“Vivre sans électricité c’est très pénible. Vous ne pouvez pas avoir de réfrigérateur, vous êtes obligés de tout sécher ou fumer. Si vous êtes sur la table d’accouchement et que la lumière s’éteint, il faut accoucher à la bougie”, souligne Marie-Pascale Mbock Mioumnde, maire de Nguibassal, au Cameroun.
En raison d’un manque total d’infrastructures, notamment dans les zones rurales, 600 millions d’Africains sont condamnés à vivre dans l’obscurité, dès la tombée de la nuit. Même les grandes capitales, de Johannesburg à Accra, pourtant mieux loties, n’échappent pas à de fréquentes coupures de courant, impromptues ou programmées. Les réseaux sont vétustes et peinent à suivre l’envolée de la demande, au rythme de la croissance démographique.
Avec une cascade de conséquences: difficile d’apprendre ses leçons à la lueur jaunâtre de la lampe à pétrole ou de travailler dans une usine plongée dans le noir.
“L’énergie, c’est la vie, l’accès à l’eau, à la lumière, à l’emploi, bref l’accès au développement”, a lancé l’ancien ministre français de l’Ecologie, Jean-Louis Borloo, devant une trentaine de maires de villes d’Afrique francophone réunis vendredi à Paris.
Quelques mois avant la tenue dans la capitale française de la Conférence internationale sur le climat (COP21), ces édiles avaient été conviés par la maire de Paris Anne Hidalgo, présidente de l’Association internationales des maires francophones (AIMF), et M. Borloo, qui a créé en mars une fondation “Energies pour l’Afrique”.
Cet électron libre de la politique française s’est lancé un nouveau défi: convaincre qu’il est possible d’électrifier toute l’Afrique, en moins de dix ans. Il plaide sous une immense carte de la Terre vue du ciel, où l’Europe scintille de lumières mais seuls quelques points lumineux émergent d’un continent africain couleur bleu nuit.
L’idée n’est pas de lui mais de dirigeants africains, qui l’avaient évoquée lors de la conférence sur le climat de Copenhague en 2009, a-t-il assuré vendredi, soucieux de se démarquer de toute accusation de “néocolonialisme”. S’il se veut aiguillon, facilitateur, “c’est évidemment une affaire africaine”, a-t-il insisté.
– Qui paiera la facture? –
Dans un “Appel de Paris” voté vendredi à l’unanimité, ces maires de capitales ou de grandes villes – dont Dakar (Sénégal), Niamey (Niger), Douala (Cameroun) ou Casablanca (Maroc)- lui ont embrayé le pas: ils ont appelé acteurs publics et privés à “investir massivement dans l’électrification” du continent, en privilégiant les énergies renouvelables (solaire, éolien, hydraulique, biomasse).
L’idée serait de créer une Agence intergouvernementale africaine, dirigée par des Africains, pour gérer ces financements et piloter les projets.
Electrifier l’Afrique, “c’est à notre portée”, a assuré le maire de Casablanca, Mohammed Sajid, donnant l’exemple de son pays où le pourcentage de ménages connectés a grimpé de 15 à 90% en dix ans, entre 1995 et 2005. Un succès rendu possible par une “démarche participative”, associant un financement de l’Etat, des collectivités locales et des bénéficiaires eux-mêmes, a-t-il expliqué.
Pour les experts du secteur, il faut aussi cesser de se limiter aux grands projets qui patinent parfois, tel le barrage d’Inga en République démocratique du Congo, plusieurs fois retardé. Dans des pays où le soleil brille presque toute l’année, des panneaux solaires permettent par exemple d’électrifier des villages isolés à moindre coût.
Qui paiera la facture, estimée à 200 milliards d’euros sur 10 ans par Jean-Louis Borloo ? Si un quart de la somme était apportée par des bailleurs publics, les investisseurs privés pourraient financer le reste assure le ministre. A condition de convaincre tous les acteurs, reconnaît M. Borloo, qui a rencontré 37 chefs d’Etat africains ces derniers mois, dont Robert Mugabe, actuel président de l’Union africaine, cette semaine.
“Le mode de financement sera le problème, parce que l’Europe et le monde sont en crise”, estime toutefois le maire de Dakar, Khalifa Sall. Pour lui, les Africains “doivent se donner les capacités de conduire leur développement”.