrire, vos camarades des mouvements patriotiques et même du Fpi, qui étaient à l’extérieur, vous ont critiqué. Il était dit que vous auriez été acheté par le pouvoir Alassane Ouattara pour mener ces actions. Aujourd’hui, deux ans après, quel commentaire Eugène Djué peut-il faire de ces critiques ?
J’ai entendu que j’ai reçu 100 milliards et que j’aurais remis 50 millions à Maguy le Tocard. Mais un mois après ces rumeurs, Maguy meurt, et ces mêmes personnes, qui faisaient courir ces rumeurs, disent que Maguy avait besoin d’un million pour se soigner et qu’il serait mort parce que je n’ai pas pu lui donner cette somme. Vous voyez que c’est ridicule. Vous comprenez que la situation, que nous avons connue, a causé beaucoup de traumatisme. Des amis ont pu dire des choses à un moment donné parce que manquant d’information ou étant dans le feu de l’action. Je pense qu’aujourd’hui, une seule des personnes, qui diffusaient ces rumeurs, ne peut encore affirmer qu’Eugène Djué a été acheté. Pendant que les gens faisaient passer ces informations, il y avait des jours où nous nous levions à Abidjan et nous n’avons même pas une pièce d’argent pour acheter de quoi à manger ou du carburant pour circuler. D’ailleurs, mes enfants que la plupart de ces personnes qui parlent connaissent, n’ont pu aller à l’école pour faute de moyens financiers. C’est malheureux de le dire, mais ce que ces personnes racontent rentre dans ce que je peux appeler la logique du combat interne. On peut donc résumer cette situation à deux niveaux : d’abord, on parle d’Eugène Djué par ignorance, et ensuite, par mauvaise foi parce qu’ils savent que c’est faux, mais ils le disent parce qu’ils veulent me dénigrer.
Donc, vous n’avez pas été approché par le pourvoir actuel ?
Non, le seul contact que j’ai eu avec les tenants du pouvoir actuel, c’était pour parler de la crise. Et nous l’avons fait avec des commandants des Frci. Ce qui nous a permis de travailler dans le sens de la normalisation. Personne ne m’a donné un centime. Il n’a jamais été question d’argent entre le pouvoir actuel et moi.
Vos amis de la Majorité présidentielle disent de vous que vous avez trahi la lutte parce que vos positions sont vraiment opposées. Pendant qu’ils dénoncent ce qu’ils appellent coup de force de la communauté internationale et réclament à cor et à cri la libération de Laurent Gbagbo, vous, vous alliez avec le nouveau pouvoir pour parler de réconciliation.
Je ne comprends pas ; on en veut à quelqu’un parce qu’il parle de paix et réconciliation ? Mais ceux qui parlent ainsi, personne d’entre eux n’a jamais pris les armes pour tenter d’aller libérer Gbagbo. Avant d’être à La Haye, Gbagbo était à l’hôtel du Golf, ensuite à Korhogo, mais je n’ai vu personne oser aller le libérer avec des armes. C’est avec le dialogue, les discussions. Nous avons discuté. Après avoir réussi à normaliser la situation à Yopougon, nous sommes allé discuter avec le ministre Jeannot Ahoussou Kouadio et Hamed Bakayoko pour que nos camarades, qui étaient à l’hôtel La Pergola, soient libérés. Ils étaient au nombre de 32 personnalités.
Malgré cela, ils ont été envoyés dans des prisons au Nord du pays ?
Laissez moi vous expliquer aujourd’hui pourquoi nos amis ont été emprisonnés. Dans nos démarches auprès des nouvelles autorités, nous avons demandé à ce que nos amis, qui étaient à la Pergola, soient libérés. Le Premier ministre, Soro Guillaume, les ministres Ahoussou Jeannot, Ahmed Bakayoko, nous avaient promis la libération d’une première vague de 17 personnalités. C’est nous même qui avons fait les listes, et ensuite il était question de libérer la deuxième vague à qu’il était demandé de faire des demandes individuelles de libération. La première vague a été libérée. Au moment où nous attendions la libération de la deuxième vague, nous apprenions que nos camarades sont entendus par des juges. Et le lendemain, ils ont été transférés à Bouna. Quand nous sommes allés aux informations, on nous a dit que nos avocats se seraient allés se plaindre de ce que ces camarades sont détenus injustement sans avoir été entendus par un juge. Et qu’il y a violation des droits de l’Homme et qu’à partir de là, il fallait que des juges les entendent pour mettre fin à l’illégalité qui existait. Donc, quand on entend un prévenu, c’est la mise sous mandat de dépôt. Le mandat de dépôt conduit donc à un centre de détention. Cela nous a choqué parce que nous étions en bonne voie pour faire libérer tous ceux qui étaient à la Pergola.
« L’arrogance et la violence ne nous ont pas servis »
Quelles sont vos relations avec le Fpi, aujourd’hui ?
Je suis militant du Front populaire ivoirien.
Mais, l’on vous sent un peu en retrait des activités de ce parti ?
C’est vrai, je ne suis plus très actif. Mais après la crise, vous m’avez vu en activité parce que je faisais partie de la direction intérimaire. Maintenant, je fais partie de cette direction, mais je reste militant de base. N’oubliez pas que je fus représentant du Fpi en Europe. Je suis militant Fpi et je n’entends pas partir de ce parti pour lequel j’ai fait des sacrifices énormes.
Que répondez-vous à certains de vos camarades qui disent que vous êtes éloigné du combat actuel, celui de faire libérer Gbagbo et tous les autres militants du Fpi qui sont en prison ?
Qu’est-ce qu’ils appellent éloigné du combat ? C’est quel combat ils mènent et que nous ne menons pas aussi ? Il y a des gens qui se donnent trop d’importance. Qui aime Gbagbo plus que son camarade ? Qui a amené quelqu’un chez Gbagbo ? Nous avons adhéré au Fpi librement ; nous avons tous, individuellement, nos rapports avec Gbagbo. Personne n’est parrain de quelqu’un au Fpi. Pourquoi vouloir juger son ami ? Il faudrait qu’on sache d’où nous venons. Parce qu’il y a des personnes qui parlent aujourd’hui comme s’ils ne savaient pas d’où nous venons. Nous, on vient de 1990 ; et après Laurent Gbagbo, tous ceux qui sont là, nous avons le même âge de militantisme. Biologiquement peut-être, ils sont plus âgés, mais au plan politique, nous avons le même âge de militantisme. Qu’est-ce qu’on veut m’enseigner ? Personne n’a de leçon de démocratie à me donner, personne n’a de leçon de militantisme, de conviction politique, à donner. Nous, nous sommes des militants avec nos convictions. C’est pourquoi, depuis 1990, nous avons combattu, malgré toutes les pressions, les oppressions. Je n’ai pas changé ; c’est aujourd’hui, certains de nos camarades ont su que j’étais Baoulé, c’est dommage ; mais, j’étais Baoulé en 1990. Les gens veulent parler, mener les mêmes débats qu’en 2002. Ne faisons pas comme si rien ne s’est passé. Nous devons tirer les leçons de ce qui s’est passé et avancer si on veut vraiment avancer. Je pense qu’il y a une crise et que nous devons attendre le moment favorable, quand nous serons dans les instances, nous parlerons. Pourquoi vouloir juger ou faire le bilan lui seul ? Et les autres, qu’est-ce qu’ils font ? Moi, je n’ai jamais pu participer à un seul cabinet dans notre système.
Mais comme vos camarades, est ce que vous faites de la libération de Gbagbo votre cheval de bataille ?
Qui vous a dit que moi, je suis contre la libération de Gbagbo ? Regardez toutes mes déclarations. Que les gens prennent une de mes déclarations et qu’ils viennent me dire que moi, je suis contre la libération de Gbagbo. Voyez-vous, tout Ivoirien, quand il se dépouille de sa chapelle politique et des considérations partisanes, il doit appeler à la libération de Gbagbo. Car, la clé de réconciliation se trouve là. Gbagbo ne peut pas rester en prison et nous parlons de réconciliation. Il faut que les gens comprennent que départ de Gbagbo à La Haye a été une erreur et qu’on se ressaisisse tous, et qu’on reparte sur de nouvelles bases. S’il y a des gens qui pensent que demander la libération de Laurent Gbagbo, c’est insulter Alassane Ouattara, moi, je ne m’inscris pas dans cette logique. Je demande au président Alassane Ouattara d’intervenir pour qu’on libère Gbagbo ; mais, je n’ai pas le droit de l’insulter.
Donc, vous êtes contre les propos incendiaires que le président du Fpi, Affi N’guessan, tient à l’encontre du pouvoir ?
Je n’aime pas juger. C’est pourquoi, quand les autres camarades me jugent, je suis dégoûté. Je montre aux camarades la voie que je pense être la bonne : la voie de la négociation. Quand on négocie, il faut être sincère, franc avec le pouvoir. Moi, je ne conteste pas Ouattara, mais au nom de la paix, je ne peux pas admettre que Gbagbo soit en prison parce que dans cette crise que nous avons connue, il y a des têtes de pont et elles ont leurs bases ; et Laurent Gbagbo fait partie de ces têtes de pont. Le condamner, seul, consiste à condamner une partie de la Côte d’Ivoire qui est derrière lui ; et à les indiquer comme les auteurs de cette crise.
Pour vous, le Fpi doit emprunter la voie de la négociation au lieu de la belligérance pour demander la libération de Gbagbo ?
Ce n’est pas le Fpi seul, mais tous les Ivoiriens doivent comprendre que la violence ne nous a pas servis, que l’arrogance ne nous a pas servis, que les invectives et autres menaces ne nous ont pas servis car, cela a abouti à la guerre. Il faut ramener chacun à sa juste proportion pour ce qu’il pense sans insulter. On peut dire la vérité sans insulter ou sans arrogance. Et je pense que c’est ce qu’on me reproche parce que je refuse d’être arrogant et d’insulter. Au Fpi, je ne me permets pas d’insulter mes aînés donc, naturellement, je ne peux pas insulter mes adversaires politiques.
Le Fpi propose la tenue des états généraux de la République comme moyen, comme pilier de la réconciliation et la paix. Vous adhérez à ce concept ?
Nous avions proposé, en son temps, un forum bis au sortir de la crise postélectorale. Et ce, parce que nous pensions qu’après ce qui s’est passé, il était important qu’il y ait un débat national. Appelez ça comme vous voulez, mais nous ne devons pas faire comme si rien ne s’est passé. Il y a eu une crise qui a créé une fissure profonde entre les Ivoiriens. Il faut donc qu’il y ait un débat inclusif, national et ouvert. Pour moi, la réconciliation concerne tous ceux qui vivent sur le territoire national. La réconciliation n’est pas un jeu. Ce qu’il faut savoir, c’est qu’on ne peut pas se passer d’un débat national, ouvert, convoqué par les autorités, où tous les acteurs vont se retrouver pour dire leur part de vérité. Cela permettra aux uns et aux autres de s’extérioriser et d’analyser les causes profondes de cette crise et d’en sortir définitivement. On ne peut pas dire que c’est parce qu’il y a eu un forum en 2001 qu’on ne tiendrait plus un autre forum. Tout le monde s’accorde à dire que ce forum fut opportun, mais c’est parce que les résolutions n’ont pas été appliquées que nous sommes tombés dans la crise. Je soutiens la démarche d’un débat national comme exigé par le Fpi.
Donc la libération de Laurent Gbagbo, de Blé Goudé… constitue des conditions à la participation du Fpi à la prochaine présidentielle ?
Ce ne sont pas des conditions, mais une logique qu’on veut respecter. Vous savez que les mêmes causes produisent les mêmes effets ; donc, nous ne voulons pas rester dans une même situation et aller à une autre élection. Il nous faut donc régler toutes les questions qui se posaient, à savoir, les questions de la Cei, du découpage électoral. Ceci pour dire qu’il faut créer les conditions d’une élection libre, transparente et non contestable. Ce que vous devez retenir, c’est que le Fpi n’est pas contre les élections, mais est ce que nous pouvons, dans les conditions actuelles, aller à des élections ? C’est sûrement créer encore d’autres crises postélectorales ; et, c’est ce que nous voulons éviter. Les gens voient dans les crises, les questions idéologiques ou des questions inter structurelles. La crise postélectorale en Côte d’Ivoire, comme partout en Afrique, ne vient pas des questions idéologiques. Cela vient des questions de notre incapacité à accepter l’alternance, à accepter la défaite. C’est une tare chez nous d’accepter le débat, la contestation. J’en veux pour preuve les années 80 où il y a eu les élections plurielles au sein du Pdci Rda. Ce que le président Houphouët-Boigny a appelé, à l’époque, la démocratie à l’Ivoirienne. Cela a opposé des frères d’un même parti, c’est à dire du Pdci. Quand les sièges des mairies ou des députations ont été disputés, des frères du même village ne se sont plus parlé. Je suis sûr que ce qui nous a sauvés à l’époque, c’est l’esprit ivoirien qui faisait qu’on avait peur du sang ; sinon, il y aurait eu les mêmes tueries comme aujourd’hui. Je veux dire que, ce n’est pas parce que c’est le Fpi, le Rdr ou le Pdci, qu’il y a combat car, ce sont les mêmes acteurs qui sont encore là.
Lundi dernier, la direction du Fpi est allée échanger avec la direction du Rdr. Comment appréciez vous cette démarche de votre parti ?
Le plus important dans cette démarche est le contact. Ce que nous prônons. C’est pourquoi, je vous dis que personne ne pourra me dire que je suis traître. Tous ceux, qui le disaient, ont compris qu’ils avaient tort. Aujourd’hui, quand le Fpi mène ce genre de démarche vers le Rdr, nous disons que c’est ce que nous avons souhaité depuis longtemps. Nous avions demandé même au président Alassane Ouattara de faire des démarches vers son frère, le président Gbagbo, que ce soit à Korhogo ou à La Haye. Nous avions demandé au président Charles Konan Banny, qui dirige la Cdvr, d’aller rencontrer le président Laurent Gbagbo. Pour moi, les choses avancent, et ce premier contact est déjà bon. Ce contact va briser les murs de méfiance et ça va établir la confiance. Plus il y a des contacts, moins il y a des risques de clash. Des débats politiques peuvent se dérouler au sein des instances des partis, mais que cela ne soit pas mal interprété car, c’est la démocratie. Je me rends compte qu’on parle toujours de démocratie, mais personne ne veut son application et personne ne veut qu’elle s’applique à lui. Moi, je vous dis que le Fpi, le Rdr, le Pdci et tous les autres partis politiques ont compris que c’est dans la paix, dans l’accalmie, que nous pourrions faire, dans la sérénité, la politique. C’est notre objectif depuis longtemps. C’est pourquoi, nous, nous avons œuvré pour que les affrontements cessent et qu’on crée un cadre de débat politique. Nous sommes tout droit dedans et cela me réjouit.
Interview réalisée par JEROME N’DRI