L’association Point de lecture, avec Koffi Koffi, Henri N’Koumoh, Sylvain Douhouré Tagoh, a ouvert, du 11 au 15 février 2015, à des agriculteurs issus de six villages son 2ème Festival de conte Ahoko Kwah’in à Kringambo, à 19 km de Bouaflé.
Village en voie de modernité de près de mille âmes, Kringambo est en fête. Après le temps de trois mois arides d’harmattan évanoui dans une contrée de savane arborée où il se localise, c’est celui du conte au clair de lune de nuit douce. Il ne manque plus que dans La Marahoué, ce village bété du Haut-Sassandra initialement annoncé pour se targuer, côté organisateurs, d’un «7 /7», lors d’une rencontre qui entend redynamiser l’oralité par ces temps de mondialisation et de globalisation. il n’empêche. Pour la deuxième fois consécutive, du 11 au 15 février 2015, le festival de conte Ahoko Kwh’in ou Ahoko Kwah’in n’Gwa Gwa en langues maternelles a lieu à Kringambo, avec l’adhésion de toute une communauté villageoise et ses voisines ; mais aussi celle du tout nouveau sous-préfet de Kpakouabo dont dépend désormais le village, Didier Guillaume N’Dri, par ailleurs désigné président de ce rendez-vous culturel annuel.
«C’est une initiative dont la noblesse n’a d’égal que la folie qui caractérise Koffi Koffi et ses amis, ces passionnés de culture, qui ont pris ce pari risqué de ne guère laisser brûler la bibliothèque de Kringambo avec la disparition d’Ahoko Kwah’in. C’est donc la symbolique du refus d’assister passivement à la mort programmée et continue du patrimoine africain», souligne Didier Guillaume N’Dri. Dans cette dynamique l’administrateur civile ajoute que «ce Festival, au-delà des simples retrouvailles, doit être pour nous, une occasion d’échanges et de ressourcement, surtout pour la jeunesse qui, aujourd’hui, peine à trouver ses repères dans les flots impétueux d’un monde fortement globalisé ». Didier Guillaume N’Dri termine par un appel qui est de «refuser d’aller à l’universel avec pour seule richesse, notre ignorance de nous-mêmes en bandoulière ». Le vendredi 13 février, par un temps caniculaire qui défie les bâches dressés sur la place publique de Kringambo, l’intervention du premier sous-préfet de la toute nouvelle sous-préfecture de Kpakouabo (à 19 Km de Bouaflé) est saluée par villageois et festivaliers. Des instants plus tôt, à son apparition, le commandant est accueilli par des rythmes et chants de femmes parmi qui, trottine, haut perché, un danseur échassier, objet de curiosité des enfants.
Le village peuplé à 53 % de chrétiens dit déjà merci en chœur au seigneur. Les animistes sont également de la fête. Eux, ils le prouvent par la libation qui est de rigueur avant tout, selon la tradition. L’honneur revient à Yao Kouadio Célestin dit Zowliga, en l’absence du chef de terre, d’invoquer l’esprit des ancêtres à qui la réussite de la fête est confiée. Ils semblent d’accord. Le conte peut être dit !
Commençons par la grande veillée du samedi 14 février en présence du sous-préfet, à la Place publique de Kringambo, annoncée les deux premiers jours par des jeux (de divertissement) de clair de lune, parade de jeunes femmes où s’invitent quelques jeunes gens.
Zou Michel du village de Bouafla se laisse écouter dans un conte-chanté en dioula. C’est histoire de Bouki l’Hyène dans le rôle du grand frère qui se fait coiffer au poteau par le Lièvre, dans une histoire d’amour. On retrouve également le conteur dans un autre récit, celui de Tchèkoroba. Un bel homme pour qui son père demande la main à une belle femme qui ne doit appartenir qu’à lui seul. Mais au marché, au prix d’une ruse, un prétendant prend son cœur. Zou invite ainsi à retenir qu’on ne peut jamais surveiller une femme.
Djisso la Star
A son tour Alexis Djisso, tout de noir vêtu, propose le conte «Le choix d’un chef au pays des Animaux». Au commencement, dit-il, Dieu créa eu deux blocs : le bloc des Animaux et celui des Hommes. Un jour, il décide de savoir comment contrecarré la suprématie Hommes. Pour ce faire, le seigneur convoque une assemblée générale élective des Animaux afin qu’ils se choisissent un leader pour la lutte de libération du joug des Hommes. La Vache est élue au suffrage exprimé. Vous savez, dans la vie, commente Djisso, en construisant ta maison sur terre, pense déjà à celle sous terre. Se sentant menacés, poursuit-il, les Hommes massacrent les Animaux. Dieu convoque une nouvelle réunion. La Vache apparaît avec une trainée de caca et de mouches. Déception dans les rangs des Animaux. Une nouvelle élection est organisée, nouvelle campagne. Le coq est élu. Mais un jour, un jeune homme se rend en visite chez son ami Blanc. Ce dernier lui permet de saluer Dieu. En retour, lorsqu’il reçoit le toubabou, sa grand-mère lui conseille de lui offrir le plus gros coq du village, chef de tous les Animaux. Il est attrapé et égorgé. C’est la consternation et la déception chez les Animaux. Moralité, conclut le conteur de Lakota, on ne change pas pour le plaisir de changer. Le groupe de feu de Kringambo est conduit par Kouadio Célestin dit Zowliga, le mythique compagnon du défunt Ahoko Kwah’in, et par sa veuve N’Guessan oka Léontine dite Mammidan. Tous s’installent par la suite. C’est Libanais, chouchou du public, qui mène le bal. Il parle de La carpe et l’Araignée. Il enchaîne avec une histoire de trois Jeunes filles et celle de La mouche vendeuse d’excréments humains. D’un récit à l’autre, il fait marrer toute l’assistance.
Répondent tour à tour à l’attente du public, Kouamé Bruno d’Okabo , Irié Yanez de Tibéita, Konan Zamblé d’Aka-n’Guessankro, Oka Amani dit Djoni de N’Dènoukro.
Des livres offerts pour un embryon de bibliothèque
Vendredi à l’ouverture, Koffi Koffi, est le premier à redresser le micro du pupitre. Le secrétaire exécutif de Point de Lecture exprime sa fierté et sa reconnaissance au nom de l’association, sans oublier l’Etat de Côte d’Ivoire, les Editions Eburnie et Les Classiques ivoiriens qui offre un carton de 70 livres à la future bibliothèque de l’Ecole primaire publique du village. Pour terminer, il rappelle les objectifs du festival et salue la mémoire d’Ahoko Kwah’in. Plus tard, il revient offrir un autre lot de 20 livres à l’établissement. Ce jour, c’est Henri N’Koumo qui représente le donateur. Le directeur du Livre et de la Lecture au ministère de la Culture et de la Francophonie annonce la mise en place d’un embryon de bibliothèque dans la perspective d’une véritable bibliothèque», avant de conseiller au directeur de l’école d’élaborer un programme de sorte que chaque écolier aie «un minimum de 30 mn de lecture par semaine». En retour, le directeur de l’Epp Kringambo, N’Dri Kouamé Armand, en baoulé, exprime sa gratitude envers les donateurs.
Dans la foulée, Blaise Houphouët Koffi, représentant le président de la mutuelle de Kringambo, empêché, rend hommage à Ahoko Kwah’in et forme ses vœux de grandeur pour le festival.
Dans cette journée de vendredi, c’est d’abord un chanteur tradi-moderne, Américain, qui ouvre les hostilités. Arrive ensuite l’invité spécial du festival Alexis Djisso, très applaudi. Le conteur dida, 66 ans, en exercice inédit en pays baoulé, n’est pour autant pas dépaysé. «Le conteur, c’est celui-là même qui se confond à la couleur du paysage où il atterrit», souffle-t-il d’emblée. La prise de contact terminée, le père de la locution «Apa Zrigbo-Titimati, Mati-Assa !» se saisit de son arc musical (en bouche) et se met à jouer un air, mystérieux. Il tient le public en hypnose. Djisso est débout. Il est coiffé d’un melon noir vêtu d’un chemise-pagne, porte des verres correcteurs sombres, un pantalon tissu gris, des chaussures beiges. Il s’emploi à faire revivre aux nombreux Kringambois l’histoire du Cerf volant et du Varan se disputent la paternité de l’arbre. Le Varan, nous apprend-il, finit par avoir raison du Cerf volant pour qui «l’arbre ne tient qu’à ses feuilles», en faisant mourir l’arbre après avoir lui avoir coupé les racines. «Sans racines, pas d’arbre», crie-t-il au Cerf Volant, en creusant. Si bien que l’animal perdant n’a eu qu’à fuir la vérité.
A peine ce passage minimaliste accrocheur de Djisso bouclé, le public est invité à suivre une scène de dérision à travers le défilé militaire des indigènes, les tirailleurs sénégalais. Un retour au temps colonial où des phrases en français sont autrement comprises, selon la connotation qu’elles donnent dans leurs langues maternelles. C’est le cas chez les Baoulé qui croyaient entendre par «en colonne couvrée », «a kounou kouflé» qui signifie «l’estomac de ton ventre» et par «trois quatre », «n’drowa ni n’gattè», c’est-à-dire, «aubergine et arachide».
A Zou Michel de Bouafla de jouer maintenant ! Lui et le public de Kringambo se connaissent car l’an dernier, il fut la révélation. Mais cette fois-ci, il change de peau, de répertoire. Et c’est toujours à son avantage. Zou se signale en gonflant à bloc son jeune ensemble orchestral. Il se distingue par une coiffe coutumière gouro rose, son boubou blanc et sa grosse queue de fauve. Sons de caisse de résonnance, de tambour, de cloche s’assoient à son conte qui donne une autre texture aux récits de ce bon danseur qui s’inspire beaucoup de la faune et de la flore du voisin des Koyaga.
En arrière dans l’Afrique
On marque une petite pause avec la découverte d’une variété d’arts et d’habitudes anciens. entre autres, la préparation du condè, un met à base du manioc devenu plus tard placali prisé par les ivoiriens, un collier d’alliance réservé à la plus belle femme d’un foyer de polygames, le houngblè ou la poire à lavement en calebasse en miniature, des ustensiles de cuisine en bois, une femme avec un attouffou aux fesses destiné à séduire les hommes et à équilibrer un bébé au dos.
Ainsi se présente dans toutes ses dimensions Ahoko Kwah’in n’Gwa gwa de Kringambo 2015. Une réussite, sans doute à rééditer l’an prochain, si l’on en croit Point de Lecture qui promet même de mieux faire.
Schadé ADEDE, envoyé spécial à Kringambo
Source: Notre Voie, samedi 14 & dimanche 15 mars 2015