De Jean-Paul Pougala
Nous sommes le mercredi 2 et jeudi 3 avril 2014, voici le titre des principaux journaux en Occident :
Dès le 2 avril, c’est le New York Times qui est le premier à rendre publique la note interne d’un certain : Michael F. O’Brien, vice-directeur chargé des relations internationales de la Nasa, en ces termes :
« NASA Breaks Most Contact With Russia » (La NASA coupe tout rapport avec la Russie)
Le lendemain 3 avril, ce sont les radios, télévisions et journaux européens qui entrent tous dans la danse :
« La NASA coupe les ponts avec Moscou en raison de la crise ukrainienne » RTS-Info (Radio Télévision Suisse)
« La Nasa suspend “tout contact” avec la Russie » Le Monde
« La Nasa suspend ses contacts avec la Russie » Le Figaro
Cette information symbolise à elle seule tout l’enfumage, tout le bluff des pseudo-sanctions économiques des Occidentaux contre la Russie sur la crise ukrainienne et nous allons immédiatement voir pourquoi.
L’OUBLI SÉLECTIF DES INFORMATIONS
Tous les journalistes qui donnent cette information omettent de communiquer l’information plus importante survenue à peine 5 jours avant et que cette soi-disant information venait contredire. Nous sommes le 27 mars 2014, devant le Congrès des États-Unis d’Amérique, le n° 1 de l’Agence Spatiale Américaine, la NASA, un certain Charles Bolden explique aux députés et sénateurs américains que s’il y a sanctions réciproques entre Russie et USA, ce sont les USA qui auraient le plus à perdre. Il leur explique pourquoi il ne voit vraiment pas comment les États-Unis supporteraient longtemps d’éventuelles sanctions russes contre les Américains sur le plan spatial. En conclusion, selon les dépêches des agences de presse de AP à Reuters, en passant par AFP, devant les membres du Congrès, il « confirme sa confiance dans le partenariat spatial avec la Russie, dont les États-Unis dépendent pour transporter leurs astronautes à la Station spatiale internationale, malgré les tensions liées à la crise ukrainienne »
Voici l’information donnée par le directeur lui-même et devant le Congrès des États-Unis. Mais pourquoi les journaux occidentaux vont-ils taire cette information pour mettre l’accent plutôt sur une note interne d’un vice-directeur d’une sous-commission ? Encore plus inquiétante : pourquoi Michael F. O’Brien peut-il faire un communiqué qui soit en parfaite contradiction avec les déclarations de son chef supérieur 5 jours plus tôt ? Voici en détail ce que dit son communiqué :
« Étant donné la violation par la Russie de la souveraineté et de l’intégrité territoriale de l’Ukraine, jusqu’à nouvel ordre, le gouvernement américain a décidé que tout contact entre la NASA et des représentants du gouvernement russe devait être suspendu, sauf exception expressément définie (…) L’agence spatiale américaine met fin aux voyages de ses employés en Russie ainsi qu’à l’accueil de Russes dans ses bâtiments et également, décrète un gel des contacts par emails, téléconférences ou visioconférences ». Qui a raison dans ce jeu de poker-menteur où les deux protagonistes jouent le même rôle de contributeur à la création de la confusion afin de faire perdre l’ignare citoyen dans l’écran de fumée ainsi monté ?
Au moment où tout ceci se passe, il y a dans l’espace deux Américains en compagnie de trois Russes qui volent au-dessus de nos têtes, dans la station spatiale internationale dénommée ISS. Depuis la fin des vols du Shuttle en 2011, aujourd’hui, il n’y a que la Russie qui ait les moyens techniques pour amener quelqu’un à bord de cette station. Ce que le directeur de la NASA tentait de faire comprendre aux membres du Congrès était que si la Russie s’énerve, les deux astronautes américains resteraient bloqués à jamais dans l’espace.
ET L’AGENCE SPATIALE EUROPEENNE ?
Son cas est encore plus lourd que celui des Américains. Parce que pour envoyer un de leurs citoyens dans l’espace, les Européens se donnent des coups de pieds entre eux. Et la Russie se sucre sur leur dos. Elle taxe ainsi le billet pour se rendre dans la Station Spatiale Internationale ISS à tout citoyen non Russe à presque 71 millions de dollars, soit 53 millions d’euros pour un aller et retour. Et les places sont limitées bien sûr.
En cas de vraies sanctions contre la Russie, cette dernière pourrait tout simplement rembourser au pays occidental concerné le prix du billet retour et lui demander de se débrouiller pour faire revenir son astronaute sur terre. On peut dès lors imaginer l’effet dévastateur sur l’opinion publique occidentale contre leurs propres dirigeants politiques qui auraient contribué à laisser mourir dans l’espace leurs astronautes. Ce n’est pas de la pure fiction, c’est le plan B que Moscou a préparé en réponse aux Occidentaux s’ils devaient dépasser la ligne rouge.
Pour le savoir, il suffit d’écouter le vice-premier ministre russe Dmitri Rogozine après la première vague de sanction le 28 avril. Voici ce qu’il déclare le lendemain sur l’agence russe d’information INTERFAX : « s’ils veulent frapper le secteur russe des fusées, ils vont automatiquement, par rebond, exposer leurs cosmonautes de la Station spatiale internationale (…) Honnêtement, ils commencent à nous taper sur les nerfs avec leurs sanctions, et ne comprennent même pas qu’elles vont leur revenir en boomerang.»
Et selon l’Agence Itar-Tass, voici ce qu’il ajoute sur son compte Twitter : « Les États-Unis ont décrété des sanctions contre notre industrie spatiale. Mais nous les avons prévenus que nous répondrons à une déclaration par une déclaration, et à une action par une action (…) les Américains n’ont qu’à envoyer leurs astronautes sur la station spatiale internationale (ISS) avec un trampoline ».
Les deux astronautes américains sont Rick Mastracchio et Steve Swanson. Leur retour sur Terre est prévu pour le mois d’octobre 2014. À moins qu’entre temps, la situation ne s’envenime entre les deux pays et que les Russes décident tout simplement de les laisser mourir dans l’espace.
Le président américain Barack Obama aurait dû suivre les conseils d’un dicton populaire du côté de Akonolinga au Cameroun qui récite : « Si tu tiens à entrer dans une bagarre, rentre d’abord chez toi déposer le panier d’œufs que tu portes sur ta tête ». Avant de faire des déclarations fracassantes de sanctions contre la Russie, il aurait d’abord dû faire descendre sur Terre ses astronautes.
La Station Spatiale Internationale ou l’International Space Station (ISS) est un investissement total d’environ 150 milliards de dollars, cotisés par plusieurs pays du monde. Mais il est de fait géré par la Russie, puisqu’elle seule peut y faire arriver des personnes, avec ses moyens techniques. Pour faire arriver les ravitaillements, pour réduire la dépendance du Cargo Progress russe, le gouvernement américain a conclu des accords chiffrés en milliards de dollars pour acheminer seulement 40 tonnes de cargos et ce, avec deux entreprises américaines, il s’agit notamment de l’entreprise Orbital Sciences pour 1,9 milliard de dollars (8 voyages pour livrer 20 tonnes de fret) et la SpaceX pour 1,6 milliard de dollars (12 voyages pour acheminer 20 tonnes de fret). Voilà pourquoi, sans les Russes, le programme spatial américain est une aventure plutôt ruineuse, sans résultat probant. Et le communiqué du 2 avril 2014 de la Nasa annonçant la rupture de toute collaboration avec la Russie à cause de la crise ukrainienne est un véritable bluff. Car tout au moins dans ce domaine, ce sont les Américains qui ont besoin des Russes et non l’inverse. Il y a par exemple en permanence deux navettes russes Soyouz à la station spatiale pour évacuer ses occupants en cas d’imprévu ou d’incident (incendie, manque d’oxygène, délestage électrique prolongé, etc.). Or, sur chaque navette, il n’y a que trois places. Et en cas d’incident, comme le veut la règle, les Russes sont les premiers à prendre place et Moscou décide ensuite du sort des occupants restants, entre Européens et Américains qui sauver et qui sacrifier.
CE N’EST PAS TOUT.
Dans le secteur du lancement et du placement en orbite terrestre des satellites artificielles de communication qu’ils soient militaires ou civiles, les Etats-Unis dépendent de la Russie. Selon le New York Time du même 2 Avril 2014, c’est le Secrétaire à la Défense des Etats Unis d’Amérique, Chuck Hagel qui est monté aux créneaux pour exiger que la AIR FORCE, les forces aériennes américaines ne se fournissent plus en Russie. Ce qu’il fait semblant d’oublier est que les projets de satellites militaires américains sont confiés au lanceur ATLAS 5, une joint-venture entre Boeing et Lockheed Martin. Et ces 2 entreprises, depuis des années utilisent pour leurs lanceurs, les moteurs de fabrication russe, notamment la fameuse, RD-180 qui bat tous les records de lancements sans incident, dû à une défaillance de moteur. Dire à Boeing ou à Lockheed Martin de se passer de moteurs russes, signifie leur demander de démarrer en 2014 des recherches pour de nouveaux moteurs devant équiper leurs lanceurs. Temps nécessaire : 10 ans au moins pour sortir les premiers moteurs. C’est purement et simplement du n’importe quoi, de la bêtise stratégique. Mais pourquoi cette haine subite contre la Russie ? Est-ce pour l’amour de l’Ukraine ? J’en doute.
DE LA DEMOCRATIE EN AMERIQUE
Pour bien comprendre la suite des évènements qui vont se succéder en Ukraine ces derniers mois, il est peut-être important de revenir en 1835 pour lire la page 438 d’un livre qui sert aujourd’hui de référence pour comprendre la politique des États-Unis. Voici ce qu’Alexis de Tocqueville écrit dans le tome 1 de son livre : « De la démocratie aux États-Unis » :
« Il y a aujourd’hui sur la terre deux grands peuples qui, partis de points différents, semblent s’avancer vers le même but : ce sont les Russes et les Anglo-Américains. Tous deux ont grandi dans l’obscurité ; et tandis que les regards des hommes étaient occupés ailleurs, ils se sont placés tout à coup au premier rang des nations, et le monde a appris presque en même temps leur naissance et leur grandeur. Tous les autres peuples paraissent avoir atteint à peu près les limites qu’a tracées la nature, et n’avoir plus qu’à conserver ; mais eux sont en croissance : tous les autres sont arrêtés ou n’avancent qu’avec mille efforts ; eux seuls marchent d’un pas aisé et rapide dans une carrière dont l’œil ne saurait encore apercevoir la borne. (…) Pour atteindre son but, le premier s’en repose sur l’intérêt personnel, et laisse agir, sans les diriger, la force et la raison des individus. Le second concentre en quelque sorte dans un homme toute la puissance de la société. (…) Leur point de départ est différent, leurs voies sont diverses ; néanmoins, chacun d’eux semble appelé par un dessein secret de la Providence à tenir un jour dans ses mains les destinées de la moitié du monde. »
Lorsque nous analysons les évènements de l’Ukraine, on peut dire que des deux principaux protagonistes, les États-Unis semblent ceux qui agissent avec le plus grand amateurisme, dans la plus grande médiocrité. Menacer de sanctions Monsieur Poutine qui est acclamé par son peuple à près de 80% de popularité pour avoir annexé la Crimée, en espérant qu’il va trembler comme on le ferait pour un petit garçon de la maternelle est pour le moins naïfs, pour ne pas dire, idiot. Mais pourquoi ?
Selon les analyses et les conséquentes prévisions faites par Tocqueville, la démocratie américaine est affaiblie par l’absence totale de liberté intellectuelle à cause de ce qu’il appelle, le « despotisme populaire » et la « tyrannie de la majorité ». Il dit que dans ce pays, ce sont « les ignares qui jugent les sages ». On comprend dès lors que l’amateurisme américain sur les questions de politique internationale n’est pas dû au manque d’intelligence de ses stratèges, mais plutôt à la nécessité de complaire et se soumettre à cette « tyrannie de la majorité », à ce peuple ignare qui ne sait même pas où sont ses propres intérêts. C’est dans ce contexte que le président Obama doit annoncer, menacer des sanctions économiques contre la Russie, lorsque tout le monde sait que ces sanctions ne pourront jamais être mises en pratique sans au préalable punir les opérateurs économiques américains. Ceci est valable pour les États-Unis, mais aussi pour tous ses alliés. Sur le plan purement économique, voyons ci-dessous, l’exemple d’un seul des autres pays occidentaux qui brandissent les sanctions contre la Russie, l’Allemagne :
EN ALLEMAGNE
« Les politiciens européens sont de véritables inconscients ». Ce n’est pas moi qui le dis, c’est ce que pense et dit très haut tout ce qui compte dans l’économie en Allemagne, notamment les milieux industriels, chimiques, automobiles et bancaires à propos des déclarations des uns et des autres dirigeants européens durant la crise ukrainienne. Dans un article du quotidien économique français « La Tribune » du 13 mars dernier avec le titre évocateur : « Les patrons allemands peu enthousiastes pour sanctionner la Russie », le journaliste Romaric Godin nous raconte comment pratiquement tous les patrons allemands sont montés au créneau pour défendre Vladimir Poutine et sa décision d’annexer la Crimée. Et pour ne pas froisser le maître américain, ce soutien ne fera jamais la une des journaux allemands qui tous à l’unisson ont condamné le méchant Vladimir et manifesté leur soutien aux manifestants de Euro-Maïdan à Kiev, qui entrerons dans l’histoire pour avoir réussi la révolution la plus idiote, ayant porté à faire cadeau à l’ennemi qu’on voulait humilier, la Russie, d’une région avec la superficie de la Belgique.
Il y a cependant eu des exceptions pour braver l’unanimisme alignement de la presse allemande derrière le président Obama. Il s’agit du quotidien « Handelsblatt », l’organe d’expression du patronat allemand. Dans son éditorial du 13 mars, c’est le directeur de publication en personne, un certain Gabor Steingart, qui s’est exprimé pour dénoncer les Occidentaux dans la comparaison faite par Hillary Clinton entre Vladimir Poutine et Hitler. Il va plus loin, il renvoie à l’expéditeur les accusations faites par les Occidentaux contre Poutine d’expansionnisme. Il répond à l’ancien vice de McCain aux présidentielles américaines de 2008, Sara Palin qui avait jugé Obama trop mou dans le dossier ukrainien et suggéré qu’il fallait un dur pour bloquer un autre dur ; monsieur Steingart tourne en complète dérision ce qu’il appelle la politique bavarde de « pitbull » des Occidentaux.
Mais à ce stade, il y a quand même quelque chose qui nous intrigue : pourquoi diable les patrons allemands doivent-ils soutenir Vladimir Poutine à ce point allant jusqu’à se moquer de leurs politiciens ? Ces patrons allemands sont allés jusqu’à déposer sur la table de la chancellerie Merkel le résultat d’un sondage qui dit que le peuple allemand est à 69 % derrière Vladimir Poutine et contre les sanctions. C’est ce qui va pousser le vice-chancelier Sigmar Gabriel à tenter de calmer la grogne des industriels allemands avec des promesses qui sonnent à l’opposé du communiqué final que Bruxelles publiera pour confirmer les sanctions contre des personnalités russes en ces termes : « l’Allemagne ferait tout pour éviter de nouveaux trains de sanctions contre la Russie ».
La raison de cet attentisme est plus simple que ce qu’on pourrait imaginer : un simple bon sens. Les Allemands ont renoncé depuis à l’énergie nucléaire. Ils ont donc besoin pour produire leur électricité dite thermique, de beaucoup d’énergie d’origine fossile et c’est le gaz qui se taille la part du lion. Aujourd’hui, le prix du gaz que la Russie applique à l’Allemagne ne résulte d’aucune négociation, le rapport de force est complètement à l’avantage de la Russie, parce qu’il n’y a pas match, l’Allemagne n’a en effet, aucune alternative crédible au gaz russe. Et ça, les Russes le savent. Ainsi, quel que soit le prix que les Russes imposeraient, les Allemands seraient obligés de le payer sans broncher. Mais la Russie n’en abuse pas. Pour accompagner la compétitivité allemande, la Russie maintient un prix du gaz suffisamment correct pour que ces entreprises tournent au maximum pour satisfaire toujours plus de clients et donc d’avoir toujours plus besoin de gaz russe. Voilà pourquoi presque à l’unanimité, les patrons allemands se sont indignés que la chancelière Merkel ait pris fait et cause pour l’opposition ukrainienne en soutenant ouvertement les manifestants anti-Russie. C’est aussi pourquoi de grands patrons allemands réputés pour leur discrétion sont sortis de leurs réserves. Par exemple, le 12 mars 2014, Jürgen Fitschen, président de la fédération des banques privées BdB, codirecteur de la Deutsche Bank, a officiellement fait des déclarations pour supplier la chancelière Angela Merkel d’arrêter d’énerver la Russie, parce que dit-il, « on ne sait jamais ce qui peut passer dans la tête d’un Poutine énervé ». Et ça, l’Allemagne ne peut pas se permettre le luxe de le titiller pour le découvrir. En d’autres termes, il a prié les politiciens allemands de ne pas se joindre à l’unanimité européenne contre le président Poutine, et de tout faire pour, dit-il, « éviter absolument de relancer la guerre froide. »
Lorsque j’ai tenté d’interroger quelques-uns de ces industriels allemands pour en savoir plus de leur soutien à la Russie, voici plus ou moins l’essentiel de leur raisonnement très pragmatique : l’Allemagne verse chaque année à la Russie la somme de 40 milliards d’euros pour acheter en majorité du gaz. Et l’Allemagne n’arrive pas à résoudre le problème du déficit commercial pour équilibrer les comptes entre les deux pays. Ce qu’ils disent est facile à comprendre même pour les enfants de maternelle : L’Allemagne paie 40 milliards d’euros à la Russie. Il est du ressort des industriels allemands de récupérer cet argent par tous les moyens, car un déficit commercial avec un pays signifie être en train de s’appauvrir par rapport à ce pays-là. Et chaque année, les résultats sont encourageants, l’Allemagne récupère de la Russie environ 8 % par an de sa mise. Et une crise avec la Russie viendrait gâcher tout ce travail des industriels allemands pour réduire l’appauvrissement allemand vis-à-vis de la Russie où sont installées 6 000 entreprises allemandes.
On comprend mieux dès lors pourquoi le 12 mars de cette année, c’est le président de la fédération allemande des exportateurs, la BDA, qui convoque une rencontre d’urgence à Berlin suivie d’une conférence de presse pour dire haut et fort que les patrons allemands sont derrière la Russie. Il est allé jusqu’à suggérer à son gouvernement de prendre du temps. Voici ce qu’il dit en conférence de presse : « l’essentiel et la principale cible à atteindre dans la crise avec la Russie, c’est de gagner du temps et ne pas lancer d’emblée les missiles des sanctions. » Pour ceux qui ne l’ont pas compris, il est en train de dire qu’il faut faire semblant de condamner officielle la Russie, mais en sourdine, continuer les affaires comme avant. Ce sont après tout, 20 milliards d’euros que ces entreprises ont investi en Russie.
LES MILLIARDS DE LA CRIMÉE
Observez bien les visages des dirigeants par intérim de l’Ukraine à chacune des rencontres avec les dirigeants occidentaux. Vous ne remarquez rien de bizarre ? Observez encore très bien. Vous ne voyez toujours rien d’étrange ? Eh bien, voilà des gens qui ont à peine pris le pouvoir sur la base d’un coup de force d’une révolution populaire, ils devraient être très contents. Eh bien non, ils font une tête d’enterrement. Ils sont en deuil. Regardez Obama, lorsqu’il reçoit à la Maison-Blanche le nouveau premier ministre ukrainien par intérim. Comparez sa conférence de presse à celle avec Hollande il y a juste un mois. Tous les deux sont en deuil. Oui, même Obama est en deuil. Vous pensez que c’est le deuil pour avoir perdu la Crimée ? Bingo, vous avez trouvé. Mais ce que vous ne savez pas c’est qu’il ne s’agit pas juste de la Crimée. Et pourquoi donc sont-ils en deuil ?
Pour le comprendre, creusons un peu nos méninges et croisons les informations en notre possession sur quelques situations réelles.
Dès l’instant où il y avait à Kiev une sorte de passation de pouvoir entre le gouvernement légitimement élu par le peuple ukrainien et les membres de l’extrême droite soutenus par les États-Unis et l’Union Européenne, c’est ce moment précis que le géant gazier russe Gazprom, accélère le projet de construction du gazoduc South Stream qui doit contourner l’Ukraine par le sud pour alimenter des pays comme l’Italie ou l’Autriche en gaz russe et attribue le marché pour la construction du premier des 4 tronçons du pipe-line à une entreprise italienne, la Saipem pour un montant de 2 milliards d’euros. Il fait la même chose avec deux entreprises, une Allemande, la Wintershall qui est déjà partenaire du projet à hauteur de 15 %, et l’autre française, EDF qui elle aussi détient 15 % du projet. Nous sommes à 6 jours avant l’occupation de la Crimée par les forces dites d’autodéfense russes.
Mais cette information ne nous indique rien du tout. Pour en comprendre la portée, nous allons le découvrir à travers une information qui est publiée le jour même de l’occupation de la Crimée par les troupes russes dans un journal russe spécialisé dans les questions énergétiques, c’est le numéro de mars 2014 du mensuel « Ekspert », qui annonce dans son titre : « Avec la Crimée, la Russie économise 20 milliards de dollars sur le gazoduc South Stream ». Pour comprendre la portée de cette information, il faut bien rappeler que la Russie a décidé de construire deux gazoducs North stream déjà inaugurés qui par la mer Baltique apporte le gaz à l’Allemagne, aux Pays-Bas, à la Belgique et à la France, sans passer par l’Ukraine, afin d’éviter les crises de 2007 et les chantages que Kiev pourrait exercer sur les fournitures de gaz russe à l’Union européenne. Il y a donc un deuxième gazoduc dénommé South Stream qui lui passe par la mer Noire, la Turquie et la Grèce, pour alimenter l’Italie, la Grèce, etc. en contournant le territoire ukrainien. Sauf que lorsque le projet était tracé, c’était sur la base d’une Crimée ukrainienne, et donc, il fallait contourner la Crimée. En occupant la Crimée, cela a réduit la longueur du gazoduc et donc des travaux pour le réaliser. Total des économies : 20 milliards de dollars.
Jusque-là, je n’ai pas toujours dit pourquoi Obama et les nouveaux dirigeants à Kiev sont en deuil pour la perte de la Crimée. C’est tout simplement parce que la Crimée était la seule grande chance pour l’Ukraine d’avoir son indépendance énergétique de la Russie, puisqu’il a été découvert sur environ 1400 m² d’espace au large de la Crimée orientale, les gisements de gaz et de pétrole les plus importants de la région. Selon le quotidien financier italien « Il Sole 24 ore » du 15 mars 2014, les découvertes faites par les Occidentaux, dont Eni, Shell et Exxon sont phénoménales. Le quotidien italien nous explique qu’Eni devait contrôler les 50 % de l’exploitation et la société publique ukrainienne, Chornomornaftogaz, comme c’est souvent le cas en Afrique, seulement 10 %.
Le projet du gazoduc South Stream devait coûter aux Russes la somme de 46 milliards de dollars. En récupérant la Crimée, ce projet passe désormais à 25 milliards de dollars. Et en plus, la Russie engloutit la seule chance de l’Ukraine d’être producteur de pétrole et de gaz. La question est maintenant de savoir comment l’Ukraine sans la Crimée fera pour payer ses dettes à l’Occident. La Russie peut même lui faire cadeau de ce qu’elle lui devait, de toutes les façons, les gisements de gaz et de pétrole de la Crimée sont là pour consoler les Russes. Voilà pourquoi des pseudo-sanctions économiques contre la Russie ne font ni froid ni chaud au président Poutine ou à son premier ministre Medvedev, c’est d’ailleurs ce que ce dernier va déclarer dans un communiqué le 22 avril.
Revenons à la Crimée et au gazoduc South Stream. La Russie a déjà tendu une main aux Européens, en offrant aux sociétés Saipem, Wintershall et EDF une bonne enveloppe. La rapidité de cette enveloppe prouve qu’il s’agit d’une manœuvre pour diviser les Européens. Et ça marche : depuis lors, lorsqu’on parle à l’Union Européenne des sanctions économiques contre la Russie, il n’y a jamais d’unanimité pour les positions dures contre la Russie.
ET L’AMERICAINE EXXON ET LA HOLLANDAISE SHELL ?
Même pour elles. Tous se sont retournés contre leurs propres gouvernements respectifs pour éviter la confrontation avec les Russes sur le thème des sanctions. Seront-elles exclues de l’exploitation du pétrole et du gaz criméen ? L’avantage financier de la Crimée est trop grand pour la Russie pour qu’elle se laisse émouvoir par des sanctions venues d’Occident et qui en plus vont pénaliser ses propres particuliers devenus des investisseurs en terre russe.
La Russie à travers Gazprom a partagé de petites mangeoires du projet South Stream à différents pays. Il s’agit notamment de l’Autriche, la Bulgarie, la Croatie, la Grèce… Des pays qui tous, en sourdine, subissent les foudres de la Commission Européenne, qui se justifie ainsi :
« Sous sa forme actuelle, le gazoduc South Stream ne pourra fonctionner sur le territoire de l’Union européenne ». Pour la Commission, voici les trois raisons pour ne pas y aller : « absence de séparation entre production et transmission, monopole sur le transport et opacité de la structure tarifaire ».
CONCLUSION PARTIELLE
La moindre sanction de l’Occident contre la Russie est une arme à double tranchant qui fera plus de dégâts en Occident qu’en Russie, état continent de 17 millions de km² qui peut tranquillement vivre en complète autarcie en se coupant du monde sans en souffrir outre mesure. Mieux, nous vivons au XXIème siècle et non plus au XXème. Les sanctions économiques n’ont plus qu’une valeur symbolique parce que la marchandise que vous refusez de livrer à un pays est très vite remplacée par un autre. Et sur ce point, les Chinois ne se font pas prier pour remplacer les pays qui appliquent les sanctions. On l’a vu en Iran, on l’a aussi vu en Corée du Nord, qui malgré les sanctions occidentales, ne manque de rien. On l’a aussi au Zimbabwe où on oublie presque qu’il existe un embargo économique européen contre ce pays, parce que là-bas, mêmes les vols quotidiens à destination de Londres ont été remplacés par des vols quotidiens de Harare pour Pékin.
En suivant la stratégie chinoise en Occident, la Russie est en train de mettre la main sur tous les fleurons de l’économie occidentale, parce qu’ils ont le cash, beaucoup de cash. La Russie a une stratégie bien précise : contrôler ou acheter à la bourse toutes les entreprises qui opèrent en Russie dans des domaines stratégiques. Ainsi, la British Petroleum a été achetée par les Russes à 55 milliards de dollars, c’est-à-dire : 27 500 milliards de francs CFA. La société française de transport GEFCO est aujourd’hui détenue à 100 % par une entreprise russe de chemins de fer. En Italie, c’est Pirelli qui se fait engloutir par les milliards russes. Dans un cas ou dans l’autre, les Russes ne sont pas les Africains. Ils savent où sont leurs intérêts et savent les défendre. La moindre sanction contre elle met 2 fois à genoux ceux qui imposent ces sanctions.
QUELLES LEÇONS POUR L’AFRIQUE ?
Lorsque le 2 mai 2014, environ 49 Ukrainiens appelés par les Occidentaux « pro-russes » et appelés par les Russes « partisans du fédéralisme ukrainien » sont brûlés vifs dans un immeuble appartenant à un syndicat à Odessa dans le sud de l’Ukraine, par les « pro-occidentaux » ou par les « partisans de l’unionisme », les réactions des uns et des autres ont fait comprendre clairement qu’en Ukraine se joue encore une partie de la guerre froide entre les États-Unis d’Amérique et la Russie, mais avec des acteurs interposés.
Les Américains se savent d’avoir encore une fois été piégés par les Russes dans la fameuse conférence de Genève du 17 avril 2014. Les Américains croyaient avoir eux-mêmes eu les Russes en les faisant asseoir pour la première fois sur une table de négociation avec ceux que l’administration Poutine appelle les : « extrémistes qui ont pris illégalement le pouvoir à Kiev ». Les Américains vont découvrir seulement après la rencontre qu’au fond, ils venaient de valider l’annexion de la Crimée par la Russie, puisque tout sera débattu à Genève, mais aucune trace de la Crimée, officialisant de fait l’acceptation américaine de l’annexion de la Crimée par la Russie. C’est cette prise de conscience qui va frustrer Washington qui va alors mettre la pression sur ses personnes au pouvoir à Kiev pour lancer l’attaque des blindés contre les séparatistes à l’est de l’Ukraine. C’est en effet le même Obama qui avait demandé et obtenu une résolution du Conseil de Sécurité des Nations Unies en mars 2011 pour aller protéger les habitants Benghazi en Libye parce que disait-il, « Kadhafi est en train de tirer sur son propre peuple ». Peut-être n’y a-t’il que le président américain Obama pour nous expliquer la différence entre les populations de Benghazi en Libye qui ont valu son soutien militaire et les populations de Sloviansk, Odessa, Kostiantynivka, Marioupol, Kramatorsk, etc., tuées, brulées par les militaires de leur propre pays et envoyées par des putchistes de Kiev aux ordres de Washington.
Peut-être qu’Obama est le seul à pouvoir nous expliquer la différence entre ces propos tenus par le chef des services antiterroristes ukrainiens, Vassil Kroutov, durant une conférence de presse à Kiev le samedi 03/05/2014 :
« L’Ukraine est désormais en situation de guerre, car ce qui se passe dans la région de Donetsk et dans les régions de l’Est n’est pas un soulèvement passager, c’est une guerre. »
Et les propos du Guide Libyen Kadhafi en février 2011, disant ceci :
« Ce qui se passe à Benghazi n’est pas un soulèvement populaire des habitants mécontents, ce sont des terroristes d’Al- Qaida venus de l’étranger pour nous déclarer la guerre. Et à Benghazi, c’est la guerre. »
Qu’importe, Obama peut choisir à géométrie variable, le camp des bons et décréter l’autre comme des méchants à combattre, en fonction des intérêts américains du moment.
Mais j’ai peur que cette fois-ci, le président américain ne soit même pas en mesure de savoir pourquoi il soutient le chaos en Ukraine et pire, qu’il soit lui-même incapable de dire en quoi des morts dans l’est et le sud de l’Ukraine peuvent servir les intérêts américains. Ou bien tous ces morts ne servent-ils que pour mesurer ses muscles à l’ennemi de toujours, la Russie ? Aujourd’hui la République du Sud-Soudan créée par Obama est à feu et à sang, alors que ce dernier, avec l’aide habituelle de la Cour Pénale Raciste Internationale avait décrété que les méchants se trouvaient à Khartoum, leur plus grosse faute étant celle d’avoir des accords stratégiques avec la Chine et écarter les entreprises américaines dans l’exploitation de son sous-sol. L’ambassade américaine dans la capitale du Sud-Soudan s’est ouverte le jour même de la date d’indépendance afin de faire profiter au Sud-Soudan des miracles que procure la démocratie. Obama n’a même pas laissé une journée de répit à ces nouveaux dirigeants pour souffler et décider avec quels pays avoir des relations diplomatiques, comme pour leur dire qu’ils n’ont eu leur indépendance que grâce au chaos que les Américains avaient réussi à instaurer dans tout le Soudan avec l’aide des ses illustres acteurs de Hollywood qui tous depuis leurs somptueuses villas de la Californie, apercevaient un génocide au Darfour. Et depuis qu’ils ont morcelé le Soudan en deux parties, le miracle s’est établi : le génocide a subitement disparu au Darfour. Le flambeau est passé au Sud-Soudan sous le contrôle de Washington. Et si la Russie menaçait les États-Unis de sanctions économiques et militaires si la paix ne revenait pas vite au Sud-Soudan ?
Jean-Paul Pougala (ex-domestique de maison)
Bamena (Cameroun), le 05/05/2014