Sékou Sanogo, 2ème Député de la Côte-d’Ivoire de 1951 à 1955

Né le 1er janvier 1921 à Dioulassoba, dans le cercle de Séguéla en Côte d’Ivoire, Sékou Sanago est diplômé de l’Ecole normale William Ponty de Dakar. A sa sortie, il entre dans l’administration en qualité de commis du cadre commun supérieur des services administratifs. Mais cet « évolué », selon l’expression alors couramment employée en Afrique, s’engage très vite dans la vie politique.

Protestant contre la constitution de l’Union Française imposée par le Gouvernement provisoire de la République française (GPRF) et la majorité des constituants, presque tous les députés africains appellent le 18 septembre 1946 à former un Rassemblement démocratique africain. Un mois plus tard, à Bamako, le Rassemblement démocratique africain (RDA) voit le jour au cours d’un congrès réunissant 800 délégués dont Sékou Sanago. Ce parti réclame l’émancipation des peuples africains du joug colonial par l’affirmation de leur personnalité politique, économique, sociale et culturelle. Comptant parmi les premiers militants du RDA, Sékou Sanago est aussi l’un de ses premiers élus. Ainsi le 15 décembre 1946, il devient conseiller général de Séguéla. Quelques mois plus tard, il est élu, par un collège unique associant les membres des deux sections des assemblées locales, au Grand Conseil de l’Afrique Occidentale Française (AOF).

Toutefois, l’évolution de plus en plus radicale du RDA – qui s’apparente au PCF – l’amène progressivement à prendre ses distances avec ce parti. Refusant le discours « séparatiste » du Rassemblement et condamnant les incidents avec les forces de l’ordre, Sékou Sanago démissionne du RDA, le 31 janvier 1949. Il participe alors à la fondation de l’Entente des Indépendants de la Côte-d’Ivoire (EDICI), mouvement patronné officiellement par le gouverneur Péchoux, afin de faire pièce au RDA de Félix Houphouët-Boigny. La situation dans ce territoire d’Outre-mer continue néanmoins à se dégrader au point qu’en 1950, à Dimbokro, des heurts violents avec la police font treize morts. L’agitation est alors très vive. Les autorités et les colons français – en particulier le Rassemblement du peuple français (RPF) local – craignent que la colonie ne connaisse une évolution à l’indochinoise. Des Africains comme Sékou Sanago ou des chefs coutumiers partagent eux aussi cette inquiétude, à plus forte raison lorsque approchent les élections législatives de juin 1951.

La stratégie paraît alors s’imposer : faire barrage au RDA. Cependant, les modalités d’une telle action se révèlent vite un casse-tête. Ainsi l’EDICI connaît de grosses difficultés internes du fait de fortes rivalités personnelles et des interventions de l’administration française. Au sein de ce parti, Sékou Sanago passe pour être sympathisant gaulliste. Dans ces conditions, un timide rapprochement s’opère entre lui et le RPF de Côte d’Ivoire composé de colons (planteurs, ingénieurs) et de militaires français. Pour les gaullistes (troisième force politique du territoire), l’objectif consiste à s’allier à l’EDICI (deuxième force politique) contre le RDA (de loin la première), voire aussi avec la SFIO et le bloc démocratique Eburnéen. A cette fin, ils appuient la manœuvre qui consiste à faire désigner Sékou Sanago par son parti comme candidat à la députation, d’autant que le RDA est bien implanté à Séguéla. Mi-mai 1951, un « Cartel de lutte contre le RDA communiste » finit par voir le jour, regroupant EDICI, RPF, Parti progressiste de Côte-d’Ivoire et Bloc démocratique Eburnéen. A la suite de complexes tractations, Sékou Sanago dépose finalement sa liste, soutenue par le RPF, avec comme colistier le progressiste Kakou Aoulou. Il mène alors une virulente campagne contre les membres du mouvement de Félix Houphouët-Boigny, accusés d’être des fauteurs de désordres, de tribalistes et des « traîtres » à la Côte d’Ivoire. Dans sa profession de foi, le « désapparentement » du parti communiste est qualifié de « simulation » et le rapprochement du RDA avec le Gouvernement de la République, grâce au ministre de la France d’Outre-mer François Mitterrand, de « parodie ». Au soir des élections, Sékou Sanago est élu avec 35 336 voix tandis que la liste du RDA en obtient 67 200 et est en tête dans 13 cercles sur 17. Sékou Sanago rejoint le Palais-Bourbon et s’apparente au groupe RPF dirigé par Jacques Soustelle, se gardant toutefois d’adhérer à ce mouvement. Durant la législature (1951-1955), Sékou Sanago appartient aux commissions des pensions et des territoires d’Outre-mer. Au cours de son mandat, il dépose quatre propositions de résolution et une proposition de loi. Cette dernière initiative vise à supprimer les sociétés indigènes de prévoyance dans les territoires d’Outre-mer et à les remplacer par des sociétés d’amélioration agricole (4 mars 1954). Les autres textes qu’il dépose se rapportent à l’AOF (16 mars et 20 mai 1954) et aux territoires d’Outre-mer (6 avril et 8 juin 1954).

En fait, Sékou Sanago ne se trouve guère à son aise au sein du groupe gaulliste qui compte notamment des députés représentant l’Afrique du premier collège. Le programme Outre-mer du RPF, très conservateur, n’est pas plus fait pour le séduire, au point que des divergences notables apparaissent assez vite. Ainsi soutient-il et participe-t-il activement aux travaux d’élaboration du Code du travail outre-mer pourtant repoussé par le RPF. Il intervient dans la discussion – par articles – du texte, le 22 novembre 1952, en proposant cinq amendements visant notamment à l’indépendance et au renforcement des pouvoirs de l’Inspection du travail Outre-mer. Il se prononce favorablement sur l’ensemble du projet, tandis que ses collègues gaullistes s’abstiennent volontairement.

Sékou Sanago s’intéresse beaucoup au sort des anciens combattants africains qui forment un électorat important au sortir de la guerre. Il fustige à plusieurs reprises la discrimination de traitement existant entre les anciens combattants métropolitains et leurs frères d’armes africains. Lors des débats du 20 décembre 1952, à l’occasion de la discussion du projet de loi relatif aux dépenses de fonctionnement des services civils pour 1953 (chapitre des anciens combattants et victimes de guerre), il dépose ainsi deux amendements visant à réduire de 1 000 francs les crédits alloués à l’Office national des anciens combattants dans l’espoir d’attirer l’attention du Gouvernement sur la situation dramatique de ces offices Outre-mer. Il poursuit ce combat en 1953 et 1954 et dépose notamment, le 20 mai 1954, une proposition de résolution tendant à inviter le Gouvernement à créer, dans certains territoires de l’AOF, les comités locaux de l’Office national des anciens combattants prévus aux articles 35 et suivants du décret du 28 janvier 1948.

De manière plus générale, Sékou Sanago se préoccupe beaucoup du devenir de l’Union Française. Il se prononce en faveur du maintien des liens entre la France et les territoires d’Outre-mer, mais suivant des formules améliorées ou renouvelées. Le 9 avril 1954, il présente, en ce sens, les grandes lignes de ce qui doit être « une politique générale pour les territoires d’Outre-mer ». Prenant acte des efforts financiers de la métropole au profit des TOM, il réclame désormais une affectation plus importante de ces investissements vers le développement d’industries de transformation sur place ainsi que vers la production agricole, en particulier celle de la brousse. Il s’agit avant tout d’améliorer le sort des populations rurales, afin d’éviter l’exode vers les villes qui rompt le tissu social traditionnel. De plus, Sékou Sanago se déclare très attaché au maintien des chefferies et des structures coutumières. A cette fin, il réclame la création de conseils consultatifs, respectant ces dernières, dans chaque circonscription administrative. Avec cette volonté croissante de faire participer le plus possible les Africains à la vie de leur territoire et dans une philosophie décentralisatrice, il prône l’accroissement des pouvoirs des assemblées locales, ainsi que la réforme des grands conseils fédéraux, ces derniers devant seulement conserver des prérogatives de coordination de l’ensemble et non pas de gestion. Il réclame et obtient l’érection de Bouaké et de Grand-Bassam en communes de plein exercice. En ce sens, il vote, le 13 août 1954, le projet de loi relatif à l’organisation municipale dans les territoires d’Outre-mer, alors même que les députés ex-RPF (Républicains sociaux) se montrent plutôt défavorables au texte. Il est vrai que Sékou Sanago a quitté le giron gaulliste depuis plusieurs mois déjà et qu’il siège désormais aux côtés des parlementaires démocrates-chrétiens.

En fait, sa rupture avec le mouvement gaulliste est consommée au cours de l’année 1952. Certes, elle correspond à une opposition de fond avec les positions ultramarines du RPF, mais aussi à une dégradation de la situation politique du député Sanogo en Côte-d’Ivoire. Le front anti-RDA, qui lui a permis d’être élu en juin 1951 à l’Assemblée nationale, n’existe que le temps de ce scrutin. De surcroît, le RDA se renforce progressivement au point que les élections du 30 mars 1952 à l’Assemblée territoriale sont un très sérieux revers pour le RPF et ce qui reste du front anti-RDA. Le 10 octobre 1953, au cours d’une élection à l’Assemblée de l’Union Française, le candidat de Sékou Sanago, son ancien colistier de 1951, Kakou Aoulou, est battu à l’issu d’une fraude bien organisée par le RDA de Félix Houphouët-Boigny, ainsi que le candidat présenté par le RPF. La rupture est définitivement consommée et Sékou Sanago s’apparente désormais au MRP. Sékou Sanago se présente aux élections législatives de janvier 1956, à la tête d’une liste apparentée au mouvement de Georges Bidault. Il est également battu à l’issu d’une fraude par la liste conduite par Félix Houphouët-Boigny qui remporte 502 711 voix pour seulement 39 106 suffrages portés sur sa liste. Frustré, Sékou Sanogo se retirait pour enfin sensibilisé ses parents du Nord sur le danger qui guettait la Côte-d’Ivoire dans les années à venir, malheureusement, choses auxquelles nous assistons tous aujourd’hui.

Craignant une révolte des peuples du Nord, Sékou Sanago est arrêté et meure dans une prison de Côte d’Ivoire 1962.

Par Samba Koné