Définition du périmètre du débat

Par Pierre Aly SOUMAREY

La croissance est indispensable à la prospérité, à la fois en tant qu’indicateur des potentialités d’un futur qu’elle contribue à forger maintenant en garantissant une prospérité future et en tant que conséquence produite par une dynamique économique dont la nature et le caractère permettent un progrès social immédiat. Aussi, elle apparait comme une condition nécessaire à toute prospérité qui admet des modèles et des temporalités différents. Aussi, par absurde, l’idée de se passer de la croissance, au motif qu’elle serait génératrice de pauvreté, équivaudrait à celle de se débarrasser de toutes les formes du capitalisme et de l’idée même de progrès social. Cette présomption est fausse à un degré tel, que cette idée n’effleure l’esprit de personne. Mais l’on peut retenir qu’il existe des économies prospères qui n’ont pas de croissance, celles-ci étant bâties sur une antériorité solide et déjà développée, tout comme il peut exister des pays pauvres qui ont une croissance. Dès lors, il n’y a pas une relation de nécessité, car la croissance exprime sa capacité transformatrice et sa rapidité à produire des effets sur le niveau général de vie, en fonction des conditions initiales dans lesquelles elle apparait. Nous reviendrons sur l’état de l’économie héritée de l’antériorité, car constitutif du socle sur lequel se construit la transformation induite par la croissance Ivoirienne. L’ignorer ou l’occulter serait malhonnête. En Côte d’Ivoire le débat porte davantage sur les aspects de nature et de temporalité de cette dernière. Soit.

Sur la théorie d’une croissance appauvrissante, il s’agira davantage du risque lié au caractère général des économies sous-développées qui vivent de l’exportation des cultures de rente, lorsque leur croissance est liée à l’augmentation de ces exportations, susceptibles de déclencher une dégradation des termes de l’échange en raison d’une offre sur-capacitaire sur le marché. La CI a une diversification suffisante de sa production qui lui permet de réduire l’impact de ces effets sur le cours des matières premières, dans la mesure ou une chute des prix ne peut concerner tous les produits primaires à la fois. C’est une des composantes fortes de sa résilience, tandis qu’elle continue d’ouvrir l’accès à de nouvelles ressources, notamment minières. Deuxièmement, elle s’oriente résolument sur la voie de la transformation et de l’industrialisation, dont les premiers signaux sont lisibles, dans la modification de la structure de son PIB et dans le niveau de son intégration sectorielle avec une plus grande contribution du secteur secondaire. Dès lors, cette théorie ne trouve pas matière à s’appliquer à la Côte d’Ivoire actuelle, la diversité étant la composante essentielle de sa résilience, et la transformation la garantie de ne plus subir le marché de la même façon.

Sur les retombées attendues dans le court terme, il faut s’interroger sur la nature et le caractère de notre croissance, autrement dit sur son origine (dépenses publiques dans le génie civil et très peu d’investissements dans les secteurs productifs pourvoyeurs d’emplois, mais est-ce bien le rôle régalien de l’Etat ?) et ses acteurs (Etat et entreprises étrangères. Ce partenariat allié à un endettement extérieur modéré et maîtrisé impacte la souveraineté de notre économie). On s’aperçoit tout de suite de deux faiblesses, le secteur privé n’est pas encore le moteur de la croissance pour la tirer et cette dernière n’est pas endogène pour garantir sa pérennité et créer de l’emploi durable. Ensuite, nous pouvons nous interroger sur son caractère inclusif tant du point de vue de la justice sociale (équité dans la redistribution des fruits de la croissance) que du point de vue de l’efficacité économique, car pour entretenir la demande ou la faire croitre, il est nécessaire que les ménages aient une augmentation de leur pouvoir d’achat (la demande de biens et services tire la croissance).

Problématique

Après cette introduction de cadrage pour ouvrir le débat, je précise, si de besoin, que ce n’est pas la croissance qui a créé la pauvreté en CI, mais la décennie de crise militaro-politique et la gouvernance approximative des pouvoirs qui ont précédé. En revanche, cette croissance n’est peut-être pas suffisante en qualité et en volume, pour induire une transformation rapide de notre économie et des conditions de vie, telle que espérée, promise ou comprise. Ce serait alors une question de rythme et de durée et non de nature comme posée précédemment ou au contraire les deux conjointement. Quelle est la durée nécessaire à une telle transformation? Quelle est la durée raisonnable pour une telle exigence sociale ? Quelle était l’état de la situation initiale ? Quelles sont les forces et les faiblesses de notre croissance? Quelles sont les perspectives qu’elle ouvre pour le futur et quels sont les correctifs qui peuvent y être apportés au regard de sa nature ? Les premiers signaux de la transformation sont-ils réels et perceptibles ? C’est dans cette direction que doit s’engager le débat désormais.