(Le Patriote du 29 septembre 2010) – La foi en Dieu et la conviction que l’homme possède une âme qui émane de lui n’ont jamais cessé d’habiter les fidèles Déhima depuis que la prophétesse Bagué Wlonyo a fait naître la lumière à Gagoué dans le département de Lakota. En créant l’église du Déhima, il y a quatre vingt huit ans. En cette terre sainte, sa mémoire vit encore. Mais au delà, la foi Déhima, s’est perpétuée à travers l’œuvre des « enfants » de la prophétesse qui ont poursuivi l’implantation de l’Eglise. Notre pèlerinage.
Dans le département de Lakota, le village de Gagoué n’est pas un lieu banal. C’est la terre où l’église du Déhima a été portée sur les fonts baptismaux, en 1922, par une âme gagnée à Dieu. Il s’agit de feue Bagué Wlonyo née le 10 août1892 et rappelée au Tout-puissant, le 23 janvier 1951 dans sa cinquante-neuvième année. Plus d’un demi-siècle après la disparition de Guigba Dawlon à l’état civil, la mémoire de la fondatrice du Déhima vit toujours à Gagoué et même au delà des frontières ivoiriennes. Chaque année, des dizaines de milliers de fidèles du monde se déplacent en ce lieu saint des Déhima, pour se recueillir sur sa tombe. Le 23 janvier 2010, les « enfants » de la prophétesse y ont organisé le 59 é anniversaire de la mort de cette grande figure du christianisme africain. L’Eglise Déhima, première église réveillée de Côte d’Ivoire est dans sa 88é année d’existence. A ce titre, elle est vieille de douze années que le clergé ivoirien qui totalise cette année 76 ans. Cependant, l’histoire de la « doyenne » des religions chrétiennes de Côte d’Ivoire reste méconnue du monde religieux chrétien par la grande majorité des Ivoiriens, aujourd’hui plus familiers des Catholiques, des Evangéliques et des Protestants. A l’occasion donc du 59é anniversaire du décès de Bagué Wlonyo, qui aurait eu 118 ans cette année si elle vivait encore, nous avons voulu savoir ce qui reste réellement de son héritage spirituel.
La victoire de la foi sur les ténèbres
En foulant la terre bénie de Gagoué dans la sous préfecture de Niambézaria, par un jour ordinaire, le visiteur est frappé par la sobriété de ce village de près de 600 âmes. Pas d’électricité, pas d’adduction d’eau potable, pas d’école primaire, ni de dispensaire. Ces commodités du monde moderne qui caractérise le développement, sont encore inexistantes dans ce gros village. Les enfants de ce village, en 2010, sont toujours obligés de parcourir un kilomètre à pied tous les jours ouvrables pendant l’année scolaire pour se faire instruire à Niambézaria. Une réalité qui contraste, à priori, avec la notoriété de la plus célèbre des femmes de ce village, en l’occurrence feue Bagué Wlonyo, fondatrice de l’église du Déhima. En dehors de la pompe villageoise et de l’allure quelque peu moderne des concessions, la rupture entre les vieilles traditions et le modernisme se fait désirer encore. Gagoué, apparemment, semble encore sous le poids de ses vieilles traditions.
Pourtant, ce village encore authentique, reste le plus visité par au moins 20.000 fidèles de l’église Déhima qui viennent y effectuer leur pèlerinage annuel. 59 ans après le décès de celle qui a fondé la première église de Côte d’Ivoire, aucun changement notable ne s’est opéré dans son village, en terme de mieux- être des populations. Cependant, au plan spirituel, Gagoué a fait sa mue. Même si pour tout symbole, l’on aperçoit qu’une petite chapelle et une sépulture au milieu du village. « Bagué Wlonyo a reçu un appel de Dieu pour montrer la lumière aux hommes, pour faire triompher le bien sur les forces du mal, sur les ténèbres », déclare le Lézé Alétri Joël, membre du comité national Déhima, en poste à la paroisse du saint siège à Gagoué. Selon ce dignitaire Déhima, avant l’entrée en scène de Bagué Wlonyo, Gagoué et les villages environnants que constitue le canton Lébié, étaient une forteresse imprenable des féticheurs. Aussi les fétiches et les interdits régnaient –ils en maître dans cette petite cité qui était sous l’emprise des forces des ténèbres les plus obscures. Aux dires des anciens que nous avons interrogés sur place, les esprits malfaisants étaient particulièrement doués dans ce village pour les sortilèges de toutes sortes. « Gagoué était animistes. Nous avions dans ce village des féticheurs de renom comme Toti Sokouri qui pouvait se transformer en panthère et attaquer un village ou encore saboter les récoltes des villageois», rapporte un vieillard qui reconnaît, par ailleurs, qu’il ne reste plus rien de ces forces occultes aujourd’hui. « Ce village a connu un grand bouleversement de ses traditions avec l’avènement de Bagué Wlonyo », poursuit le vieillard. En effet, lorsque la fille de Gnako Djigba (Père de la prophétesse), dans sa trentième année, prenait à rebrousse poil la tradition Godié, et que les uns la prenaient pour une folle, d’autres y voyaient plutôt la main divine qui leur envoie un messager au village.
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Même le Christ n’était pas prophète à Nazareth
Toujours est-il que l’avènement de celle que Dieu va utiliser, emprunte les voies d’un destin hors du commun. Dieu, se manifestera en elle, par le truchement d’esprits qui lui firent la révélation de sa vocation, rapporte t-on. « Au départ, ses parents n’y croyaient pas. Ils ont essayé de la marier alors que Dieu, par les esprits avait décidé qu’elle ne devrait pas se marier car Il allait l’utiliser. Ils ont essayé mais ils n’ont pas pu. Son chemin était tracé», révèle Attéby Guy Marc Diakalé, évangéliste, chargé des questions spirituelles des Déhima. En effet, l’histoire rapporte que c’est à l’âge de 16 ans que les parents de Bagué ont tenté de lui donner en mariage à un homme prénommé Kpetché N’Guessan, dans le village de Souhamaninn à Fresco. Mais celui-ci disparaîtra dans les circonstances qui ne seront jamais élucidées. Par la suite, conformément à la pratique du lévirat qui avait cours dans la région, ses parents la proposent à Beugré Lobé, frère du disparu. Ce dernier, sera aussitôt frappé de troubles mentaux et le mariage sera alors avorté. Des faits pareils ne passaient pas inaperçus dans un village. Personne n’a voulu être la prochaine victime d’un mariage impossible. Ainsi, commence la phase de possession de l’esprit divin. Bagué Wlonyo, selon des témoignages, avait des comportements inhabituels. Elle s’isolait, se négligeait et tenait un monologue permanant. « Les villageois pensaient que c’était un début de folie parce qu’elle avait les cheveux hirsutes. Mais l’esprit qui la guide ne cessait de la pousser vers Dieu », rapporte l’évangéliste Attéby Guy. Déjà, Bagué Wlonyo avait reçu la révélation du culte. « Il s’agit de la petite table recouverte d’un drap blanc, l’eau bénite, et la clochette qui forment l’autel devant lequel des fidèles se prosternent», précise Koffi Raphaël John, vice-président du comité national Déhima, chargé de la documentation. Pour le Chef suprême Déhima, Dakouri Fidèle, Bagué a incarné la vierge Marie. « Elle n’a eu ni rapport sexuel, ni enfant sur la terre des hommes. C’était une envoyée de Dieu », révèle t-il. Mais le combat contre les forces occultes n’était pas gagné d’avance pour Bagué Wlonyo qui sera banni de Gagoué ; elle qui prônait la proscription de la sorcellerie et du fétichisme dans le processus de salut de l’homme. De tels enseignements étaient tout simplement jugés scélérats. « Elle s’est alors retranchée dans le village de Niambézaria où elle continua avec dévotion l’œuvre de Dieu jusqu’à sa mort en 1951 », fait remarquer Koffi Raphaël. Bien que l’Eglise ait été reconnue, officiellement, en 1945 par arrêté général N° 2541 AP/D du 20 août 1945 en application du décret du 14 février 1922 réglementant l’enseignement et la propagande confessionnelle en Afrique occidentale française, la pratique Déhima indisposait quelque peu le système colonial en place. Si l’on en croit les dignitaires Déhima, leur prophétesse était combattue sur deux fronts. En même temps qu’elle livrait un farouche combat contre les féticheurs réfractaires à l’évangile, elle était perçue par le colonisateur comme une éveilleuse de conscience. « Elle refusa la domination du blanc sur le noir. Bagué a été très tôt une combattante pour la liberté », lui reconnaît, le vice-président du comité Déhima. A la vérité, les esprits n’étaient pas encore réceptifs aux prédications de dame Bagué. Pourtant, les Déhima s’honorent aujourd’hui que ce soit la prophétesse qui ait prédit à Félix Houphouët Boigny qu’il sera le premier président de la république de Côte d’Ivoire. C’était le 15 novembre 1948 à Divo, alors que celui-ci se battait pour l’indépendance de la Côte d’Ivoire. « C’est dans cette ville qu’elle a prédit à Houphouët qu’il sera le président de la République d’une Côte d’Ivoire libre, affranchie du joug colonial, selon la volonté de Dieu. Mais à condition qu’il fasse de la paix son credo», dévoile Agoumo Gbogbou, Chef du Village de Gagoué, fidèle Déhima lui aussi. Et d’ajouter : « C’est elle qui a révélé à Houphouët sa vocation d’homme de paix. Et il n’a fallu que deux ans après, pour que la prophétie de la fondatrice de l’Eglise Déhima se réalise. »
On comprend aujourd’hui, toute la fierté qui anime les Déhima du fait que les chemins de ces deux grandes figures de la lutte pour l’émancipation du peuple ivoirien se soient croisés. C’est au nom de cette amitié que le président Houphouët Boigny a pris sur lui de donner à son amie une sépulture digne d’elle. La tombe de la prophétesse, sanctuaire du pèlerinage Déhima a été construite par le premier président de la Côte d’Ivoire. Là, semble pourtant, s’arrêter l’attrait pour ce village, berceau de la première église révélée de Côte d’Ivoire. Mais le Chef Gbogbou croit que son village a gagné en maturité spirituelle. « Ici à Gagoué, je peux dire que 60 ans après la disparition de la prophétesse, les mentalités ont changé. Beaucoup se sont convertis au Déhima. Mais le Déhima n’est pas la seule religion présente ici. On a aussi une paroisse évangélique. Dans l’ensemble, c’est la preuve que l’animisme est en perte de vitesse mais comme vous ne l’ignorez pas nul n’est prophète chez soi», pense t-il. Comme pour dire qu’il faut aller au delà de ce village pour jauger de l’héritage laissé par la Prophétesse Bagué Wlonyo.
Enquête réalisée par Alexandre Lebel Ilboudo