“Moi encore militant du FPI?”

 SeryBailly

Membre de la Commission dialogue vérité et réconciliation, le Pr Sery Bailly, cadre du Front populaire ivoirien et intellectuel de haut vol a disparu des écrans radars depuis un bon moment. L’Expression l’a déniché dans son antre de l’Ascad. Après un long temps de silence, Sery Bailly se prononce sur la démission des intellectuels, la réconciliation nationale et son militantisme au Fpi. 

Cela fait un bon que l’on n’entend plus le Pr Sery Bailly. A quoi êtes-vous si occupé ?

D’abord, il n’est pas bon d’être trop visible. Comme le dit une vieille sagesse, pour vivre heureux vivons cachés. Cela dit, il y a beaucoup d’activités à caractère culturel qui m’occupent. Je pense qu’il faut écrire, discuter, organiser des rencontres culturelles et scientifiques. Cela prend du temps. En plus, je suis à la Commission Dialogue, vérité et réconciliation (Cdvr) qui demande aussi qu’on soit discret. Parce que des tensions existent déjà dans la société et la discrétion va permettre de ne pas s’impliquer dans ces tensions. Je pense que c’est à ce prix qu’on peut mieux travailler à la réconciliation. Pour me résumer, je dirai que la Cdvr m’impose une certaine réserve, une certaine discrétion et les activités que je mène ne demandent pas beaucoup de publicité. Je lis et écris beaucoup même si ne n’est pas encore publié.

Sur le plan culturel la Côte d’Ivoire a perdu, successivement deux icônes, à savoir le scientifique Aké Assi et le peintre Bruly Bouabré. Quel sentiment vous inspirent-elles ces pertes?

Je les ai ressenties avec beaucoup de tristesse parce qu’on a perdu deux grandes personnalités. Je l’ai vécu avec de la consolation aussi parce que j’ai eu la chance de les connaître. Ce qui n’a pas été donné à tout le monde. J’ai même eu la chance, dans mon dernier livre, de rendre hommage au Prof. Aké Assi. Et ma dernière rencontre avec lui, c’était dans le but de lui remettre deux exemplaires de mon livre. Je ne l’ai plus revu et je n’ai même pas pu assister à ses obsèques, parce que je n’étais pas en Côte d’Ivoire en ce moment. En ce qui concerne Bruly Bouabré, je l’ai connu il y a longtemps et à l’occasion de son décès, je pense que chacun doit s’arrêter pour réfléchir sur l’importance de sa contribution à la vie culturelle en Côte d’Ivoire. J’ai eu l’occasion de lire une bonne partie de ses œuvres – pas les tableaux mais les écrits – et j’ai beaucoup appris sur lui ces dernières semaines. C’est une personnalité très riche et je crois que nous aurons encore devant nous des années pour mettre en valeur cette richesse, la faire connaître à notre peuple, surtout à notre jeunesse et l’interpréter. C’est un peu comme des philosophes ou des écrivains, dont les œuvres doivent produire du sens, grâce au travail des critiques. En ce qui concerne Aké Assi, il a beaucoup fait pour notre conscience écologique. Cette conscience, nous devons la renforcer, l’approfondir et la transmettre, dans les écoles aux plus jeunes. Ce n’était pas seulement un scientifique mais quelqu’un qui s’est préoccupé de la disparition de nos forêts, de la connaissance de notre flore. Ce sont deux grandes pertes.

“Pourquoi je n’ai pas parlé pendant la crise…”

On a le sentiment qu’à part ceux qui les ont connus, ces grandes figures n’ont pas eu la reconnaissance des universitaires et des intellectuels.

C’est vrai. D’abord, je crois que les intellectuels ne cherchent pas tellement à être célébrés. Ils souhaitent simplement que leurs idées soient partagées. Ce ne sont pas des hommes politiques qui cherchent des voix, des électeurs. Ils ont produit des idées et ils souhaitent que ces idées soient comprises et partagées. En ce qui concerne Aké Assi, il a formé beaucoup de jeunes, très compétents. Il y a même un, le Prof. Traoré Dossawa qui était avec lui à l’Académie des sciences, des arts, des cultures d’Afrique et des diasporas africaines (Ascad). Notre société l’a célébré. Je veux dire que Aké Assi a eu plus de prix que n’importe quel intellectuel ivoirien. Il a été honoré, il est reconnu dans sa discipline de départ mais aussi dans toutes les autres disciplines. Sous ce rapport, on peut dire qu’on l’a célébré puisqu’on la reconnu. Maintenant, dans les quartiers populaires, dans les médias, c’est autre chose. La connaissance, c’est un peu comme de l’eau qui tombe sur le sol et qui s’infiltre progressivement jusqu’au fond. Ce qui est écrit doit d’abord être approprié par les intellectuels, la classe moyenne. Quand ces idées vont être expliquées, simplifiées, elles vont arriver plus bas dans la société et être partagées par la jeunesse. Bruly, c’est vrai qu’il a été plus célébré à l’extérieur qu’en Côte d’Ivoire. Vous connaissez l’expression «nul n’est prophète dans son pays». C’est à nous maintenant de travailler pour qu’il soit reconnu aussi comme prophète chez lui, après avoir prêché urbi et orbi. Ce travail va être mené progressivement. Il a mené toute une bataille pour que ses œuvres soient éditées. Maintenant qu’elles sont disponibles, je crois que tout le monde, critiques, journalistes, intellectuels pourra les lire et les interpréter pour les approfondir et en faire ressortir la richesse.

Dans ce sens, que fait l’Ascad pour la vulgarisation des travaux de ces savants?

C’est dans les missions de l’Ascad, de travailler à faire connaître nos hommes de science, encourager la recherche, préserver tous les éléments liés à notre identité : les mythes, les contes, etc. Ce que l’Académie fait, c’est d’abord e reconnaître un homme comme Aké Assi en tant qu’éminent membre de l’Ascad. A son décès, l’académie a eu à le célébrer. Je pense que c’est important. Quand l’Académie a, eu à l’ordre du jour, l’environnement, c’est le Prof. Aké Assi qui était au premier rang. C’est lui qui a fait la grande conférence avec son élève Dossawa. En ce qui concerne Bruly, je pense que dans les années qui viennent – peut-être l’année prochaine – l’Académie va travailler à faire connaître ses œuvres. Quand je parle de l’Académie, c’est en tant qu’institution. Sinon, à l’intérieur de l’Académie, nous sommes nombreux à nous intéresser déjà à ce qu’il a fait. Je veux parler du Prof. Yacouba Konaté qui sort bientôt, un ouvrage sur Bruly Bouabré, le

prof Kouakou N’Guessan, Savané Yaya, le grand spécialiste ivoirien de Bruly Bouabré. Tous ceux que je cite sont membres de l’Académie. Au niveau individuel, nous travaillons à le faire connaître et à promouvoir ses œuvres. Maintenant, il faut que l’institution elle-même s’implique. Cette année, nous faisons un Colloque international sur Memel Fotê, rien n’interdit que l’année prochaine ou l’année d’après, il y ait une grande rencontre artistique et scientifique sur les œuvres de Bruly Bouabré.

Sur le plan littéraire et artistique, les grands calibres de l’intelligentsia ivoirienne semblent avoir baissé le pavillon. D’aucuns parlent d’une démission en bloc des intellectuels. Comment l’expliquez-vous ?

D’abord, il faut leur reconnaître le droit de le dire. C’est leur souhait de voir les intellectuels intervenir, ce qui est une forme de reconnaissance aussi. C’est d’abord le silence qui est la première valeur dans une société où on parle trop. C’est à partir de ce silence qu’on se rend compte qu’il y a des voix qu’on n’entend pas. Et à partir de ce moment, on sollicite ces voix. Pour vous donner un exemple quand le Prof. Memel Fotê était en activité et qu’il y avait l’assemblée des facultés, l’assemblée était dirigée par son ami Kotchy Barthélémy. Jusqu’à la fin de la réunion Memel Fotê ne disait rien. Mais on a tous entendu son silence et à la fin on lui demandait ce qu’il pensait. Et le professeur, dès lors qu’on lui donnait l’opportunité, parlait. Je pense que nous sommes dans une situation où déjà, on accuse les intellectuels d’être à la base de crise. Nous sommes dans une situation où les positions sont tellement polarisées. Et si l’intellectuel utilise sa liberté, on peut l’accuser de souffler sur le feu, de jeter de l’huile sur les braises. A partir de ce moment, les intellectuels se demandent s’il n’est pas mieux d’adopter une attitude de réserve, pour observer. Je pense que les intellectuels ont beaucoup écrit sur la crise ivoirienne. Le problème, c’est que les points de vue sont parallèles, les gens ne se rencontrent pas pour échanger, pour que le dialogue se noue et qu’on avance. Aujourd’hui, ce sont les politiciens qui sont en avant parce que ce qui parait prépondérant, c’est la lutte pour le pouvoir. L’intellectuel n’a pas sa place dans un endroit où les politiciens se battent. Non seulement, il n’a pas envie d’être écrasé mais il sait qu’il ne se fera pas entendre. Mais il a les capacités, si la société le souhaite, de donner son point de vue. Je pense que nous pourrons, avant que la Cdvr ne finisse sa mission, trouver le moyen d’interpeller la classe des intellectuels. Pour le moment, nous les avons interpellés individuellement. Peut-être qu’on organisera une séance particulière pour que les philosophes et les autres donnent leur compréhension de la crise d’abord et de la réconciliation ensuite. L’intellectuel n’est pas dans l’agitation qu’on voit actuellement. Et je crois que c’est à son honneur.

Dans une de vos allégories, vous avez pris l’exemple du coq qui a chanté et que les gens ont fait semblant de ne pas entendre. En parlant, ainsi, est-ce que ce n’est pas une fuite en avant des intellectuels ?

L’intellectuel n’a pas le pouvoir. Dans l’image que vous venez de rappeler, le coq peut chanter et moi, dans ma chambre, je peux décider de continuer à dormir. Le coq n’a pas le pouvoir de me secouer pour me réveiller. C’est comme lorsque vous mettez votre réveil sur une certaine heure. Quand il sonne, vous pouvez continuer de dormir. Certains appuient même sur le réveil pour l’éteindre alors que ce sont eux qui l’ont programmé. Pour que l’intellectuel soit entendu, il faut que sa voix soit amplifiée et que les oreilles soient disponibles. Pas seulement les oreilles du peuple, dans les quartiers périphériques, mais les oreilles de ceux qui sont détenteurs du pouvoir, parce que ce sont eux qui décident. L’intellectuel, il ne peut qu’attirer l’attention, interpréter. Il ne décide pas. Il met à la disposition de celui qui décide, ce qu’il faut pour décider en connaissance de cause. L’intellectuel est coincé entre les décideurs et les autres, dont on ne sait pas s’ils sont vraiment décidés à assumer leur devoir démocratique. Notre société cherche tellement des gens pour les sauver. Ce n’est pas cela. La démocratie n’est pas faite avec des gens qui sauvent, avec des messies. Chacun est messie. Il ya les décideurs, mais en face, il faut des gens décidés à assumer leurs droits, à prendre leurs responsabilités. En ce moment, la voix des intellectuels pourra être entendue.

Vous mettez en parallèle l’action des politiques, différente de celle des intellectuels. Mais il se trouve que dans le cas précis de la Côte d’Ivoire, ce sont les mêmes personnalités qui portent la double casquette de politicien et d’intellectuel. En plus de vous, on peut citer les Prof. Francis Wodié, Hyacinthe Sarassoro,… Comment arriver à faire ce dédoublement ?

C’est deux logiques différentes. Ce sont des rôles. Je suis père de famille. Au moment où je vous parle, je ne vous parle pas comme à mon enfant. Je joue un autre rôle. Vous me demandez de jouer le rôle d’intellectuel ou de citoyen. Ce, en même temps que je suis père de famille. L’intellectuel est une personne qui a plusieurs rôles à jouer. Et parfois, ce dédoublement ne se fait pas de façon heureuse. Mais il ne faut pas croire que c’est facile. Parce que ce sont des logiques différentes. L’homme politique vise l’efficacité, principalement le court terme, même s’il souhaite agir pour la durée. L’intellectuel est obligé d’être objectif, d’avoir de la distance, d’insister sur la critique, l’autocritique. Toutes choses qui peuvent être considérées par l’homme politique comme étant de l’indécision. Quand tout cela se passe dans la même personne, il peut avoir une crise qui peut conduire un intellectuel à démissionner de la politique parce qu’il estime que les deux sont difficiles à mener ensemble. J’ai décidé de ne plus assumer de responsabilités politiques. Mais j’estime qu’en tant qu’intellectuel, je peux aider à la réflexion. L’intellectuel ne vise pas le pouvoir immédiat, il ne cherche pas à exercer le pouvoir. Vous parlez d’intellectuels qui sont à la fois politiques. Mais n’oubliez pas que parfois, la situation d’un pays amène à jouer plusieurs rôles. C’est nous aussi qui avons créé les premières associations de droits de l’Hommes. Nous étions dans les syndicats, nous animions les cercles culturels. A un moment donné, un peu comme dans un moment de renaissance, on est obligé de se totaliser toutes les disciplines, de relever tous ces défis en même temps. Mais il est clair que quand on fait trop de choses à la fois, peut-être qu’on en néglige certaines. C’est pourquoi à partir d’un moment donné, il faut pouvoir choisir des priorités. Ceux qui étaient les plus engagés ont retardé leurs carrières universitaires. Les choses ne peuvent pas se faire autrement. Vous ne pouvez pas, pendant que vous faites des réunions, faire des recherches. Vous êtes obligé de sacrifier votre carrière parce que votre engagement politique le demande. Tous les politiciens ont des idées, veulent le pouvoir pour réalise leurs idées. Conquérir le pouvoir demande des idées, des stratégies, le garder demande aussi des stratégies avec lesquelles l’intellectuel n’est pas toujours d’accord. Mais c’est son problème. Où il continue, ou il démissionne.

“Je ne représente pas le Fpi à la Cdvr”

Pendant la crise, l’intellectuel que vous êtes, n’avez pas été entendu. Pourquoi ?

Au moment où les bombes pleuvent, si je parle qui m’entendra ? A partir du moment où ce qui est à l’ordre du jour, c’est l’affrontement militaire, ceux qui sont désarmés comme moi, ou bien ils se taisent ou bien ils se cachent. En ce moment, il n’y a pas de place pour un intellectuel, sauf s’il est un penseur de la guerre, comme Sun Tzu ou Von Clausewitz. Quand on dit cela, il faut aussi accepter la réserve. Ce que j’ai écrit pendant la crise, je ne suis pas obligé de le publier maintenant. Je le publierai plus tard. Mais je pense qu’en décidant de publier plus tard, je donne plus de chance à la réconciliation, en quelque sorte. On m’a sollicité pour être la Cdvr, on sait d’où je viens et qui je suis.

Chacun de nous appartient à un parti politique. Mais dès lors que j’ai accepté, je dois faire en sorte

que la réconciliation avance, ou n’échoue pas à cause de moi.

Vous avez décidé de ne plus assumer de responsabilités politiques. Etes-vous un élément perdu pour le Front populaire ivoirien ?

Non ! Je suis un militant de base. Je peux gérer la Fondation Memel Fotê. Je pense que c’est utile pour le Fpi et pour la Côte d’Ivoire. Si peux faire la formation politique de nos jeunes, si je peux promouvoir certaines valeurs culturelles, politiques, c’est utile. Nous fonctionnons comme si tout le monde a le même niveau de formation. Si on pose aux cadres de tous nos partis politiques, la question de savoir ce que c’est que le libéralisme, l’Etat, la nation, le peuple, certains, pour ne pas dire beaucoup, auront du mal à en donner les définitions. Dans nos partis politiques, il y a un travail de formation à faire. Si je fais ce travail de formation, je ne suis pas perdu, je continue de contribuer. Je n’ai pas à assumer encore des responsabilités politiques, dès lors que j’ai perçu un certain nombre d’incompatibilités. Je n’ai pas envie de me retrouver dans des situations où je pourrais vivre parfois ce que je considère comme des incompatibilités.

Vous êtes membre de la Cdvr et la formation politique dont vous êtes issu, le Fpi, ne reconnaît pas cette institution. N’avez-vous pas l’impression d’être comme un soldat égaré ?

Non ! Si j’étais à la Cdvr en tant que représentant du Fpi, cela m’obligerait, peut-être, à me retirer. Mais je ne suis pas à la Cdvr comme représentant du Fpi. Je pense que notre rôle est de réconcilier

et que, quand il y a crise dans la crise, de faire en sorte que les positions se rapprochent. C’est mon rôle d’expliquer la démarche de la Cdvr à mes camarades du Fpi, de les écouter pour connaître leurs points de vue et les expliquer là où je dois le faire. C’est comme un enfant dont le village maternel est en guerre avec le village paternel. Chez nous, les Bété, il est comme une personne sacrée. On ne doit pas le toucher parce que c’est lui qui est en même temps le médiateur. De mon point de vue ce sont des politiciens qui s’affrontent et c’est à nous de comprendre la logique, les arguments, les démarches des uns et des autres. Notre rôle est de voir comment rapprocher ces positions. Je ne suis pas mal à l’aise. Le jour où je me trouverai en contradiction avec mes propres valeurs, ce sera mon devoir de démissionner de la Cdvr.

En lieu et place de la Cdvr, vos camarades du Fpi proposent les Etats généraux de la République. Quelle position avez-vous sur cette question ?

Je n’ai pas à avoir une position. C’est comme quand une personne est malade et que plusieurs personnes proposent des remèdes. La Côte d’Ivoire est malade, c’est à nous de voir quel remède peut guérir la maladie. En la circonstance, je pense que c’est aux autorités et à l’opposition, ceux qui sont en politique, de voir quels sont les remèdes à utiliser. Ce n’est pas à moi de faire la promotion des Etats généraux de la République ou d’en faire la critique C’est une proposition qui est faite aux Ivoiriens et en premier lieu aux hommes politiques. Le Fpi explique ce qu’il entend par «Etats généraux de la République», c’est aux autres de comprendre que cela peut être utile ou d’expliquer au Fpi que ce n’est pas opportun et que ce ne sera pas utile. A partir de ce moment, si ce dialogue est amorcé, on verra bien. Le Fpi a proposé les Etats généraux de la République, que proposent les autres ? C’est en comparant ces remèdes là qu’on verra bien comment le malade qu’on appelle la Côte d’Ivoire, va guérir. Je pense qu’il y a des éléments de rapprochement. J’ai écouté récemment le président du Fpi, Affi N’Guessan, et ce que je crois avoir retenu, c’est que la paix peut être faite avec l’autre, contre l’autre ou sans l’autre. Si j’ai bien compris son discours, c’est à ceux qui sont au pouvoir de savoir quel genre de paix ils veulent. Est-ce qu’ils veulent la paix peut être faite avec l’autre, contre l’autre ou sans l’autre ?

“Nous serons tous jugés…”

C’est aux hommes politiques de décider. Quand je dis hommes politiques, je parle des dirigeants. Nous autres fantassins de la politique, militants de base n’avons pas grand-chose à dire. Déjà c’est une bonne chose qu’Affi N’Guessan ne dise pas «prenons las armes». Je crois que c’est dans cette discussion, si chacun est de bonne foi, que nous devrions pouvoir avancer.

Dans les années 1990, il y a eu le vent des conférences nationales. Aujourd’hui en Côte d’Ivoire il y a la Cdvr et on nous parle encore des Etats généraux de la République. Selon vous, l’intellectuel, quelle thérapie faut-il pour soigner le mal ivoirien ?

Je ne veux pas me prononcer sur cette question. Ce qu’il faut à mon sens, c’est la discussion parce que je constate que les gens ne discutent pas assez. On nous parle des réunions du Cpd (Ndlr : Cadre permanent de dialogue), mais aujourd’hui, les Ivoiriens peuvent dire combien de fois le Cpd s’est réuni. A mon avis, les gens ne discutent pas assez. Ça au moins, je peux le dire. Maintenant il ne m’appartient pas de déterminer le contenu de la discussion parce que l’opposition demande quelque chose, le pouvoir aussi a ses contraintes. Chacun a ses contraintes. Je n’ai pas de solution particulière. Mon souhait serait que nous comprenions tous que ce qui nous oppose est un héritage, une conséquence d’un passé commun. Mais il n’y a pas que nous. Vous voyez les pays où l’on a limité le nombre de mandats ? Vous voyez tous les débats autour de cette question ? Cela veut dire qu’il n’y a pas de solution miracle sauf que nous arrivions à une certaine maturité que nous puissions produire suffisamment de richesses pour éviter que la pauvreté ne nous conduise à tous ces affrontements auxquels nous assistons parce que bien souvent, il me semble que la pauvreté de ceux qu’on appelle habituellement pauvres joue un rôle très important. Il y a peut être aussi la pauvreté des riches parce que vous pouvez trouver un riche peut va se demander ce qu’il va faire avec 200 millions de Franc Cfa. Et rien que pour cela, il est en colère tandis que l’autre ne parvient même pas à avoir le Smig. Les vrais pauvres qui sont habitués à leur pauvreté sont plus stoïques. Mais les riches appauvris, les riches pauvres ou les pauvres riches sont plus dangereux parce que la plupart du temps, ce sont ceux là qui entraînent les autres en produisant des idéologies, en organisant les choses. S’ils décident de les organiser sur le mode de la violence, il y aura problème. S’ils décident

que nous soyons solidaires pour affronter nos problèmes de pays sous-développé, s’ils décident d’organiser la solidarité, cela peut apaiser les choses. Ça, ce sont des analyses générales. Il y a la Cdvr qui est chargée de gérer les problèmes liés à la crise comme les violations des droits de l’homme et il y a le Cpd pour s’occuper des problèmes politiques. En réfléchissant, ces deux institutions trouveront la démarche qu’il faut et le langage qu’il faut pour guérir le mal ivoirien.

A Suivre…

Interview réalisée par Kra Bernard et M’Bah Aboubacar

Source : L’Expression N°1411 du Lundi 28 Avril 2014