La guerre est désormais déclarée entre le « fils » et le « père ». Le droit de réserve observé par Ebagnérin Joseph, secrétaire général (Sg) de l’Union générale des travailleurs de Côte d’Ivoire (Ugtci) à l’égard d’Adé Mensah, a sauté comme un verrou, après les derniers événements survenus à la Bourse du travail de Treichville. Ebagnérin Joseph a porté plainte contre Adé Mensah pour vandalisme et vol. Il ne cache pas sa volonté, dans l’interview, d’extirper tous les ”judas” des rangs des instances dirigeantes de la centrale syndicale.
L’Ugtci, la doyenne des centrales syndicales de Côte d’Ivoire, est à nouveau secouée par une crise, de quoi s’agit-il concrètement ?
Il ne devrait pas y avoir de crise. Malheureusement, certains estiment, malgré leur âge, être dans leur bon droit. Nous nous sommes retrouvés à un 8ème congrès pour lequel, les délégués avaient accepté de se retrouver les 10 et 11 juillet 2012, et ont, ensemble, décidé de la tenue de leur congrès les 6, 7 et 8 septembre 2012. Advenu le 3 septembre, nous avons tous appris, que le secrétaire général sortant, Adé Mensah, de manière unilatérale, avait décidé de renvoyer le congrès à une date ultérieure. Quand il a eu conscience qu’il avait fait une erreur grave, il a pu obtenir du tribunal une ordonnance pour reporter le congrès.
Avait-il capacité de repousser le congrès ?
Il n’a pas capacité de le faire. Puisque nous avons ensemble pris la décision d’organiser le congrès à une date bien précise. Il était important qu’il ait obligation de le refaire dans la même forme, à savoir : le conseil général syndical qui permet de dé- cider du changement de date. Mais dans l’opération nous nous sommes rendus compte d’une chose : c’est qu’il était pris de court et voulait impérativement régler une question qui lui était propre. Il utilisait un argument quelque peu fallacieux, de ce qu’il avait voulu avoir un consensus et qu’il a pu. Malheureusement, à l’Ugtci, les élections ont eu lieu depuis 1968. Nous savons que le général Adé a été candidat contre Koffi Joseph et également contre Adiko Niamkey. Il ne peut donc pas l’utiliser comme un argument. En vérité, il n’entendait pas partir. Il a donc utilisé tous les artifices. Mais le tribunal a reconnu notre droit de tenir nos assises. Toutefois, il y a un élément sur lequel les gens ne reviennent pas. Nous nous sommes retrouvés ici à plus de 500 délégués. Il fallait prendre en charge ces centaines de syndicalistes. Ce que nous avons fait, avec l’aide des autorités, après que le général ait abandonné ses militants dans la rue après les avoir convoqués pour un congrès. Pire, les fonds octroyés par le gouvernement pour l’organisation du cinquantenaire, ont disparu. Il n’a même pas eu le courage de venir saluer les délégués qu’il a fait convoyer de toutes les régions de la Côte d’Ivoire. Il les a laissés à leur triste sort.
Combien de francs avaient été décaissés par le gouvernement pour l’organisation du congrès ?
Le gouvernement avait laissé agir en notre nom. Mais il nous avait octroyé 60 millions de F Cfa pour l’organisation du cinquantenaire de la centrale. Le général est parti avec ces fonds-là, après avoir vidé les caisses de la centrale. A la vérité, nous nous sommes rendus compte d’une chose : il distrait les fonds, il n’organise pas le congrès et il veut créer le désordre. A la limite, il n’entend pas que d’autres personnes aient l’avantage de lui succéder au motif qu’il est lui et qu’il est là.
L’une des accusations brandies par vos adversaires pour dénier votre statut de secré- taire général, est que vous avez été élu nuitamment ?
Lorsqu’on dit que les élections ont eu lieu nuitamment, c’est la preuve qu’elles ne se sont pas déroulées au siège de la centrale. Cela veut dire que des personnes se seraient cachées pour tenter de créer une condition d’élection qui n’est pas une. Alors qu’en fait, nous sommes restés au siège et les élections se sont tenues à la Bourse du travail de Treichville. Le général Adé Mensah a été élu en son temps au-delà de 20h30mn. Le premier secrétaire général de l’Ugtci, Amont Tanoh Lambert, a été élu le 4 août 1962, il était 4h30mn du matin. C’est un argument fallacieux qui ne tient pas la route. A ceux qui avancent cet argument, est-ce qu’ils sont sûrs que quand on ouvre des élections le matin, on est certain de l’heure de la fin ? Et qu’advenue la pénombre de 18h, on décide de reporter au lendemain parce qu’on ne tient pas d’élections la nuit? C’est un argument que l’on brandit parce que quelque part, on n’a rien d’autre. C’est donc normal pour ces personnes là de s’accrocher à des artifices qui ne tiennent pas.
Le camp Adé Mensah vous accuse également d’avoir empêché une candidate d’avoir accès à la bourse pour prendre part aux assisses, et présenter sa candidature au congrès de 2012…
Ce n’est pas une foudre de guerre. A la limite, elle ne pèse rien. Si d’aventure on devrait pouvoir être confrontés, on n’utilisera pas de bulletins. Nous sommes pour le principe de l’alignement. Ça va parler de soi-même. Lorsque vous êtes quelque part, parce qu’on a créé un artifice pour vous installer, et que vous comptez dans votre union moins d’une dizaine d’organisations syndicales, cela veut dire que vous ne pesez rien. Voici quelqu’un qui décide d’être candidat à un concours, et qui, pour des motifs qui lui sont propres, ne participe pas à ce concours, mais de sa personne, décide de le faire annuler au motif que cette personne en tant que tel, n’a pas eu le temps de venir. C’est un argument qui est fallacieux. Il est simplement fallacieux parce qu’on peut dire qu’elle n’a pas fait acte de candidature. Elle a suivi le général Adé Mensah en acceptant le principe du report. Parce qu’elle n’est pas venue, elle ne peut pas battre en brèche la volonté de 500 délégués qui ont décidé de créer les conditions pour la mise en place de leur bureau. Mme Suzanne Deazon Vlei n’est pas la question. Elle n’est qu’un artifice. C’est plutôt le général Adé qui est le commanditaire.
Vous parlez d’arguments fallacieux, pourtant, votre adversaire a obtenu une grosse du tribunal d’Abidjan ?
Mais que dit la grosse ? Elle dit que parce que le congrès ne s’est pas tenu les 6, 7 et 8 septembre 2012, et qu’il s’est déroulé à une autre date, il est annulé. Mais enfin, les 6, 7 et 8, on avait un problème, puisque que le tribunal nous a reçus le 11 septembre. On s’est rendu compte que, du moment où le jour est passé, il n’est plus à venir.
A vous entendre, on croirait qu’au niveau de la justice, il y a des personnes tapies dans l’ombre qui tirent les ficelles…
Nous sommes respectueux de la justice. Mais nous pensons que ceux qui ont pris la décision, ont du la prendre en fonction des informations qui leur ont été données. Et si les informations sont erronées, la décision va prêter à équivoque et remettre tout en question. Sinon, nous n’avons rien contre leur intégrité morale.
Combien de temps les locaux de la Bourse du travail de Treichville ont été occupés, mis sous scellés, et quelles sont les conséquences ?
Ils ont passé six (6) jours. Ils ont envahi, avec l’aide de loubards, les locaux de l’Ugtci le vendredi 15 mai 2015. C’est un épiphénomène. Ce que nous déplorons, c’est qu’ils ont fracturé des bureaux, volé des ordinateurs, de l’argent, emporté des documents importants, saccagé des services, etc. Mais ce qui est à retenir, c’est que le général Adé s’est fait installer par des loubards, et a été chassé par des forces régulières qui, elles, répondent à un Etat de droit. Parce qu’en fait, c’est le droit qui impose, qu’on soit dans son bon droit.
A combien peut-on estimer le préjudice subi par l’Ugtci ?
Nous sommes en train de l’évaluer, et nous pouvons dire qu’il sera énorme. Nous avons porté plainte contre le général Adé pour vandalisme et pour vol. Il n’y a pas de raison qu’il s’en tire aussi facilement.
Est-ce que cela signifie que vous allez ester en justice toutes les personnes impliquées?
Nous tenons à cela. Nous avons été de tout temps celui qui a demandé aux autres d’éviter qu’on porte atteinte à quelqu’un qui, pour nous, doit être sage. Puisqu’il nous a apporté la preuve qu’il ne mérite pas le respect, nous allons lui démontrer que dans notre sagesse, nous avons la capacité d’utiliser les voies de droit. Nous sommes dans une dynamique où il n y a pas de raison que nous ne puissions pas défendre les intérêts de ceux qui nous ont fait confiance, et de nos mandants. Ils étaient prêts à descendre sur Abidjan, parce qu’ils voulaient en dé- coudre. Nous avons souhaité que ce ne soit pas ainsi. En le faisant, on aurait sans doute donné matière au général Adé.
Vous avez repris les choses en main en retrouvant votre fauteuil. Comment cela a été possible ?
Nous sommes restés dans la dimension de l’application de la loi. C’est sur cette base que les forces régulières, au regard d’un sursis à exécution et d’un pourvoi en cassation que nous avons obtenus de la Cour Suprême, ont mis un terme au rêve de l’ancien secrétaire général de l’Ugtci. Nous pensons que notre dossier suivra son cours, et que le droit sera dit. Adé s’est fait installer par des loubards et sans huissier de justice, des bureaux ont été cassés, et c’est dommage. Parce que pour le respect qu’on lui voue, en arriver là, c’est à notre sens, une sortie malheureuse. Nous avons en proposition de l’aider dans le cadre d’un grand rassemblement afin que la famille retrouve toute sa cohésion. Malheureusement, c’est par lui que tout est arrivé.
Après votre prise de fonction au secrétariat général de l’Ugtci, un audit a révélé le détournement de fonds sous l’ère Adé Mensah, est-ce que vous êtes, aujourd’hui, en mesure d’éclairer la lanterne des Ivoiriens sur cette affaire ?
Nous allons avoir l’avantage de vous donner toute la documentation. Puisque nous avons fait un compulsoire. Aujourd’hui, nous n’hésiterons aucunement à le traduire devant les juridictions. Les documents sont prêts, la plainte a été déposée. Il ne l’emportera pas au Paradis. Adé Mensah est considéré comme votre « père ». Vous l’avez soutenu pendant ses mandatures. Aujourd’hui, vous portez plainte contre lui. N’avez-vous pas de regret ? Nous n’avons pas un seul regret. Nous avons mis en quelqu’un un respect et à la limite nous sommes tombé de notre piédestal parce que nous avons compris que nous nous sommes engagé dans une voie sans faire un seul calcul, au motif qu’il restait un père. Malheureusement, nous constatons, aujourd’hui, qu’il se fait installer par des loubards avec des écarts qui sont lourds de conséquences. La question est toute simple. Est-ce que véritablement avec son âge (82 ans), il reste encore sage ?
C’est devant cette grande sagesse que nous faisons révérence. Alors que nous constatons qu’il n’est pas sage. Si à 20 à 25 ans, on est encore dans ce schéma, ça se comprend. Mais si à 82 ans, on y est encore, c’est qu’on est perdu. Ce qui m’a le plus peiné, c’est qu’il attendait de me former. Nous sommes restés sept (7) ans avec lui afin d’être formé. Si après ce nombre d’années, il n’a pas pu nous outiller à la gestion syndicale, cela veut dire que notre période d’essai n’était pas concluante. Or Dieu seul sait qu’il n’a pas utilisé une seule fois la plume. Nous avons tout rédigé. A sa place, nous nous sommes porté porte-parole, parce que nous savons qu’il avait un handicap certain. Nous n’éprouvons donc pas de regret, parce que c’est cela l’école de la vie.
Vos détracteurs racontent que vous avez eu votre salut grâce au président de la République. Qu’est-ce que vous répondez ?
Le chef de l’État n’est en rien concerné. Nous pensons que nous avons des structures qui relèvent du juridique et qui savent lire le droit. Nous sommes désolé, ce n’est pas le président de la République. A la limite, il a été peut-être informé des réalités. Nous pensons aussi qu’il va être satisfait de ce que ceux qu’il a installés pour dire le droit l’ont dit, dans le sens de la République. C’est un point d’honneur pour notre pays. Au niveau de l’international, tous ceux qui appellent, qui envoient des mails, s’étonnent de ce que quelqu’un qui ne vient pas à un congrès réussisse à le faire annuler. C’est un drame. Sinon à la vérité, s’il s’agit d’affronter cette dame, nous ne croyons pas qu’elle tienne debout longtemps.
A voir l’évolution de la crise, n’existerait-il pas de judas dans vos rangs ?
On sait lire les événements. Même s’il en existait, nous ne dirons pas un mot sur la question parce que nous maîtrisons notre environnement.
Est-ce qu’après cette crise, des mesures exceptionnelles seront prises ?
Évidemment ! Mais les mesures seront prises en temps utile. Nous aurons l’avantage de faire un toilettage, de dire toutes nos vérités. Après, les décisions qui doivent être prises le seront. Les judas seront extirpés des rangs des instances dirigeantes de l’Ugtci.
Est-ce que cela signifie que l’organigramme de l’Ugtci va changer ?
L’organigramme bougera en son temps.
Interview réalisée par Elysée YAO
Source: Soir Info 6193 du jeudi 28 mai 2015